Les autorités marocaines ont lancé, jeudi dernier, dans plusieurs quartiers de Casablanca, une campagne destinée à éliminer la mendicité. Qualifiée par certains de « fléau », elle serait de plus en plus endémique dans la ville, où des réseaux de mendiants professionnels sont à l’œuvre.
Après Rabat, c’est au tour de Casablanca d’expérimenter la campagne de lutte contre la mendicité. Le programme, lancé il y a trois semaines à Rabat, est appliqué depuis jeudi dernier à la deuxième ville du Maroc. Huit véhicules spécialisés, dans lesquelles circulent des représentants des forces de l’ordre, une assistante sociale et un psychologue, font le tour des quartiers où sont concentrés les mendiants : les lieux de forte circulation, d’intense activité économique, les mosquées… Leur mission, traiter le cas des quêteurs au cas par cas pour déterminer l’incidence du phénomène, préciser ses origines et amorcer un processus de réinsertion. Les medias, radio et télévision, participeront par ailleurs à la sensibilisation de la population.
Le Maroc reconnaît trois types de mendiants. « Certains font réellement de la mendicité pour vivre, comme les personnes âgées et les femmes sans ressource et sans famille. Mais d’autres sont des mendiants professionnels. Ils n’ont aucune incapacité physique ou intellectuelle, mais ils font de la mendicité leur seule activité parce qu’ils veulent gagner de l’argent facilement. Enfin, il y aussi les victimes de réseaux, qui sont souvent des enfants en très bas âge et des handicapés », énumère Najib Bensbia, directeur de cabinet du ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité.
Mendier pour ne pas travailler
Dans les rues, le nombre de mendiants aurait fortement augmenté. A tel point que certains qualifient la tendance de « fléau ». Des statistiques fiables ne sont pour l’heure pas disponibles, mais cela devrait être prochainement le cas. Le pays mène une grande enquête nationale sur le sujet.
La mendicité est en majorité le fait de Marocains, mais on compte aussi des ressortissants d’Afrique noire, le Maroc étant un point de passage pour atteindre l’Europe. Selon Najib Bensbia, les « vrais mendiants » restent calmes et respectueux, certains se montrent agressifs envers les badauds, ils les harcèlent, les insultent, les regardent avec un œil noir… Ils estiment que leur donner de l’argent est un dû et un droit. Le terrorisme psychologique fonctionne : apeurés, certains leur donnent quelques pièces pour avoir la paix.
« Il y a six ou sept ans, on ne voyait mendier que des vieux et des handicapés, commente Khadija Errebbah, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc. Maintenant, on voit beaucoup de jeunes hommes et femmes. C’est vrai qu’il y a la crise et le chômage, mais de plus en plus de jeunes femmes ne cherchent pas à travailler et préfèrent mendier. Beaucoup de familles leur proposent du travail, mais elles refusent pour faire le moindre effort et gagner plus d’argent ».
L’appât du gain
L’activité est en effet lucrative et pourrait rapporter au minimum entre 300 et 500 dirhams (entre 27 et 45 euros) par jour. Alors, à la fin du mois, d’après Najib Bensbia, certains ont gagné l’équivalent du salaire d’un cadre supérieur marocain. Il se souvient de deux anecdotes : « Nous avons arrêté une femme qui avait treize réseaux à travers le Maroc : elle possédait deux propriétés immobilières et une forte somme d’argent. Lorsque nous lui avons dit d’arrêter, elle a dit qu’elle ne pouvait pas faire autre chose. Une autre femme nous a dit que nous lui faisions perdre son temps, que nous devions la relâcher pour qu’elle continuent ses affaires. Ces gens ont évacué toute notion d’interdit, de morale… Cela ne les effleure pas ».
Les femmes constitueraient la majorité de ceux qui tendent la main. Le plus souvent, on les voit avec des enfants, notamment des jumeaux. Selon certains, les petits, qui sont parfois bébés, n’ont pas toujours l’air d’être la progéniture des mendiantes. Un atout pour attendrir les passants. « Les gens ne donnent pas d’argent aux femmes seules. Je pense que c’est culturel. Dans notre société patriarcale, ils vont se demandent pourquoi elles ne sont pas chez elles, pourquoi elles ne sont mariées, pourquoi elle ne trouve pas à faire des heures de ménage… Certains les assimilent à des prostituées », poursuit Khadija Errebbah.
Sensibiliser et réinsérer
Les équipes qui sillonnent les points stratégiques aideront tous les mendiants à sortir de la rue. L’idée est de sensibiliser et d’éviter la répression. « En ce qui concerne les personnes démunies, notre stratégie consiste, avec le soutien d’associations, à participer à l’intégration et l’insertion sociale en donnant des subventions pour monter des activités génératrices de revenus. Pour les mendiants professionnels, si nous les appréhendons, nous les avertissons que c’est interdit et nous leur demandons de signer un papier dans lequel ils s’engagent à ne plus mendier. Nous leur offrons aussi une aide pour qu’ils puissent se réinsérer. Si nous les reprenons, ils risquent une peine de prison ferme », détaille Najib Bensbia, du ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité.
L’arsenal juridique devrait être prochainement revu pour s’adapter à la politique de lutte contre la mendicité que le royaume chérifien applique depuis quelques années. Car, selon le responsable du ministère, sensibiliser sans avoir de quoi réprimer ne se révèle pas dissuasif. Les âmes peu scrupuleuses profitent donc des failles du système. Quant à la population, la campagne médiatique lui expliquera qu’elle peut donner, comme l’autorise la religion musulmane, mais qu’elle ne doit pas aider n’importe qui. Une façon de lui expliquer qu’il ne faut plus céder aux pressions des mendiants agressifs.
Lorsque les enseignements de Rabat et Casablanca auront été tirés, le royaume chérifien envisage d’étendre le programme à d’autres villes. L’initiative est saluée par l’Association démocratique des femmes du Maroc, qui souligne cependant qu’il est important de délocaliser l’action.
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