La production de hasch marocain reprend de plus belle. L’Union européenne, principale cible de ce commerce fumant, y voit un motif supplémentaire de soutien à l’économie chérifienne. Outre les devises qu’il rapporte, l’or vert pousse Bruxelles à aider au développement des régions déshéritées. Formidable !
Huit ans après la très médiatique annonce d’une « guerre à la drogue » du feu roi chérifien, Hassan II, la production de hasch roule comme sur des boulettes. Celle-ci est en progression constante dans le Rif, lieu traditionnel de culture du « kif ». Mieux : elle s’étendrait dans des zones méridionales, jadis épargnées, comme les régions avoisinant les villes de Taza, El Jedida, Agadir ou Beni Mellal.
25% des devises du royaume
Les experts estiment qu’à la faveur de la récente sécheresse qui a détruit nombre de terres arables, le cap fatidique des 2000 tonnes de résine de cannabis pourrait être franchi cette année, confortant le Maroc dans sa place de premier exportateur mondial de « H ».
Le volume des saisies en Espagne, principal indicateur pour estimer les exportations illicites, serait passé, selon la presse ibérique et l’Observatoire géopolitique des drogues (OGD), de 297 tonnes en 1997 à 400 tonnes en 1999. Chiffres considérables qui, à moins d’un regain d’efficacité de la lutte contre le trafic, témoigneraient d’un véritable boom de la production de l’or vert.
D’après un rapport commandé par l’Union européenne, 25% des devises étrangères qui tombent dans l’escarcelle du royaume proviendraient de ce commerce qui fait vivre 200 000 familles.
Les officiels marocains reconnaissent l’existence de 30 000 hectares de champs de chanvre sur leur territoire. Mais le chiffre de 180 000 hectares est généralement admis comme plus proche de la réalité.
Les ambiguïtés du pouvoir
Si le commerce des dérivés cannabiques est illégal au Maroc, il est reconnu comme une source de revenus. Lors de son premier voyage officiel à travers le Rif, le nouveau souverain Mohamed VI s’est bien gardé d’en critiquer la production.
Au cours de deux enquêtes qui ont provoqué la fureur des dignitaires du régime, l’OGD a clairement désigné l’administration marocaine, les établissements financiers situés dans les enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta, ainsi que les cercles proches du pouvoir royal comme complices objectifs de ce trafic. « Lorsqu’un fonctionnaire du ministère de l’agriculture montre à nos enquêteurs une carte précise des zones de culture, établie par ses services dans le but probable de les taxer, il est difficile de croire en la thèse d’un Rif que le pouvoir central ne contrôlerait que peu ou mal », estime Alain Labrousse responsable de l’Observatoire et auteur d’ « Etat des drogues, drogue des Etats ».
Et si les exportations de hasch (destinées pour 85% à l’Europe, selon Europol), ont sans doute pesé sur les négociations bilatérales avec l’Union européenne et les discussions relatives au traité de Barcelone qui fait du Maroc un partenaire privilégié de l’UE, rien dans l’attitude de Bruxelles ne laisse présager des sanctions commerciales.
Le Maroc kiffe les aides européennes
Bien au contraire : « Le fait que le Maroc exporte du hasch est un motif supplémentaire de partenariat. Raison de plus de multiplier, par exemple, les projets communs de développement rural visant à substituer d’autres cultures à celle du cannabis », explique une source proche du dossier à Bruxelles. Ajoutant : « L’approche américaine qui tend à dire à un partenaire du Sud, ‘si tu ne luttes pas assez contre la drogue, je te sanctionne’, est aux antipodes de l’approche de l’Union européenne ».
Rien d’étonnant donc, si l’Espagne qui est le premier des pays européens à faire pression sur le royaume afin qu’il limite ses exportations, a initié un vaste plan pour le développement du Nord marocain. Madrid a rendu public, en mai, un rapport de mille pages intitulé Programme de développement et de structuration de la région méditerranéenne du Maroc (PAIDAR), dont l’élaboration a duré cinq ans et coûté quelques 580 millions de pesetas (22 millions de FF) aux contribuables espagnols.
Afin d’appliquer le PAIDAR et enrayer la production et le trafic de cannabis, le gouvernement s’est dit prêt à débourser plus de 550 millions de FF en deux ans, pour seulement amorcer le programme et la coopération scientifique. Madrid, par la voix du Premier ministre, José Maria Aznar, a ajouté dans la corbeille de propositions relatives au PAIDAR, la reconversion pure et simple de la dette marocaine due à l’Espagne, en inversions : le créancier efface l’ardoise à condition que la somme correspondante soit affectée à des projets de développement.
Outre les profits qu’il engendre, le kif encourage l’aide au développement en faveur des régions déshéritées du royaume et permet de multiplier les offres de partenariats avec l’Union européenne à laquelle le Maroc est candidat. Ce sont là des effets inédits du chanvre marocain à qui l’on prête généralement des vertus bien différentes.
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