Pour la première fois dans l’histoire du Niger, les textes juridiques criminalisent la pratique de l’esclavage et fournissent aux captifs les moyens de se défendre contre leurs maîtres. L’Assemblée nationale nigérienne a voté le 5 mai dernier une modification du code pénal allant dans ce sens. Une modification que l’on doit en grande partie au travail de l’ONG nigérienne Timidria.
L’Assemblée nationale nigérienne a voté lundi 5 mai un nouveau code pénal qui réprime les pratiques esclavagistes et les érige en crimes ou délits. Une modification rendue possible grâce au travail constant de l’organisation non gouvernemental (ONG) nigérienne Timidria*, » Fraternité » en langue tamachèque, le dialecte Touareg. C’est elle qui a rédigé la loi relative à l’esclavage proposée en 2000 à la Commission chargée de réformer les textes juridiques au Niger. » Après cinq reports d’examens du texte, la loi a enfin été votée « , se réjouit le président de l’ONG, Ilguilas Weila.
Afrik : Quels changements va apporter la modification du code pénal dans la lutte contre l’esclavage ?
Ilguilas Weila : Depuis l’adoption de cette loi, l’esclavagisme est considéré comme un crime ou un délit. Pour ce qui est de l’aspect criminel, si un maître force son esclave à des rapports sexuels, il commet un viol et encourt une peine allant de 5 à 30 ans de prison, plus une amende allant de 5 à 10 millions de F CFA. Pour ce qui est de l’aspect délictueux, si un maître frappe son esclave, par exemple, il commet un délit et encourt une peine allant de 2 à 5 ans de prison, plus une amende allant de 500 000 à un million de F CFA.
Afrik : Avant ce vote, la loi permettait-elle de lutter contre la pratique de l’esclavage ?
Ilguilas Weila : Auparavant, il n’y avait absolument rien qui permettait de lutter contre cette pratique. Les textes parlaient du délit de » confiscation de la liberté » mais l’interprétation de cette formule restait à l’appréciation du juge. Souvent, une femme esclave pouvait être présentée comme l’épouse de son maître. Il y a bien ce cas exceptionnel, en 1999, où pour la première fois de l’histoire du Niger, un chef traditionnel a été condamné pour un délit qui l’opposait à ses administrés. C’était un Touareg blanc et il traitait ces derniers comme des esclaves. Pour lui, tous les Noirs, qu’ils soient peuls, kanouris, ivoiriens ou béninois, étaient des esclaves.
Afrik : A votre connaissance, existe-t-il des précédents où des maîtres se seraient vus retirés «leurs esclaves», voire auraient été emprisonnés ?
Ilguilas Weila : Il n’y a absolument rien. A plusieurs reprises nous avons, avec Timidria, apporté les preuves de cas d’esclavage devant la justice mais rien n’a été fait. En juillet 2000, un maître nigérien a vendu une de ses esclaves à un riche commerçant du Nigeria. Nous avons eu écho de cette histoire et en septembre 2001 nous sommes allés la récupérer dans ce pays. L’enfant a porté plainte. Nous avons présenté le vendeur et l’acheteur à un juge, à Madaoua, qui les a remis en liberté aussitôt. Pourquoi ? Parce qu’il ne trouvait rien à leur reprocher. Il ne voyait dans la transaction qu’un simple mariage.
Afrik : En novembre 2001, au cours d’un forum organisé à Niamey par le Bureau international du travail (BIT), les chefs coutumiers nigériens ont reconnu l’existence de l’esclavage dans certaines zones du pays, et se sont engagés à le combattre. Leurs promesses ont-elles été suivies d’effets?
Ilguilas Weila : Rien n’a changé. Absolument rien. A la faveur de cette réunion, le BIT leur a distribué l’argent destiné à couvrir leurs frais de déplacement et ils ont fait leur déclaration. Un an après, nous les avons interpellés quant à leurs engagements par le biais d’un courrier. Ils n’ont pas réagi. Le 10 mai dernier, nous avons tenu un atelier pour présenter notre base de données sur l’esclavage au Niger. Nous avons invité les chefs coutumiers ainsi que la présidence de la République. Seul le gouvernement était présent par le biais du Garde des Sceaux.
Afrik : Justement, quelle est l’attitude des autorités politiques vis-à-vis de l’esclavage ?
Ilguilas Weila : Auparavant, elles étaient en quelques sortes complices. Quand nous les rencontrions, elles nous disaient : » Il faut continuer « . Quand les maîtres, qui sont en majorité des chefs coutumiers, leurs rendaient visitent, elles se faisaient toutes petites et leur disaient : » Faites ce que vous avez à faire « .
Afrik : Qui sont ces chefs coutumiers ?
Ilguilas Weila : Avant les colonies, la région actuelle du Niger était composée de royaumes africains qui pratiquaient allègrement l’esclavage. En 1905, le gouverneur de l’AOF (Afrique occidentale française, ndlr) a émis un décret par lequel il mettait fin à la traite des esclaves. L’esclavage a disparu du Bénin, de la Côte d’Ivoire… mais au Burkina Faso ou au Niger, la pratique a perduré. Car les Français, pour gérer leurs territoires, se sont appuyés sur les chefs traditionnels. Ils ont donc été leurs complices tacites dans la continuation de la traite des esclaves. Aujourd’hui, c’est cette même aristocratie qui s’est perpétuée et qui pratique l’esclavage. Elle le fait d’autant plus facilement qu’elle détient les rênes du pouvoir politique, économique et judiciaire.
Afrik : Auriez-vous un exemple qui illustrerait cette réalité ?
Ilguilas Weila : Nous avons présenté à la justice le secrétaire-général du ministère de l’Environnement qui avait trois enfants comme esclaves. Deux jeunes filles âgées de 12 et 16 ans et un garçon de 20 ans. Un matin, il s’est levé et a décidé d’aménager sa cuisine pour y faire vivre ces trois enfants. » Préparez la cuisine et arrangez-vous pour me faire de petits esclaves « , leur a-t-il dit. Les enfants se sont alors enfuis et sont venus vers nous. Le jour où nous les avons présentés au Parquet, le juge nous a menacé de prison pour séquestration. » Ou vous retirez la plainte ou vous êtes jetés en prison. » Nous avons continué et l’affaire a été classée.
Afrik : Dans ces circonstances, pensez-vous que les autorités auront le courage d’appliquer la loi ? D’autant que le flagrant délit doit être difficile à prouver dans certains cas, notamment ceux que l’on désigne par le terme d’« esclavage passif »** ?
Ilguilas Weila : Nous sommes optimistes par rapport à l’aboutissement de tout cela. Du 5 au 12 mars derniers, plus de 100 personnes traitées en esclaves sont venues se déclarer auprès de notre ONG. Elles ne faisaient même pas partie du recensement que nous avons réalisé et qui établit le nombre d’esclaves au Niger à 870 364. Lorsque nous leur avons demandé pourquoi elles ne s’étaient pas fait connaître avant, elles nous ont dit qu’elles avaient peur et qu’elles croyaient que leurs maîtres étaient dans leur bon droit, que ce qu’ils faisaient était légal. De 1905 à 1913, l’esclavage a été éradiqué dans la région du Niger par le biais du décret dont je vous ai déjà parlé. De la même façon, aujourd’hui, à partir du moment ou l’on dit mettons fin à tout cela, il est possible de tout arrêter. Chacun laissera tomber tout seul. J’ai déjà dit que voter une aussi jolie loi était très bien mais que veiller à son application était plus important. Nous y veillerons.
* Timidria se bat depuis sa création, en décembre 1991, contre la pratique encore répandue de l’esclavage au Niger. Représentée sur tout le territoire, elle s’occupe de dénoncer tous les cas d’esclavage qui lui parviennent en prenant soin d’intenter des actions en justice contre les présumés esclavagistes. En amont, Timidria réalise un important travail d’éducation et de sensibilisation auprès des populations rurales, à travers ses dix écoles communautaires et au cours de tournées foraines qui l’entraînent dans les villages les plus reculés du pays.
**L’esclavage se présente sous trois formes. Le plus dur, l’esclavage archaïque, suppose le déni de la personnalité humaine et autorise le maître à toutes les exactions sur l’esclave qu’il considère comme son bien. Il existe une autre forme d’esclavage qui aurait un fondement religieux, et qui permet à un homme déjà marié à quatre femmes de prendre en cinquième noce une esclave. Enfin, l’esclavage dit » passif « , que l’on retrouve dans la zone ouest du Niger, serait entretenu avec la complicité des esclaves eux-mêmes. Ces esclaves ne font l’objet d’aucune brimade physique, ni d’exploitation économique directe et ont droit à la propriété privée, mais ne peuvent pas posséder de terres.
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