Les missions religieuses européennes envoyées en Afrique à la fin du XIXe siècle ont soutenu la colonisation en la faisant passer alors pour une « mission civilisatrice ». C’est ce « malentendu colonial » qu’explore le réalisateur Jean-Marie dans son dernier documentaire, qui se focalise plus précisément sur l’histoire coloniale de l’Allemagne avec la Namibie.
Wupperthal est une ville allemande tranquille, douillette et un peu grise. C’est la ville qui a vu naître le philosophe Hengels et la chorégraphe Pina Bausch. Elle a été érigée en 1928. Pourtant, à des milliers de kilomètres de l’Allemagne, un petit village au Nord de Cape Town, en Afrique du Sud, portait déjà ce nom en 1829, grâce à l’établissement de missionnaires dans la région… « Pour une fois, la colonie précède la métropole », fait remarquer Jean-Marie Teno dans le début de son dernier documentaire, Le malentendu colonial.
Wupperthal sera donc le point de départ d’une analyse du rôle de la mission de Rhénanie, qui a précédé, accompagné et survécu à la colonisation allemande en Afrique. Ce sera aussi l’occasion d’une réflexion sur la colonisation, que la propagande coloniale appelait alors « mission civilisatrice ». Grâce aux témoignages et interviews croisés de différents acteurs, hommes d’église et historiens africains et allemands, Jean-Marie Teno s’attache à mettre en lumière les contradictions et l’hypocrisie des discours coloniaux. Comme dans certains de ces précédents films, Jean-Marie Teno raconte son cheminement en voix off, et entraîne de façon très personnelle le spectateur dans ses va-et-vient entre l’Europe et l’Afrique.
Un documentaire commandé par l’Allemagne
Ce documentaire est un film de commande de l’Allemagne, à l’occasion du centenaire du génocide des Hereros, en Namibie, lors d’une terrible guerre coloniale (1904-1907). Génocide pour lequel l’Allemagne a récemment officiellement demandé pardon. Basés sur des documents et des photographies d’époque, certains passages du documentaires sont extrêmement durs, expliquant que l’« ordre d’extermination » donné en 1904 par le général Lothar von Trotha, alors que les Hereros sont en fuite, ne relève plus de la stratégie militaire, mais de l’acharnement. Suite à cet ordre, interdiction de faire des prisonniers. On tire sur les hommes, les femmes et les enfants. On les refoule dans le désert d’Omaheke, où beaucoup vont mourir de faim et de soif. On parque les survivants dans ce que l’on appelle déjà « camps de concentration », avec travail forcé et mauvais traitements, qui préfigurent les futurs camps nazis.
Zephania Kameeta, évêque de l’église luthérienne de Namibie, explique que « la parole de Dieu a été utilisée pour opprimer le peuple noir ». Un historien renchérit : « On a fait comme s’il y avait un vide qu’il fallait combler, comme si Dieu n’existait pas en Afrique. Les missionnaires d’alors disaient qu’ils allaient coloniser pour apporter la lumière… » Et Peter Pauli, archiviste à Windhoek de dire : « Les missionnaires étaient convaincus que cette partie du monde était le continent des ténèbres où l’on ignorait tout de Jésus-Christ. En fait, ces missionnaires venaient jusqu’ici pour porter ce qu’ils appelaient ‘la bonne nouvelle’ ». Ces mêmes missionnaires qui soutiendront la mise en place, en Namibie, d’une législation raciale, perfectionnée sous l’Apartheid en Afrique du Sud. C’est bien de ce « malentendu » qu’il s’agit dans le film de Jean-Marie Teno : cette compromission des hommes d’Eglise avec la volonté coloniale d’asservissement. Ou l’éthique chrétienne au service du pillage des richesses des pays africains… Le « malentendu colonial » est l’expression d’un historien togolais qui définit « la rencontre traumatique entre l’Europe et l’Afrique ». « Les siècles passent et l’Afrique reste toujours une terre de mission », explique le réalisateur. « Les ‘humanitaires’ d’aujourd’hui ont remplacé les missionnaires d’hier. La colonisation a revêtu le costume de la mondialisation et, en Afrique, rien de nouveau à l’horizon : toujours un peu plus de charité et un peu moins de justice. »
Le malentendu colonial, de Jean-Marie Teno (France-Allemagne-Cameroun, 1h18), sortie française le 14 septembre 2005.
Lire aussi :
Namibie : les confessions allemandes