Le grand rire du maître


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Aziz Chouaki
Aziz Chouaki

L’écrivain et dramaturge Aziz Chouaki met lui-même en scène sa dernière pièce, El Maestro, au théâtre de Vitry (France). Cette oeuvre nietzschéenne s’inscrit dans la droite ligne du parti-pris de l’auteur : le rire au lieu de l’amertume, la légèreté au milieu des larmes. Interview d’un artiste insaisissable.

Insaisissable. Aziz Chouaki est toujours à côté. L’auteur vit à Paris depuis dix ans, mais c’est vers Alger qu’il tourne et retourne sans cesse ses pensées. De ses écrits, la douleur n’est jamais loin. On attend les larmes, l’amertume… on se heurte à sa légèreté. Aziz Chouaki est écrivain et dramaturge. Encore à côté : c’est le metteur en scène que l’on rencontre aujourd’hui. A Vitry, sur les planches de Gare au théâtre, il donne corps à sa dernière pièce, El Maestro. A travers cet exercice, Aziz Chouaki aurait pu mettre des images et des mouvements sur son texte. Un décor presque nu habillera la scène. Décalage éternel. Aziz Chouaki ne renie pas ses contradictions, il y façonne ses poèmes. Alger lui a donné sa boue, il en a fait de l’or.

Afrik : El Maestro, met en scène un personnage troublant, un chef d’orchestre un peu loufoque aux prises avec la violence du réel. Est-ce une pièce amère ?

Aziz Chouaki : C’est très humoristique. C’est un gros éclat de rire sur le drame. Mais un rire nietzschéen. Répondre à la terreur par le rire. El Maestro, c’est le conquistador de l’inutile, seul dans sa bulle, s’imaginant être aux prises avec un orchestre symphonique qui n’existe pas, malgré tous les événements qui peuvent intervenir, les attentats, etc. Il est toujours debout sur sa barque. C’est un peu la métaphore de l’espoir enfermé. Enfermé dans sa tête, dans cette Algérie en mille morceaux. Dépositaire de tous les rêves brisés. Et c’est un cerbère. Il vend cher sa peau. Il sort ses griffes.

Afrik : Un soupçon d’autobiographie ?

Aziz Chouaki : Il y a du El Maestro en moi, et il y a de moi en lui. Mais j’ai essayé de créer un personnage quasi-universel. Là où l’homme oppresse l’homme, il y a des Maestro possibles. Des gens empêtrés dans le réseau de leurs rêves qui ne se laissent pas complètement compromettre, quitte à régresser comme un foetus sensuel qui prête le flanc à tous les marchands de salade. Et El Maestro affiche une grande désinvolture face à tous les discours politiques. C’est le panache du Sdf. Mais c’est toujours le panache.

Afrik : Pour la première fois, vous mettez en scène cette pièce…

Aziz Chouaki : Oui, la pièce a déjà été jouée plusieurs fois, mais c’est Nabil El Azan qui l’avait mise en scène. Auteur-metteur en scène, c’est particulier parce que c’est difficile de dissocier les deux casquettes. Il y a un point de contradiction. Je me suis efforcé de prendre de la distance, de ne pas respecter le texte à la lettre… de ne pas suivre les didascalies. J’ai créé un décor complètement différent.

Afrik : Comment figurez-vous Alger dans la pièce ?

Aziz Chouaki : Le décor est archi-dépouillé. Un gros sac… et une chaise. Dans le sac, il y a des accessoires que le comédien sort à différents moments. Le rapport du texte à ces objets insolites créé l’écart poétique. C’est complètement décalé. J’ai pris un point de vue sciemment psychiatrique.

Afrik : Vos écrits déclinent la violence et la douleur que vous ressentez dans votre pays d’origine… Vous vous en nourrissez ?

Aziz Chouaki : C’est un truc très maso et très bizarre. J’en ai besoin, de cette douleur. Elle fait jaillir l’hypersensibilité qui se traduit dans mes écrits. Si l’Algérie n’était pas l’Algérie, je serais garde-champêtre.

Afrik : Et pour la rentrée, vous avez d’autres projets ?

Aziz Chouaki : Un livre, L’Etoile d’Alger, qui va paraître chez Balland en septembre. Avant, il y aura le festival de théâtre d’Avignon. El Maestro s’y jouera, au 59 rue des teinturiers… et ce qui est drôle, c’est qu’une autre de mes pièces, Les Oranges, se donnera au 31 de la même rue au même moment. Et puis, pour l’Année prochaine il y a un projet de pièce, au théâtre des Amandiers, dans le cadre de la célébration de l’Année de l’Algérie en France.

Lire aussi :

Les Oranges d’Aziz Chouaki
Une Virée
Arobase
L’Etoile d’Alger
Avoir 20 ans à Alger

Dates

El Maestro se joue du 4 au 13 juillet au théâtre Gare au théâtre, tous les soirs à 22 heures – 13 rue Pierre Sémard 94400 Vitry sur Seine. Tel : 01 46 82 62 86

La pièce sera aussi visible du 22 au 27 juillet, à Avignon, au théâtre de la Teinturerie, tous les soirs à 21 heures.

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