J.M.G. Le Clézio et sa femme ont consacré un livre bouleversant à leur voyage-quête-enquête, qui les conduit jusqu’au coeur du désert marocain, au Sahara Occidental, à la Saguia El Hamra, où Jemia a ses origines.
Les voyages sont toujours des expériences : mais voyager pour retrouver ses racines, remettre des images en face de noms mythiques qui chantent dans la mémoire parce qu’ils nous ont bercé, alors même que les lieux évoqués n’ont jamais été traversés… » Oui, nous franchissons à la vitesse du vent la porte qui séparait Jemia du monde d’avant sa naissance… Voyager, voyager, qu’est-ce que sa fait ?… Mais revenir sur ses pas, comprendre ce qui vous a manqué, ce à quoi vous avez manqué. Retrouver la face ancienne, le regard profond et doux qui attache l’enfant à sa mère, à un pays, à une vallée. «
Il y a du voyage initiatique dans ce pèlerinage aux sources, paradoxalement enfouies au fond du désert, dans des lieux dont l’accès, aujourd’hui possible, est resté des décennies difficile, voire périlleux. « Ici, chaque parcelle de terre, chaque ombre, chaque pierre roulée avec le vent, chaque silhouette de colline au loin est familière. Chaque instant qui passe est une émotion, raconte une histoire « . Et de pas en pas, de dune en dune, de ravin en ravin, le journal précis, que J.M.G. Le Clezio et sa femme Jemia s’astreignent à tenir, se double de superbes photographies, oeuvres de Bruno Barbey, qui donnent à sentir, immédiatement, les paysages, les impressions et les sentiments décrits.
Comment ne pas être saisi par Tbeïla, le Rocher, où Sidi Ahmed El Aroussi, maître soufi, enseignait ses disciples, à un peu plus d’une heure de route de la vallée : » Pour Jemia, être venue jusqu’à ce rocher marque l’aboutissement du voyage. Il ne peut y avoir rien d’autre… Nous ne pourrons jamais oublier le Rocher, ni le pays ocre qui l’entoure, les vagues de sable, les pierres noires, la falaise brûlée qui ferme la vallée à l’ouest, la ligne mince des arbustes le long de l’eau souterraine, ni ce vent, ni ce ciel, ni ce silence. «
Emotion, et sensation formidable de toucher un monde à la fois immobile et fragile : » Ils sont les derniers nomades de la terre, toujours prêts à lever le camp pour aller plus loin, ailleurs, là où tombe la pluie, là où les appelle une nécessité millénaire et impérieuse… Sans doute n’avons-nous compris qu’une part infimede ce que sont les Gens des nuages et n’avons-nous rien pu leur donner en échange. Mais d’eux, nous avons reçu un bien précieux, l’exemple d’hommes et de femmes qui vivent -pour combien de temps encore ?-leur liberté jusqu’à la perfection. »
Humilité d’écrivain, J.M.G. Le Clézio a adopté un style aussi équilibré, précis, clair, que peuvent l’être les gestes et les expressions des peuples qu’il décrit. Il n’y a pas d’enphase, tout est mesuré et sonne plein. Le souvenir se lit comme un roman, coupé d’agréables et utiles récits historiques qui contribuent probablement à disposer le lecteur dans un climat rétrospectif plus dense : l’histoire de ce désert qui est découvert et révélé, c’est le tissu de tous ces gestes, bassesses ou héroïsme, légendes ou faits d’actualité droit sortis du passé.
Et cette noce mystique entre Jemia et sa terre originelle ressemble à une danse immobile, dont J.M.G. suit attentivement les figures, sans jamais rien qui pèse ou pose, avec l’allégresse jubilante de l’explorateur qui découvre, au delà des paysages et des contrées, une autre qualité d’hommes, et sa remarquable stature.
Commander le livre : photographies de Bruno Barbey Editions Folio nov 1999.