En Inde, ses feuilles séchées sont utilisées comme soin capillaire ; en Afrique de l’Est, la plante fait office de fourrage ; les Mauritaniens en fument les graines ; et dans les campagnes sénégalaises, où elle est connue sous le nom de leydour, elle est cultivée pour ses vertus médicinales et compense les pertes agricoles dues au changement climatique.
Senna (ou Cassia) italica est une plante vivace à feuilles caduques qui peut-être récoltée tout au long de l’année. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle est de plus en plus cultivée dans certaines régions du Sénégal.
Traditionnellement, les paysans du département du Nioro du Rip, dans la région de Kaolack (centre-ouest du Sénégal), cultivent l’arachide, le millet et le maïs, mais les revenus issus de ces cultures sont en recul depuis quelques années. Dans trois villages de la commune de Kaymor, plus de 300 femmes compensent cette baisse en cultivant le leydour à grande échelle.
Bocar Dioum, ancien directeur des services de santé de la commune, se consacre aujourd’hui à des activités de formation agricole dans la région. « Le leydour qui est un facteur de progrès social a radicalement transformé les conditions économique et sanitaire des femmes à Kaymor », a-t-il dit à IRIN. « Devant la chute des rendements agricoles du fait des changements climatiques et le taux élevé de consultations au poste de santé, nous avons trouvé une réponse dans la réhabilitation des plantes médicinales, plus précisément du leydour. »
Une plante multi-usage
Dans la médecine traditionnelle sénégalaise, les feuilles, les cosses et les graines de leydour sont utilisées pour soigner les maux d’estomac, la fièvre, la jaunisse, les maladies vénériennes et les troubles biliaires. La plante est également prescrite en traitement contre les vers intestinaux et ses feuilles sont utilisées en cataplasme pour soigner des problèmes cutanés comme les brûlures et les ulcères.
« Un hectare de leydour rapporte beaucoup plus d’argent que deux hectares de mil et d’arachide réunis avec beaucoup moins d’investissements financiers et d’efforts physiques », a expliqué Cheikh Ndiaye, chef d’un village de la région. « On peut récolter et vendre les feuilles de leydour tous les deux mois alors que le mil ou l’arachide sont saisonniers. Le kilo de leydour est vendu beaucoup plus cher (1500 francs CFA, soit 2,6 dollars) que toutes les autres [cultures commerciales] que l’on retrouve ici. »
Fatou Deme est à la tête d’une association de 115 agricultrices de Keur Samba Dié et de deux autres villages de la commune de Kaymor. « La consommation de cette plante a sensiblement amélioré la santé des populations du village, a-t-elle expliqué. Nous allons de moins en moins en consultation au poste de santé de Kaymor. L’autre avantage est que nous en vendons, et les recettes que nous en tirons nous aident à régler certains besoins sociaux. »
Un secteur touché par le changement climatique
L’agriculture, pilier de l’économie rurale sénégalaise, a été fortement affectée par le changement climatique, et la situation à peu de chances de s’améliorer. D’après Ibrahima Hathie, directeur de recherche à l’Initiative Prospective Agricole et Rurale, un institut dakarois de recherche et de formation en agriculture, les températures dans le centre du Sénégal devraient augmenter de 1,5 à 1,75 degré d’ici 2050, tandis que les précipitations devraient diminuer de 20 à 30 pour cent.
« Les populations sahéliennes vivent au quotidien les impacts […] du changement climatique qui sont ressentis sur la sécurité alimentaire, sur l’accès à l’eau des populations et sur la dégradation des écosystèmes, » a dit Souleymane Diallo, directeur de cabinet du ministère de l’Environnement et du Développement durable. « Il est ainsi nécessaire de prendre rapidement des mesures […] pour limiter l’impact du changement climatique sur l’agriculture et ses conséquences en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle (…) »
Des vues sur de nouveaux marchés
D’après Mme Deme, le collectif de Keur Samba Dié, qui compte 25 membres, a tiré 215 000 francs CFA (450 dollars) de la récolte de leydour cette année. « Une partie est épargnée et déposée dans notre compte bancaire et nous avons partagé le reste de l’argent entre les membres. C’est vous dire que la production de leydour nous est très utile financièrement. Nous avons un réel intérêt à ce que la culture du leydour perdure dans notre village », a-t-elle expliqué, ajoutant qu’elle espérait trouver de nouveaux marchés avec l’aide du gouvernement et du secteur privé.
Mme Deme a notamment dans l’idée d’améliorer l’étiquetage des produits en indiquant l’origine géographique de la plante et ses multiples vertus.
Les débouchés potentiels du leydour ne se limitent pas au Sénégal : dans de nombreuses régions du monde, y compris sur les sites de commerce en ligne les plus connus, les feuilles de leydour séchées et écrasées se vendent comme soin capillaire sous le nom de « henné naturel ». Et la production est rapide : deux mois après avoir semé des graines de leydour, on peut déjà en récolter les feuilles, les sécher et les vendre.
Une culture biologique
« Nous n’utilisons pas d’engrais et de pesticides chimiques. Tout est organique », a précisé Mme Deme avant d’expliquer que les attaques de parasites pouvaient être évitées en appliquant de l’huile de neem sur les cultures.
La culture de leydour profite à tout le village, a ajouté Aissatou Touré, elle aussi membre de l’association. « Nous nous soignons avec, nous traitons nos animaux et sa vente nous procure de l’argent. Keur Samba Dié a fait des émules puisque des villages environnants ont suivi nos pas. »
Selon Ndèye Ndiaye Touré, qui préside une association de 70 cultivatrices du village de Passy Kaymor, la culture de leymour a complètement changé leur vie. « Certes, nous cultivions des légumes. Seulement, il nous fallait de l’argent pour acheter des semences et autres intrants agricoles. Comme qui dirait, la culture du leydour ne nécessite aucune dépense financière particulière. Nous nous soignons avec et gagnons en plus de l’argent. Nous l’associons aux cultures maraîchères entièrement biologiques. C’est un plus pour nous les femmes. »
Les feuilles de leydour séchées et réduites en poudre sont vendues à des herboristes à 1 500 francs CFA le kilo, dont 375 sont mis en réserve par le collectif dans un pot commun. « Nous arrivons à réunir plus de 500 000 francs [CFA] après chaque cueillette de feuilles […] comme épargne avec lequel nous supportons les besoins de nos membres comme à l’occasion des fêtes religieuses, lorsqu’elles ont un besoin ponctuel d’argent, a appris Mme Touré à IRIN. Mieux, il nous arrive de préfinancer l’achat de semences d’arachide pour nos époux qui nous remboursent après les récoltes. »
Des rendements impressionnants
Les hommes de Passy Kaymor étaient sceptiques au départ, s’est souvenue Kany Touré, mais les femmes du village ont rapidement montré qu’elles pouvaient récolter d’importantes quantités de feuilles, même si le total des toutes premières récoltes avoisinait seulement les dix kilos.
Les rendements ont commencé à s’envoler lorsque les terres communales ont été divisées en parcelles individuelles réparties entre les membres de la coopérative.
Kany Touré a également signalé un autre avantage : « Le leydour a mis un terme à la coupe de bois abusive dont nous nous nourrissions de la vente […] À présent, nous volons [de] nos propres ailes. » La production annuelle de feuilles de leydour séchées pourrait bientôt atteindre la quantité record de 500 kilos rien qu’à Passy Kaymor, a-t-elle ajouté.
Le succès du leydour s’est propagé à d’autres parties du département et même au-delà de la région de Kaolack, car ces pionnières ont partagé leur savoir-faire ailleurs au Sénégal.
IRIN