Multiplié par 10 en 4 ans, le tourisme au Mali connait un boom spectaculaire que le pays souhaite faire fructifier. Comment l’Etat s’organise pour faire face à la situation ? Quelles sont les atouts et les difficultés du pays ? Quelle est la politique touristique nationale ? N’Diaye Bah, le ministre de l’Artisanat et du Tourisme du Mali, de passage à Paris dans le cadre du Salon mondial du tourisme, dresse un nécessaire état des lieux. Interview.
Le tourisme est en passe de devenir un des secteurs clés de l’économie malienne. Un tourisme avant tout culturel qui connaît une croissance exponentielle dans le pays. Favorisée par une ferme volonté politique de développement, l’activité a bénéficié d’importants investissements financiers. Pas assez en revanche pour faire complètement face à l’afflux de voyageurs. N’Diaye Bah, le ministre de l’Artisanat et du Tourisme du Mali, était à Paris dans le cadre du Salon mondial du tourisme (16 au 19 mars). L’occasion pour Afrik d’en savoir un peu plus sur la situation du secteur dans le pays, les ambitions nationales et les difficultés rencontrées.
Afrik.com : Comment se porte le tourisme au Mali ?
N’Diaye Bah : Depuis que le Président Amadou Toumani Touré est venu au pouvoir en 2002, le tourisme a fait un pas de géant. Le chef de l’Etat a initié la création d’une saison touristique dans le pays (de septembre à fin avril), pour créer un choc psychologique chez les Maliens, afin de leur montrer l’importance du tourisme dans une économie. Le secteur a engrangé pour la saison écoulée plus de 86 milliards de FCFA de chiffre d’affaires (131 millions d’euros). Un chiffre qui a été multiplié par dix depuis 2002. Avant 2002, nous étions à 33 000 touristes dans le pays (par rapport aux nuitées, ndlr), aujourd’hui nous sommes à 300 000.
Afrik.com : Le tourisme est un secteur relativement nouveau pour le Mali. Comment réagissent les Maliens à de tels afflux de personnes ?
N’Diaye Bah : Les Maliens sont d’un naturel accueillant. Ils ont par ailleurs découvert avec surprise que le tourisme crée de la richesse. Qu’il pouvait être un secteur tout aussi porteur que l’agriculture, l’élevage ou les mines. Et il est vrai que le tourisme crée des emplois et de la valeur ajoutée. C’est un secteur très transversal, il touche tous les champs économiques. Quand vous développez le tourisme, vous développez l’agro-industrie, le bâtiment et les travaux publics, le transport, les banques, l’artisanat… Tout cela créer de l’activité économique qui fixe les habitants dans leur terroir et leur évite de tenter l’aventure parfois hasardeuse de l’immigration.
Afrik.com : N’avez-vous pas peur que le Mali perde son identité culturelle face à cette arrivée massive de touristes souvent considérés comme rois dans les grands pays touristiques ?
N’Diaye Bah : Pas vraiment, car notre tourisme est avant tout culturel ou encore appelé « tourisme d’aventure et de découverte ». Et nous avons lancé, avec l’aide du Programme des Nations Unies pour le développement, une opération visant à préserver et à protéger nos différents sites, qui font partie du patrimoine culturel national et même mondial.
Afrik.com : De quels pays viennent les touristes ?
N’Diaye Bah : La France est le plus grand réservoir de touristes pour le Mali. Suivent ensuite l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Japon…
Afrik.com : Existe-t-il un tourisme national ?
N’Diaye Bah : Les Maliens, du pays ou de l’extérieur, visitent effectivement le Mali. Le pays est en train de changer, il y a une évolution notable des mentalités. Pendant la conférence que nous avons organisée au salon du tourisme à Paris, les Maliens de l’extérieur ont, par exemple, émis l’idée de faire découvrir le pays à la seconde génération à travers des colonies de vacances. Et nous sommes en train de travailler en partenariat avec la mairie de Montreuil (banlieue parisienne) sur ce dossier.
Afrik.com : Le Mali a des régions touristiques traditionnelles. Comptez-vous élargir votre gamme ?
N’Diaye Bah : Nous sommes en train de diversifier la carte touristique du Mali. Avant, notre tourisme était cantonné dans un triangle : Tombouctou, le Pays Dogon et Djenné. Ségou (280 km de Bamako, ndlr) est depuis devenu une nouvelle destination. Et nous sommes en train d’aller vers Kayes (extrême ouest du pays, ndlr) qui va abriter le lancement de la saison touristique 2006, sous l’égide du chef de l’Etat. Nous allons organiser en novembre la venue de journalistes de la presse spécialisée pour un voyage de repérage des différents lieux touristiques de ladite région. A court terme, c’est tout le Mali qui sera touristique.
Afrik.com : Quelles difficultés rencontrez-vous dans la gestion de l’afflux massif de touristes dans le pays ?
N’Diaye Bah : Il y a beaucoup de contraintes, car le tourisme est nouveau dans notre pays et c’est allé trop vite. Aujourd’hui, les opérateurs du secteur ont besoin d’être formés : les guides, les hôteliers, les commerçants, les transporteurs. J’ai rencontré mon homologue français qui s’est engagé à nous aider à créer, à Bamako, une école sous-régionale de formation aux métiers du tourisme.
Afrik.com : N’y a-t-il pas un problème d’infrastructure ?
N’Diaye Bah : Nous avons réalisé plus de 60 milliards d’investissements (91,4 millions d’euors), mais il reste des secteurs à améliorer. L’aéroport de Bamako n’est, par exemple, plus adapté à nos besoins. Il est devenu trop petit par rapport aux flux de touristes qui arrivent sur le Mali. Nous sommes à pied d’œuvre pour les solutions d’hébergement. Nous avions une dizaine d’hôtels dans le pays au début des années 2000, et désormais nous en avons 288.
Afrik.com : Le Mali a-t-il une véritable politique de développement en matière de tourisme ?
N’Diaye Bah : Nous sommes en train d’élaborer ce qu’on appelle « Le schéma directeur du tourisme ». Une feuille de route que nous réalisons avec l’Organisation mondiale du tourisme et qui va définir la politique touristique du Mali pendant les 15 prochaines années. Nos deux grands axes prioritaires : formation et développement des infrastructures.
Afrik.com : Quels sont les avantages concurrentiels du Mali en matière de tourisme ?
N’Diaye Bah : Outre son patrimoine culturel, le Mali est un îlot de paix dans la sous-région, grâce à la formule politique que nous avons adaptée et qui s’adapte à nos réalités. Une démocratie consensuelle qui fait appel à tous les fils du pays. Par ailleurs, le Mali est devenu un véritable carrefour sous-régional, car nous avons réussi à faire de notre continentalité (le Mali n’a aucun accès à la mer, ndlr), qui était jadis un handicap, un atout. La position de Bamako est idéale. Quatre-vingt dix minutes de Dakar (Sénégal), de Conakry (Guinée), ou d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Trois heures de Casablanca (Maroc) et cinq heures de Paris.
Afrik.com : Vous avez dû vous adapter face à la crise en Côte d’Ivoire dont vous étiez très dépendant…
N’Diaye Bah : Aujourd’hui le Mali est totalement désenclavé. Nous sommes reliés à Dakar par une voie bitumée par le Nord et nous sommes en train de construire une autre autoroute qui passera par le centre et une autre encore par le Sud. Nous avons en construction une autoroute qui partira de Gao jusqu’au Niger. Une autre qui desservira Nouakchott (Mauritanie) et ira jusqu’au Maroc.
Afrik.com : Travaillez-vous avec les ministres du tourisme d’Afrique de l’Ouest pour réfléchir au secteur au niveau régional ?
N’Diaye Bah : Le visa est aujourd’hui une contrainte. Nous sommes en train d’élaborer un projet de visa commun à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Un document qui facilitera la fluidité des flux et permetta à un touriste de visiter librement tous les pays de la zone.
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