Le prix international Sigmund Freud, considéré comme le » Prix Nobel de psychothérapie « , a été décerné au Dr Jalil Bennani. Ses travaux et ses publications font de ce chercheur un des pionniers de la psychanalyse au Maroc. Interview d’un praticien de l’inconscient.
Le Conseil international de psychothérapie (WCP) vient de décerner au docteur Jalil Bennani le prix Sigmund Freud de la ville de Vienne. Pour la première fois, la plus grande reconnaissance mondiale dans ce domaine a donc été attribuée à un ressortissant maghrébin. Après plus de vingt ans de travail pour ouvrir la société marocaine à la psychanalyse, Jalil Bennani, docteur en psychiatrie, psychanalyste et déjà décoré du Prix des sociétés inter-maghrébines de médecine, mérite largement cette gratification. La psychanalyse dans le monde arabe : symbole de changement ou changement de symboles ? Réponse avec un spécialiste.
Afrik : Pour quels travaux avez-vous plus particulièrement été remercié par le prix Sigmund Freud ?
Jalil Bennani : Depuis vingt ans, j’exerce au Maroc. J’ai créé des associations, écrit plusieurs livres, et j’ai beaucoup communiqué sur la psychanalyse. En 1985, j’ai créé l’association Le texte freudien. Elle réunissait des praticiens et des non-praticiens. Le but était d’abord de regrouper des gens pour travailler autour du texte de Freud. Et puis, de plus en plus, des questions de pratiques se sont posées. Sept ans plus tard, j’ai donc été à l’origine de l’Association marocaine de psychothérapie. Il s’agissait d’analyser la relation patient-praticien, en dehors de toute pharmacologie. En décembre 2001, tout récemment, j’ai créé la première Société psychanalytique marocaine et la première Société arabe de psychanalyse.
Afrik : Quand vous avez ouvert votre cabinet à Rabat, quel a été votre premier contact avec vos patients ?
Jalil Bennani : C’est une bonne question. Quand je suis arrivé, il n’y avait pas toutes ces associations, ni d’écoles ou d’institutions comme en Europe. Je me suis d’abord installé comme psychiatre, et c’est en tant que psychiatre que j’ai rencontré des gens qui avaient besoin d’être écouté. Quand vous voyez un patient, soit vous vous limitez au niveau de son histoire et de ses troubles, soit vous approfondissez. Cela dépend aussi du patient : il y a des gens qui veulent se limiter à leurs symptômes et qui attendent simplement une prescription…
Afrik : Vous avez beaucoup travaillé sur le choc des cultures. Pensez-vous que la pratique de la psychanalyse soit différente au Maroc et en Europe ?
Jalil Bennani : Pour moi, ça ne doit pas être différent. L’inconscient est universel. Mais ses manifestations peuvent se décliner de façons différentes selon les cultures. Ce qui est différent, c’est le mode d’approche. La première demande… l’expression des manifestations. Des comportements trop hystériques ou trop obsessionnels peuvent ne pas être significatifs ici et être des névroses ailleurs. Mais il n’y a pas trente-six inconscients, il n’y en a qu’un seul. Chaque langue a son registre de représentations métaphoriques, il y a des mondes symboliques et différentes façons d’approcher l’humain, mais le fond est universel. Et je suis heureux que ce soit une théorie qui trouve aujourd’hui des échos.
Afrik : Malaise dans la civilisation… Est-ce que vous pensez que l’introduction de la psychanalyse dans la société marocaine mette cette société en question ? Est-ce que vous diriez que la psychanalyse est un élément subversif ?
Jalil Bennani : Je ne la poserais pas en tant que subversive mais en tant que pratique de la modernité. La société marocaine est pleinement engagée dans un processus de modernité par la remise en question des structures traditionnelles, la remise en question de l’autorité patriarcale et de tabous anciens concernant le mariage, la virginité… Et la psychanalyse accompagne ces mutations. Elle est possible aussi parce qu’il y a ces changements au Maroc.
Afrik : Pensez-vous que la psychanalyse est un luxe ?
Jalil Bennani : Dans tous les pays du monde, la psychanalyse en tant que pur type s’adresse à une minorité. Cela dit, si vous prenez un pays comme la France, la psychanalyse a largement imprégné l’éducation, la pédagogie, les institutions, etc. C’est un luxe au niveau individuel pour beaucoup de gens qui n’en ont pas fprcément besoin, amsi au niveau de son versant publis, de sa théorisation et de son imprégnation des différents champs sociaux, elle est un facteur d’ouverture essentiel. Elle apporte une autre grille de lecture et ouvre les frontières de la liberté.