Gnonnas Pedro, auteur, compositeur, chanteur, arrangeur et membre du groupe de salsa Africando, est mort jeudi matin au Bénin, son pays natal. A 61 ans, il laisse une carrière de plus de 40 ans et sept enfants. Décédé d’un cancer, il restera dans les esprits comme un homme humble, doté d’un immense talent et dont le courage lui a permis de monter sur scène jusqu’en juin dernier.
Gnonnas Pedro est mort jeudi à 7 heures du matin, dans un hôpital de Cotonou, entouré de sa femme et de sa famille. Ses proches s’attendaient depuis quelques jours à voir partir ce musicien de talent, véritable gloire de la musique béninoise, auteur, compositeur, chanteur, arrangeur et membre du groupe de salsa Africando depuis 1996. L’artiste souffrait effectivement depuis neuf mois d’un cancer de la vessie. « En novembre 2003, il a commencé à constater des problèmes et je l’ai emmené faire des analyses », se souvient Pascal Zounon, son correspondant permanent à Paris. « Il est retourné au Bénin avec les résultats et là, un spécialiste a détecté des tumeurs et lui a conseillé de rencontrer le Professeur Dufour à l’hôpital Necker de Paris pour un traitement approprié. Le devis était très cher et il est retourné au Bénin. Puis il a enchaîné la tournée avec Africando aux Etats-Unis, en Angleterre… » Comme si de rien n’était. « Pedro se savait condamné, mais c’était quelqu’un de très déterminé. De plus, il ne voulait pas que sa maladie soit connue. Peu de gens étaient au courant de ses problèmes. »
Mourir au Bénin
Gnonnas Pedro a subi trois opérations lourdes pour tenter de vaincre le terrible cancer. La première en mai 2004, qui « s’était très bien passée », précise Pascal. La deuxième le 22 juin alors que le 21 il était sur scène avec Africando, à Aulnay-sous-Bois, dans le cadre de la Fête de la Musique, se montrant en forme et terriblement fort malgré la maladie. La dernière intervention chirurgicale a eu lieu le 6 août dernier. « Le 7, le médecin nous a annoncé qu’il lui avait enlevé toutes les sondes. Cela annonçait la fin », indique Pascal. « Nous avons alors tout fait pour respecter sa dernière volonté qui était de retourner chez lui et mourir sur la terre de ses ancêtres », évoque Blaise Hounkpatin, un de ses amis proches, ingénieur-chimiste béninois vivant en France.
Les deux amis du musicien tiennent à souligner « l’action généreuse de l’équipe d’urologie de l’hôpital de Meaux », service dans lequel il a été hospitalisé. « Ils se sont donnés corps et âme pour soulager ses souffrances », selon Blaise Hounkpatin. Et Pascal de préciser : « Un lien s’était tissé entre lui et l’équipe, il avait offert des CD et promis un concert dès sa sortie. Mais le destin en a décidé autrement. Quand on l’a emmené mercredi soir, les infirmières pleuraient. » Grâce à l’intervention de l’ambassadeur du Bénin en France, Edgard-Yves Monnou, et à la volonté du Président béninois Mathieu Kérékou (qui a pris tous les frais à sa charge), Gnonnas Pedro a pu rejoindre le Bénin pour y rendre son dernier souffle.
Humilité, courage et discrétion
Ironie du sort : le groupe Africando, qui terminait sa tournée internationale le 9 août, lui avait laissé un billet pour qu’il rentre le 11, pensant qu’il s’en sortirait… Pedro a bien pris l’avion le 11 mais dans des circonstances moins gaies. Sa femme, arrivée de Cotonou dans la journée, est repartie avec lui le soir-même, l’accompagnant dans son dernier voyage vers le Bénin. A l’aéroport de Cotonou, il était attendu par les ministres de la Culture et de la Santé. Il a été hospitalisé d’urgence dès son arrivée.
Gnonnas Pedro aura fait face à la maladie avec courage et s’en va comme il a vécu et travaillé : avec humilité et discrétion. Ce croyant fervent s’est battu jusqu’au bout. « C’est un baobab qui est tombé », regrette Pascal. « Il avait une dimension africaine et sous-régionale incontestable, s’illustrant dans la musique traditionnelle et la salsa. Il chantait en fon et en mina, des langues communes au Bénin et au Togo, c’est pourquoi il était aussi très aimé au Togo. D’ailleurs son tube « Von o von non » est l’hymne de l’équipe nationale de football de ce pays. »
Artisan du son cubain
Parti à 61 ans, encore la fleur de l’âge diront certains, il laisse derrière lui 41 ans d’une carrière riche et variée. Né le 10 janvier 1943 à Cotonou, il est originaire de Lokossa (sud-ouest du Bénin) et baigne dans la musique dès son plus jeune âge car son père chante à l’église. La fibre musicale paternelle touchera aussi son jeune frère Matthieu, bassiste, et son grand frère Paul, grand saxophoniste. La lignée ne s’arrêtera pas là, puisque parmi les sept enfants de Pedro, deux semblent marcher sur ses traces, se destinant à la musique. Très « famille », discret, aimant profondément son pays, il ne fumait pas, ne buvait pas. Il avait la foi en Dieu mais aussi en ce qu’il faisait.
« Gnonnas Pedro, de son vrai nom Gnonnas Sousou Pierre Kwasivi, a démarré sa carrière dans le milieu des années 60 », rapporte le musicologue africain Nago Seck. « Artisan du son cubain, ses deux grands tubes « Von o von non » et « Yri yri boum » ont enflammé toute l’Afrique. Il a également travaillé à la rénovation de l’agbadja, le style musical de sa région (le Mono, ndlr), en le mettant au goût ‘gombo-salsa’. C’est en 1996, à la mort du grand Pape Serigne Seck, qu’il intègre la formation de Boncana Maïga, Africando, et rejoint les trois autres piliers historiques du groupe, les Sénégalais Medoune Diallo, Nicholas Menheim et l’Américain Ronnie Barro. Sa disparition est une terrible nouvelle. C’est une perte pour l’Afrique et les musiques africaines. Il représentait beaucoup pour le Continent… Il a marqué toute une génération. Dans les années 70 et 80, nous avons tous swingué sur sa musique. A présent, que la terre lui soit légère… »
Toujours parmi nous
Sa maison de disque, Syllart Productions, basée à Paris, était aussi sous le choc jeudi matin. Un de ses membres explique : « Nous suivions l’évolution de sa maladie au jour le jour. Aujourd’hui, nous sommes tous attristés et nous adressons nos sincères condoléances à sa famille, à son pays et à tous les mélomanes qui ont apprécié sa musique pendant de longues années. Paix à son âme et salut l’artiste ! »
Sa disparition risque d’être vécue par les Béninois comme un véritable deuil national et on annonce déjà une cérémonie d’au-revoir grandiose, qui aura probablement lieu dans le stade de Cotonou. Mais les obsèques sont bloquées jusqu’au retour du Président Kérékou, en déplacement en France ce week-end pour les cérémonies de commémoration du débarquement de Provence. D’ici là, on pourra se consoler en fredonnant sa célèbre berceuse pour enfants terribles, « Djedjevignin », qui a fait le tour de l’Afrique en 1965. En exclusivité, Afrik vous annonce aussi qu’un de ses titres, écrit il y a deux ans, devrait prochainement sortir dans les bacs. Il s’agit d’une chanson évoquant les origines africaines de la salsa et l’aller-retour qu’a effectué cette musique entre le continent noir et les îles. Elle s’appellera « Ketou-Cuba ». Et ce sera un peu comme si Gnonnas Pedro ne nous avait jamais quitté.