Le Maroc à J-1 d’une élection présentée comme « capitale » par le gouvernement Abbas El Fassi. Seul véritable enjeu des élections communales qui doivent se tenir demain : le taux de participation. Un remake du scénario des élections législatives de 2007 marquées par un taux de participation très bas, 37%, ndlr, très prévisible, selon les chefs de file des partis de l’opposition, pourrait précipiter la « chute » du gouvernement El Fassi. Un gouvernement qui a perdu le 29 mai dernier sa « majorité numérique » au Parlement après que l’« ami du roi », Fouad El Himma, président du Parti authenticité et modernité (PAM) ait décidé de se mettre en roue libre et de « basculer » dans l’opposition.
Un scénario kafkaïen. La hantise d’une abstention massive hante aussi bien le gouvernement du roi que l’armada de partis politiques, 34 au total, qui se disputeront les 27 795 sièges de conseillers communaux, ruraux et urbains. Dans les travées de l’Assemblée parlementaire marocaine, désertée en ce mercredi 10 juin par un nombre important de députés et de ministres, occupés à la clôture de la campagne électorale, les prévisions vont bon train. Qui des partis, virtuellement au « pouvoir » : Istiqlal, Parti de la justice et du développement (PJD), Mouvement populaire (MP), ou du tout nouveau Parti authenticité et modernité raflera la plus grande mise dans les 22 000 circonscriptions électorales. Le PAM, le « tracteur » comme il se fait désigner, ici au Maroc, part avec la faveurs des pronostics et…du roi. Une vraie machine électorale, capable de créer la surprise ce vendredi. Incolore, inodore, la campagne électorale tire à sa fin, aujourd’hui, à minuit.
A Rabat, capitale politique ou à Casablanca, poumon économique, dans les villes de l’Oriental marocain et du Sud, pas de signes majeurs la « kermesse » électorale. Elle n’a ni été au rendez-vous ni réussi à drainer les foules, quand bien les slogans affichés étaient charmeurs. « Tous pourris ? », s’interroge le magazine du makhzen L’actuel. Morosité, tiédeur, violence, corruption d’électeurs, recyclage électoral des notabilités, des serviteurs zélés du makhzen, la presse indépendante marocaine rapporte chaque jour les dérives qui ont émaillé une campagne, boycottée de bout en bout par les électeurs potentiels. 13 millions d’électeurs en tout. « On est dans l’escobarisation de la politique », commente le député PJD, Ahcène Daoudi, en faisant notamment référence à l’utilisation de l’argent sale dans le financement de la campagne par certains candidats. Pour chasser le spectre de l’abstention, le gouvernement a pris pourtant les devants en renforçant dans les nouveaux code électoral et charte communale, la représentation féminine. La nouvelle loi adopte l’approche genre et contraint les partis en lice à présenter sur leurs listes 12% de candidates. Un système d’incitation financière à la représentation féminine est également mis en place au profit des partis, non sans secréter quelques situations cocasses. Des partis se réclamant de la gauche, contraints et intéressés, n’ont pas hésité, à ce titre, à présenter sur leurs listes des candidates… drapées de niqab !
L’escobarisation de la politique
Les électeurs seront-ils pour autant au rendez-vous demain ? Le scrutin sera-t-il, comme promis par le gouvernement, « propre et honnête » ? Pas si sûr. Doyen des journalistes marocains et militant des droits de l’homme, Khalid Jamai affirme que ces élections peuvent se transformer en « référendum sur le système ». « Si le roi a évité cette fois-ci d’appeler ses sujets à voter, c’est pour éviter que cela ne se transforme, comme lors des élections de 2007, en référendum sur le système. » Boycott ne signifie pas « désintérêt ». « C’est une prise de position. Les Marocains refusent de cautionner, de participer à un ersatz d’élections. Des élections vides de sens puisque la seule source du pouvoir reconnue, l’article 19 de la Constitution, est le roi. Nous sommes dans une monarchie exécutive, une monarchie absolue. » Pour Samira Kinani, syndicaliste et secrétaire général adjoint de l’Association marocaine des droits de l’homme, les Marocains sont persuadés que les élections sont loin d’être un instrument du changement et de l’alternance. Pauvreté, chômage, régression des libertés publiques et privées… constituent les préoccupations premières des Marocains. « Pas les élections. Les gens en ont marre de l’incurie ambiante et ils le disent de plus en plus fort lors des manifestations qui sont systématiquement réprimées », nous dit-elle.
La démocratie face au despotisme makhzanien
Fethallah Arselan, porte-parole du parti islamiste de Al Adl oua Al Ihssan, parti islamiste, lui aussi ne croit pas à la magie des élections et s’attend à ce que ce soit la bérézina, vendredi. L’alternance au pouvoir par les élections, dit-il, ne peut pas s’accommoder d’un système de monarchie absolue. Il faudrait réformer la Constitution et répartir les pouvoirs parce que les institutions actuellement, le Parlement, les conseils communaux, municipaux, ne sont que des coquilles vides. Tout est sous la botte du makhzen. Pouvoir absolu de la monarchie : le fin mot de la démocratie de façade au Maroc. Abdellah El Harrif, le seul à camper le rôle de trublion lors de la campagne électorale, l’unique sur la scène politico-médiatique à vouloir faire échec au roi, partage le même constat. Le porte-parole du parti marxiste-lénéiste Ennahdj Edimocrati, la Voie démocratique, a été convoqué mardi par le procureur de Rabat pour avoir osé distribuer des appels au boycott et demander une révision de la loi fondamentale.
Ces élections, analyse-t-il, se déroulent dans des conditions bien particulières : « Exacerbation du despotisme makhzanien et du pouvoir individuel absolu qui sont légitimés par la Constitution non démocratique, la poursuite de la domination des mafias makhzaniennes et de l’impunité dans les crimes politiques et économiques que le pays a connus et une mainmise renforcée du régime sur les différents domaines. L’absence d’une alternance sur le pouvoir effectif : le Parlement demeure une chambre d’enregistrement et le gouvernement un groupe de hauts fonctionnaires, annihilant toute possibilité d’influer sur les décisions vitales, lesquelles demeurent entre les mains du régime, du bloc des classes dominantes, de l’impérialisme et de ses organismes politiques, économiques, financiers et commerciaux. » Le scrutin de demain, ajoute-t-il, intervient dans un climat de régressions dans le domaine des droits humains et des libertés démocratiques, « légitimés par des législations rétrogrades dont la loi contre le terrorisme, le code de la presse, le code des libertés publiques ».
Par Mohand Aziri pour El Watan