Onze militaires togolais sont enfermés, depuis janvier dernier, au commissariat central de Cotonou sans qu’il n’y ait aucun chef d’inculpation retenu contre eux. Accusés officieusement de tentative de coup d’Etat contre le régime du Président Eyadema, ils croupissent désormais en garde à vue en toute illégalité. Révélé par la Ligue des droits de l’Homme, le sort des mystérieux prévenus est aujourd’hui entre les mains du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies, qui négocie avec les autorités leur réinstallation dans un autre pays.
« Nul ne peut être détenu pendant une durée supérieure à quarante huit heures que par la décision d’un magistrat auquel il doit être présenté. Ce délai ne peut être prolongé que dans des cas exceptionnellement prévus par la loi et qui ne peut excéder une période supérieure à huit jours ». L’article 18 de la Constitution du Bénin est on ne peut plus clair. Et pourtant. Onze militaires togolais sont aujourd’hui en garde à vue…depuis le 12 janvier dernier. Sans qu’il n’y ait eu de dossier pénal d’ouvert. Aucun chef d’inculpation, si ce n’est l’officieux motif de tentative de coup d’Etat contre le Président togolais Gnassingbé Eyadéma. L’affaire, révélée par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), est aujourd’hui entre les mains du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), actuellement à pied d’œuvre pour trouver une solution au problème.
« Ce n’est pas un dossier judiciaire, l’affaire relève plutôt du ministère de l’Intérieur », explique-t-on au ministère de la Justice, de la législation et des droits de l’Homme où l’on avoue ne pas être au courant des détails de l’histoire. En clair, les dits militaires togolais ne sont sous le coup d’aucune inculpation. Alors pourquoi sont-ils depuis sept mois enfermés au commissariat central de Contonou ? A ce jour, personne n’est véritablement en mesure de donner d’explications solides. Farid Messaoui, membre de la mission internationale d’enquête de la FIDH, était au Bénin du 16 au 23 février dernier. Il tient de la bouche du chef de l’Etat que les hommes ont été arrêtés parce qu’ils préparaient un putsch au Togo. Selon une journaliste de l’Agence France Presse, dans une dépêche datée du 21 juillet dernier, les détenus auraient « reconnu sans difficulté qu’ils ‘voulaient tenter de renverser Eyadema’ ». « Alors pourquoi n’ont-ils toujours pas été traduit en justice en comparution immédiate ? », s’interroge le chargé de mission de la FIDH, joint par Afrik. « J’ai eu l’opportunité de rencontrer les détenus. Quand je les ai interrogés sur le motif avancé pour leur arrestation, ils étaient surpris et ont nié en blocs ces allégations».
Une affaire politique
Sans inculpation officielle, l’affaire prend des allures politiques. « Quand j’étais sur place, le procureur de la République m’a avoué qu’il n’était pas au courant de l’histoire », confie M. Messaoudi. Une déclaration qui vient confirmer les propos du ministère de la Justice : il n’y a aucun dossier pénal en cours. Légalement, donc on ne leur reproche rien. Les ex-soldats, déserteurs de l’armée togolaise, vivaient au Bénin depuis une dizaine d’années et bénéficient, selon la FIDH, d’un statut de réfugiés politiques, accordé par les autorités béninoises. D’où l’implication du HCR pour démêler cette situation pour le moins ambiguë. « Nous ne préférons faire aucun commentaire sur cette affaire, nous explique-t-on à l’antenne onusienne de Cotonou, où l’on préfère manœuvrer dans l’ombre. Nous essayons de trouver une solution pour les onze réfugiés. Nous tenons à observer une certaine discrétion car ils sont encore dans une situation d’insécurité liée à leur détention ». Un travail de l’ombre qui semble payer comme en témoigne les bruits de couloir que nous rapporte le ministère de la Justice : « Ils ne peuvent pas être poursuivis, ils ne peuvent pas être mis à disposition du Togo. Il semblerait qu’ils soient dans l’attente d’une autre destination ».
« Les autorités policières béninoises leur avaient proposé un rapatriement volontaire au pays, mais ils ont compris le piège », explique Julien Togbadja. Pour le président de la Ligue des droits de l’Homme au Bénin, il s’agit « d’une affaire politique ». Si Afrik n’a pas pu joindre le ministère de l’Intérieur pour demander des explications, Julien Togbadja confie qu’ils ont « essayé d’en savoir plus auprès du ministère de l’Intérieur ». En vain. « Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se présente dans le pays. En 1999, l’Etat avait déjà procédé à un grand coup de filet pour appréhender, un peu partout dans le pays, un lot d’anciens militaires togolais réfugiés au Bénin. Nous avions battu campagne pour empêcher qu’ils soient livrés à leur pays. Nous avons obtenu gain de cause. Ils ont tous été libérés, sauf deux d’entre eux, dont un membre de la garde du président. Ils ont tous deux été gardés longuement au commissariat central de Cotonou. Sous la pression, ils ont finalement été réinstallés par le HCR, l’un à Genève (Suisse), l’autre aux Etats-Unis. Le Bénin n’est pas un pays propice pour des réfugiés de pays limitrophes. Surtout quand ce sont des militaires. »
Les droits de l’homme en question
Plus récemment, les autorités avaient une fois de plus pris des légèretés avec le droit international en extradant au Nigeria, aussi discrètement qu’illégalement, le malfaiteur nigérien Amani Tidjani, en septembre 2003. Personne n’en avait été ému outre mesure car l’homme traînait une sombre réputation. Mais le cas est, cette fois-ci, bien différent. Il faut croire que pour les autorités béninoises, les relations de bon voisinage sont sans doute à ce prix. Celui de bafouer sans complexe les droits de l’Homme qu’elle prétend respecter et défendre, en paraphant les grands traités internationaux du genre.