Le leader d’Apouké en prison


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Apouké
Apouké

Apouké est incarcéré depuis le 14 janvier dernier pour, selon une source policière, « sorcellerie avec envoûtement dans le but de nuire ». Des habitants d’un quartier de Cotonou accusent en effet le leader du célèbre groupe de rap béninois éponyme d’avoir pris l’âme d’un enfant. Wilfrid Ndong, notre correspondant au Bénin, a pu obtenir quelques éclaircissement dans cette affaire trouble.

Emprisonné pour « sorcellerie avec envoûtement dans le but de nuire ». C’est pour ce motif que Merveilles Davy Kokou Zinsou, alias Apouké, a été arrêté le 14 janvier dernier par la gendarmerie, puis conduit derrière les barreaux de la prison civile de Cotonou, la capitale béninoise. Des témoignages accusent en effet le leader du célèbre groupe de rap béninois éponyme d’avoir tenté de prendre l’âme d’un enfant pour un rituel sorcier lié à la divinité Mami Wata (Mami Wata, ou Mother Water, est la mère des eaux. C’est une sirène, une déesse hybride mi-femme mi-poisson, adorée dans toute l’Afrique occidentale et centrale. La divinité, devenue la déesse préférée des « Africaines libres » habitant des villes post-coloniales, fait l’objet de rites propitiatoires, de magie noire et de sorcellerie, mais est aussi source d’espérance en une vie meilleure). Wilfrid Ndong, notre correspondant au Bénin, a pu se renseigner sur cette histoire, plus que trouble, auprès d’une source policière.

Apouké aurait voulu prendre l’âme d’un enfant

Apouké a été arrêté par la brigade de gendarmerie de Cotonou pour des faits qui remonteraient au mois de janvier 2005. Un garçon de 10 ans, de retour de l’école, a été abordé par Apouké sur une voie passante de Cotonou, selon un proche de la petite victime. Le chanteur, à bord de son véhicule, facilement identifiable parce que portant la mention « Apouké », a porté à la hauteur du visage de l’enfant un miroir. L’artiste lui aurait alors demandé de décrire ce qu’il y voyait.

Il était question de plusieurs reptiles entrelacés dans un premier temps, puis d’un être ayant un visage humain mais une queue de poisson, un sirène appelée sur le continent Mami Wata. Ce qui ne semble pas surprenant, compte tenu du fait qu’Apouké est justement est un fervent adepte du culte de cette divinité des eaux, dont il pense être une réincarnation. L’artiste de 26 ans a alors sorti une pièce de 100 FCFA, en aspergeant un liquide non identifie sur le visage de l’enfant. Ce rituel, confient certains adeptes du culte de Mami Wata, destiné à prendre l’âme et l’esprit d’un enfant innocent dans le but de gravir les échelons et devenir célèbre et riche.

Apouké agressé par la foule et peut-être par les gendarmes

Apouké a ensuite démarré en trombe, sous le regard médusé de quelques passants qui suivaient de loin la scène. Quelques minutes après le jeune garçon a perdu connaissance et a été ramené chez lui par un conducteur de taxi-moto. Mise au fait des événements, la famille a porté plainte auprès des autorités compétentes, d’autant plus que la victime souffrait d’un déséquilibre psychologique.

Ayad-Abdul, alias Arc-en-ciel, un autre membre du groupe contacté par Afrik.com, explique l’épisode qui a précédé l’arrestation d’Apouké. Un récit qui laisse entendre le jeune homme n’est responsable de rien. « Le mardi 11 janvier au soir, où nous recevions des amis, des personnes sont venues à la maison. Elles ont dit à Apouké qu’il y avait du boucan près de chez lui. Nous nous sommes déplacés pour voir ce qui se passait et c’est là que nous nous sommes faits agresser par des gens qu’Apouké avait déjà vus. L’un d’eux lui avait demandé dans l’après-midi s’il connaissait quelqu’un qui lui ressemblait beaucoup et s’il avait perdu ou prêté sa voiture à quelqu’un. Nous ne comprenions pas ce qu’ils nous voulaient. Ce n’est qu’après que nous l’avons su », raconte-t-il.

Notre correspondant ajoute que c’est, selon ses sources, « la foule munie de gourdins et de lance-pierres qui, en apprenant ce qui est arrivé à l’enfant, a brutalisé Apouké, avant de le mettre à la disposition des gendarmes d’Avotrou. Une fois dans les locaux, l’intéressé a tout nié en bloc, ce qui a beaucoup irrité les gendarmes chargés de l’enquête. Ils auraient d’ailleurs, selon l’entourage du chanteur, battu et molesté l’artiste. Ce dernier aurait pour sa part déclaré, en réplique à ces violences, que ‘le christ aussi avait déjà subi tel outrage…’ » Interrogée sur les accusations de brutalité, la source policière de notre correspondant a éprouvé une certaine gêne et a refusé d’infirmer ou de confirmer l’information. Notre correspondant a tenté, sans succès, de joindre la brigade de la gendarmerie d’Avotrou pour avoir leur version des faits.

Apouké confondu avec un autre ?

Arc-en-ciel donne une autre version : « Le lendemain de l’agression, à la demande du chef de quartier, nous nous sommes rendus à la gendarmerie d’Avotrou, dans le quartier d’Akpakpa de Cotonou, pour parler des événements de la veille. Les gendarmes ont ouvert un dossier portant les mentions ‘magie’ et ‘charlatanisme’ et ont entendu les deux parties. Dans un premier temps, ils ont estimé qu’il n’y avait rien de concret contre Apouké et ont préféré attendre les analyses de l’enfant, qui ont été faites le jour même et n’ont rien révélé. Mais avant les résultats des examens, la mère de l’enfant, inquiète, est allée à la gendarmerie avec d’autres femmes en faisant tellement de bruit que le commandant de brigade a dit qu’Apouké devait être transféré à la brigade territoriale de Cotonou pour sa sécurité. Les autres membres du groupe, d’autres frères et moi-même avons été hébergés dans les locaux de la brigade. »

Arc-en-ciel poursuit que c’est le 14 janvier qu’Apouké a été incarcéré. « Le juge d’instruction a décidé de le garder sans qu’il ne sache pourquoi, même à ce jour », se raconte-t-il. L’homme a ensuite été envoyé à la prison civile de Cotonou, d’où il n’a pas bougé depuis. Arc-en-ciel souligne qu’Apouké a récemment été entendu au tribunal. Prochainement, ce devrait être le tour des plaignants et des témoins. Après cela, le procureur jugera de s’il veut libérer le chanteur. « L’avocat d’Apouké va lui envoyer une lettre de demande de libération », rapporte en effet le membre du trio.

Des artistes soutiennent Apouké

En attendant, le moral d’Apouké, toujours selon Arc-en-ciel, est « un peu bas », même s’il reste « en général bon ». Notre correspondant a rencontré, à la prison civile de Cotonou en milieu de semaine dernière, un détenu qui venait d’être libéré. Il lui a, au contraire, expliqué que le moral d’Apouké était haut et que, s’il était emprisonné, c’était par la volonté des divinités. L’ancien détenu précise que le chanteur prêche beaucoup et qu’il a confiance en la justice de son pays. Arc-en-ciel a confié à Afrik.com que de nombreux artistes étaient venus apporter leur soutien à Apouké, en lui rendant visite en prison. « Ils trouvent, comme une bonne partie de la population, que son arrestation, et la façon dont elle s’est déroulée, paraît arbitraire. Certains veulent monter des opérations de protestation, mais nous leur disons d’attendre de voir quelle décision prendra le procureur », poursuit-il.

Il reste à ce jour plusieurs questions en suspend sur l’affaire Apouké. Le leader du groupe de rap est-il vraiment coupable de sorcellerie ? Si oui, comment arrivera-t-elle à trouver des preuves de sa culpabilité et à trancher ? Cette histoire est-elle le fruit d’un règlement de compte ? Notre correspondant indique en effet que le groupe est très controversé dans le pays pour ses prises de positions, notamment parce qu’il déclare que le Christ n’est pas le fondateur du christianisme et que la Vierge Marie est en réalité la divinité des eaux. La pilule serait donc difficile à avaler dans un pays où l’église catholique est puissante.

Par Wilfrid Ndong et Habibou Bangré

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