Le Maroc s’efforce de tourner une page douloureuse de son histoire, en diffusant des témoignages sur les exactions durant les « années de plomb » sous le roi Hassan II. Mais pour identifier les coupables, l’Association marocaine des droits humains a décidé de donner la parole à des victimes et témoins « ignorés » par l’Instance Equité et Réconciliation (IER), qui mène à Rabat les auditions officielles.
Des auditions publiques parallèles de témoignages de victimes ou de familles de victimes persécutées au cours des années dites « de plomb » sous le règne du roi Hassan II ont débuté samedi dernier sous l’égide de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). Le but de cette initiative est de donner la parole aux victimes et témoins « oubliés » par l’Instance Equité et Réconciliation, un organisme gouvernemental mis en place par le roi Mohammed VI pour régler les dossiers des abus du passé (période antérieure à son règne) et réconcilier le Maroc avec son histoire.
Lever le voile sur le régime d’Hassan II
Samedi, neuf personnes étaient amenées à témoigner sur les tortures qu’elles ont subies entre 1960 et 1990. On retiendra les noms de Ahmed Lemarabet prisonnier politique, Ahmed Benjelloun rescapé de Tazmamert, Mohamed Ghalloul, Mohamed Errahoui, Idjimi El Ghalia enlevée en 1987 et relâchée en 1991, Fouad Abdelmoumni détenu de 1971 à 1980 Azzedine el Hourri condamnée en 1983 à 20 ans de prison et gracié en 1994, Maria Charaf. Et Fouad Abdelmoumni, vice-président de l’AMDH et directeur de l’association « Al Amana ». Au total, ce sont près de 200 victimes qui sont attendues pour témoigner des « années de plomb », période de zones d’ombre du règne d’Hassan II (1960-1990).
Arrestations arbitraires, tortures subies, disparitions… autant de crimes pour lesquels les victimes demandent réparation. Pour Fouad Abdelmoumni : « l’Etat doit demander pardon à la société car des crimes ont été commis en son nom. Dédommager financièrement certaines victimes ne signifie pas faire acte de contrition ». Il ajoute également qu’il faut instaurer « une véritable séparation des pouvoirs, sans sacralité aucune ».
Identifier les responsables
L’initiative de l’AMDH s’inscrit dans une volonté d’aller au-delà de la dynamique amorcée par l’IER. Abdelhamid Amine, président de l’association marocaine des droits humains (association indépendante) déplore, en effet, que la règle imposée par l’IER, lors des auditions de décembre 2004, aux témoins était de ne pas nommer leurs tortionnaires. « Des témoignages sur de graves violations ont été entendus. On commence à rendre hommage aux victimes, c’est bien (…) mais aucun des témoins n’a pu nous dire qui sont les responsables de ces horreurs », a déclaré M. Amine à l’AFP. Selon lui, les témoins entendus lors des auditions de l’IER ont été conditionnés afin de ne pas dénoncer ou mettre en cause certains organismes. Un goût d’inachevé donc, qui a encouragé A. Amine à lancer des auditions alternatives pour des témoignages « en toute liberté, pour la vérité ».
Ces auditions alternatives se déroulent conformément à un programme bien précis, commencé le 12 février pour s’achever le 14 mai prochain. Elles sont organisées dans le cadre de l’accompagnement critique des travaux de l’Instance Equité et Réconciliation. « Au-delà du fait que ces auditions sont une manière de rendre hommage aux victimes de ces années noires et de leur exprimer notre solidarité, elles nous permettent de réitérer la position qui est la nôtre au sein de l’AMDH, c’est-à-dire notre attachement au respect des normes et principes des droits de l’Homme tels qu’universellement reconnus », affirme A. Amine.
Les pré requis du « Plus jamais ça »
« C’est un principe de droit et cela rentre dans le cadre de notre combat pour la lutte contre l’impunité. La vérité passe par la détermination des responsabilités à la fois individuelle et institutionnelle. La poursuite des responsables des auteurs de violations et exactions est une garantie pour que soit réellement effectif le ‘plus jamais ça’ », martèle le président de l’AMDH dans le quotidien marocain Le Matin. Il ajoute que : « l’Etat doit reconnaître sa responsabilité, présenter des excuses officielles et procéder à des réformes globales, dont celle de la Constitution. Ce sont là les conditions d’une réconciliation véritable entre l’Etat et les citoyens ».
En attendant, trois autres séances de témoignages de victimes et de leurs proches seront organisées à Kenitra, Al Hoceima et Marrakech. Une séance de témoignages des femmes victimes de la répression se tiendra, le 8 mars, à l’occasion de la commémoration de la Journée mondiale de la femme. Une séance de témoignages des victimes de l’exil forcé sera prochainement organisée à Paris. Et enfin, l’AMDH organisera une séance de témoignages des avocats qui ont défendu les victimes, lors des procès politiques inéquitables qu’a connu le Maroc.
Par Smahane Bouyahia