Sarpong, forgeron de 35 ans, gère une petite boutique à Kumasi, la seconde ville du pays. Bien qu’il ait été formé à fabriquer des ustensiles de cuisine, il préfère fabriquer des armes, car cela lui permet de gagner davantage d’argent. L’industrie clandestine d’armes légères qui ne cesse de se développer au Ghana.
Quand les affaires se portent bien, son magasin peut enregistrer un chiffre d’affaires de 1 000 dollars par semaine, a-t-il dit. D’après lui, les étrangers paient mieux que les Ghanéens. « La plupart de mes clients viennent du Nigeria ou de Sierra Leone ». « Si vous avez l’argent, je peux vous faire un AK », a-t-il dit à IRIN.
M. Sarpong vend à des clients en utilisant les services de passeur d’armes – bon nombre d’entre eux étant d’anciens soldats de maintien de la paix ou des mercenaires, d’après l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) – au sein d’une industrie clandestine d’armes légères qui ne cesse de se développer, selon Kwasi Apea-Kubi, ministre ghanéen adjoint de l’Intérieur, une information confirmée par des sources policières.
La prolifération des armes légères déstabilise les pays d’Afrique de l’Ouest et a aggravé l’impact humain des conflits dans la région, d’après des experts en armes dans la zone.
M. Apea-Kubi, qui a récemment fait le tour du pays pour découvrir l’industrie des armes légères au Ghana, a rencontré, au cours de ses visites, des centaines d’armuriers qui « reconnaissaient ouvertement qu’ils fabriquaient des armes », bien que la production locale d’armes légères soit illégale.
« Nous savons que bon nombre des cas de vols à main armée auxquels nous assistons ont recours à ces armes légères », a dit à IRIN M. Apea-Kubi.
Environ 80 pour cent des armes à feu confisquées par la police ghanéenne sont de fabrication artisanale, d’après Africa Security Dialogue and Research, une ONG (organisation non gouvernementale) basée à Accra, la capitale.
Les rapports de police indiquent que les vols à main armée sont de plus en plus fréquents au Ghana : on en compte aujourd’hui des centaines par mois. D’après l’UNODC, au Ghana, les armes de fabrication artisanale sont utilisées dans un quart à un tiers des crimes avec violence.
Lors d’un raid policier très médiatisé, effectué mi-septembre dans une base de fabrication d’armes dans la région Centrale, la police a saisi 30 armes, avant de découvrir que ces armes avaient été vendues à des voleurs par des forgerons.
Les estimations de la production d’armes sont variables. La Commission nationale sur les armes légères, mise en place en 2007 pour surveiller la fabrication et les mouvements transfrontaliers d’armes légères, estime à 40 000 le nombre d’armes ghanéennes en circulation ; l’UNODC estime ce nombre à 75 000, tandis que Kwesi Aning, directeur du département de résolution des conflits du Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix, à Accra, l’estime à 200 000.
« La production locale a récemment explosé », a dit à IRIN M. Aning.
Les forgerons ont les connaissances et le savoir-faire nécessaires pour fabriquer des armes à un coup et des revolvers ou des fusils à plusieurs coups, d’après l’UNODC. Lorsqu’IRIN a mené une enquête sur une vente de pistolets de fabrication locale dans les environs de Tudu – la région de référence à Accra pour les armes légères –, un vendeur connu seulement sous le nom de Musah refusait de vendre un fusil à canon unique à moins de 130 dollars.
« Vous ne pourrez pas trouver moins cher sur le marché », a dit Musah à IRIN. « Renseignez-vous. Mes armes sont fabriquées par les meilleurs forgerons ».
Instabilité régionale
M. Aning, qui a mené, il y a plusieurs années, des recherches sur l’industrie clandestine des armes légères pour la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, a constaté un lien entre le développement de l’industrie des armes légères et les conflits dans la sous-région.
Le rapport d’évaluation de la menace en Afrique de l’Ouest, publié en juillet 2009 par l’UNODC, établit un lien direct entre le trafic d’armes et l’instabilité dans la région, les principaux clients des trafiquants d’armes clandestins étant des personnes cherchant à renverser ou à défier l’autorité de l’Etat.
« L’instabilité au Togo, au Nigeria et en Côte d’Ivoire a fait monter les prix des armes fabriquées au Ghana », a dit M. Aning.
D’après lui, des armuriers ghanéens ont été invités à transmettre leur savoir-faire à des forgerons de la région du delta du Niger.
Cependant, les acheteurs d’armes ghanéennes sont principalement des individus, les groupes d’insurgés plus organisés se procurant des armes plus lourdes à l’extérieur de la région, d’après l’UNODC.
Alternatives
Le gouvernement cherche des solutions inventives pour résoudre le problème, a dit à IRIN M. Apea-Kubi, ministre adjoint de l’Intérieur, car jusqu’à présent, les arrestations et les emprisonnements des forgerons coupables n’ont fait qu’inciter les trafiquants à se cacher davantage.
« Nous sommes conscients de devoir prendre des mesures, mais nous ne voulons pas avoir recours à la force », a-t-il dit.
Les membres du ministère de l’Intérieur consultent les armuriers à travers le pays afin de trouver des moyens permettant de les attirer vers des moyens de subsistance alternatifs légaux, et cherchent des solutions pour empêcher le trafic transfrontalier.
M. Apea-Kubi espère en outre que les armuriers accepteront que leurs noms et leurs lieux d’exercice soient enregistrés dans une base de données nationale, de façon à ce que leurs activités puissent être surveillées. Cela permettrait au moins de rendre l’industrie un peu plus transparente, a-t-il dit.
Mais M. Sarpong n’est pas convaincu. « Aucune solution alternative ne peut me garantir autant d’argent que ce que je gagne en vendant des armes. Ils ne devraient pas perdre leur temps. »