Le Maroc, pays le plus inégalitaire du Maghreb


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Pays du Maghreb
Pays du Maghreb

Face à une inflation galopante et une sécheresse persistante, le Maroc voit ses inégalités sociales atteindre des niveaux alarmants. Alors que la presse du royaume brise son habituelle réserve pour dénoncer l’appauvrissement, les chiffres officiels confirment un déclassement massif de la classe moyenne et une fracture sociale qui se creuse, en décalage flagrant avec le train de vie royal.

À l’heure du ramadan, l’inquiétude gagne les foyers marocains. La presse du royaume, d’ordinaire prudente dans sa critique du pouvoir, multiplie les articles alarmants sur l’appauvrissement de la population et l’élargissement des inégalités sociales. Des tendances confirmées par les données du Haut Commissariat au Plan (HCP) qui mettent en lumière une fracture de plus en plus marquée entre classes aisées et catégories vulnérables qui englobe désormais la classe moyenne.

Le panier de courses, miroir d’une société à deux vitesses

L’évolution des habitudes de consommation au Maroc est un marqueur des inégalités grandissantes. Selon le dernier rapport du HCP, les ménages les plus aisés consacrent une part croissante de leur budget aux repas pris à l’extérieur, tandis que les plus pauvres doivent se contenter de denrées de base.

Les dépenses en céréales, longtemps prédominantes dans l’alimentation marocaine, ont reculé de 16 % à 12,5 % entre 2014 et 2022. Mais cette tendance ne signifie pas nécessairement une amélioration pour tous? En effet, une fois encore, si les classes favorisées diversifient leur alimentation, les ménages précaires, eux, doivent faire face à une hausse des prix des produits de base, les contraignant à réduire leur consommation de viandes, de poissons et de produits laitiers. Le budget alimentaire des plus pauvres reste donc fortement contraint, limitant leur accès à une alimentation équilibrée.

HCP Maroc répartition des dépenses d'un foyer
HCP Maroc répartition des dépenses d’un foyer

Les écarts se creusent également en fonction des régions. Ainsi, il est nettement plus faible dans les zones rurales, où l’accès aux produits diversifiés est limité et où l’inflation frappe plus durement.

Derrière les chiffres de croissance, la réalité d’un pays qui s’appauvrit

Si le Maroc affiche des indicateurs économiques globalement positifs, la réalité vécue par de nombreux citoyens est bien différente. D’après une enquête publiée par Courrier International, le pouvoir d’achat des Marocains a été durement touché par la pandémie de Covid-19, l’inflation et une sécheresse persistante depuis plusieurs années. Résultat : entre 2019 et 2022, le niveau de vie des 20 % les plus pauvres a chuté de 4,6 % par an, tandis que la classe moyenne a connu une baisse de 4,3 %, confirmant son déclassement progressif.

Cette situation a poussé le roi Mohammed VI à lancer un appel inédit à la population, l’invitant à ne pas sacrifier de mouton pour l’Aïd El-Kébir, une fête religieuse majeure. Une mesure justifiée par la baisse du cheptel due à la sécheresse, mais aussi par la pression financière pesant sur les ménages. Toutefois, cette décision illustre surtout la difficulté du gouvernement à proposer des solutions durables à l’érosion du pouvoir d’achat.

La classe moyenne marocaine, grande perdante des politiques économiques

Le malaise touche particulièrement la classe moyenne, qui se retrouve piégée entre une fiscalité toujours plus lourde et une absence d’aides sociales. Selon le journal économique Challenge.ma, si les ménages les plus pauvres ont bénéficié de mécanismes de soutien direct, ceux de la classe moyenne n’ont tiré aucun avantage des politiques de redistribution.

L’indice de Gini, qui mesure les inégalités, est passé de 39,5 % en 2014 à 40,5 % en 2022, témoignant d’un accroissement des écarts de richesse. Pendant ce temps, la réforme fiscale engagée par le gouvernement a principalement favorisé les moyennes et grandes entreprises, avec une baisse progressive de l’impôt sur les sociétés, alors que les ménages, eux, doivent faire face à une hausse du coût de la vie.

La hausse des dépenses contraintes est particulièrement visible : la part du budget consacrée à l’alimentation a augmenté, passant de 37 % en 2014 à 38,2 % en 2022, tandis que les dépenses liées aux loisirs et à la culture ont chuté de 1,9 % à 0,5 %. Un signal inquiétant sur l’évolution du mode de vie des Marocains.

Entre appels à l’austérité et luxe ostentatoire : le paradoxe royal

Alors que le roi Mohammed VI exhorte les Marocains à adopter une politique d’austérité, son propre mode de vie continue d’attirer l’attention. Son appel à la rigueur économique, diffusé le 25 février 2025, a rapidement été éclipsé par la révélation de ses récentes acquisitions de voitures de luxe, notamment deux Laraki Sahara pour un total de 4,4 millions de dollars.

Cette dissonance entre le discours officiel et la réalité du train de vie royal n’est pas une première. En 2020, alors que le Maroc traversait une crise économique liée à la pandémie, le souverain avait acquis un hôtel particulier à Paris pour 80 millions d’euros. De même, sa collection de montres rares et ses propriétés en France continuent d’alimenter les critiques d’un monarque perçu comme déconnecté des réalités de son peuple.

Maghreb : des défis partagés, des réponses différentes

Le Maroc n’est pas le seul pays du Maghreb à faire face à une crise socio-économique. En Tunisie, l’inflation a atteint 9,3% en 2023, contre 6,1% au Maroc sur la même période. Le pays a vu son taux de pauvreté grimper à 16,6%, tandis que son indice de Gini se situe à 32,8%, témoignant d’inégalités moins marquées qu’au Maroc.

L’Algérie, forte de ses ressources en hydrocarbures et de sa politique de diversification, maintient un système qui a permis de contenir l’inflation à 9,4% en 2023. Avec un indice de Gini de 27,6%, l’Algérie présente une distribution des richesses plus équitable que ses voisins. Cependant, le pays fait face à un chômage structurel élevé, particulièrement chez les jeunes (30%), mais nettement moins une nouvelle fois que celui qui touche les jeunes marocains.

Contrairement au Maroc qui a opté pour des aides ciblées via le programme « Tayssir » et sa réforme de la protection sociale, l’Algérie maintient un modèle de soutien généralisées à toutes les populations, tandis que la Tunisie se trouve contrainte par les exigences du FMI de réduire drastiquement ses dépenses publiques, ce qui a provoqué plusieurs mouvements sociaux.

Un pouvoir sous pression et l’urgence des réformes structurelles

Face à cette montée des inégalités et à une classe moyenne de plus en plus fragilisée, la presse marocaine adopte un ton inhabituellement critique. Les médias relaient les préoccupations d’une population confrontée à une détérioration de ses conditions de vie, tandis que le gouvernement peine à proposer des solutions tangibles.

Si l’aide sociale a permis de réduire légèrement la pauvreté absolue, le creusement des écarts entre les différentes catégories sociales risque d’aggraver le malaise social.

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