Le grand divorce entre Mohammed VI et le Rassemblement national


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Hélène Laporte, députée RN, présidente du Groupe d'Amitié France Maroc

Une alliance de dix ans vient de voler en éclats. La nomination d’Hélène Laporte à la tête du groupe d’amitié France-Maroc le 29 janvier 2025 marque un tournant spectaculaire dans la relation entre le Rassemblement national et le royaume chérifien. Cette rupture illustre les limites d’un mariage d’intérêts trop divergent qui aura manqué d’amour.

Depuis 2014, Marine Le Pen avait orchestré un rapprochement méthodique avec Rabat. Le RN soutenait systématiquement les positions marocaines sur le Sahara occidental, évitait toute critique du régime et cultivait des relations avec les cercles proches du pouvoir. Une stratégie qui visait à donner des gages de respectabilité diplomatique au parti d’extrême droite, tout en s’assurant le soutien tacite d’un acteur important du Maghreb.

Les médias marocains proches du Palais s’étaient donc félicités lors de l’annonce d’une présidence RN pour le Groupe d’Amitié Franco-marocain. On attendait des têtes de liste telles que Marine Le Pen ou Sébastien Chenu, un choix dont se félicitait sans retenue Maroc Diplomatique.

Hélène Laporte anti Maroc

C’est pourquoi la nomination d’Hélène Laporte pour diriger le groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale sonne comme un coup de tonnerre dans le ciel des relations franco-marocaines. Cette nomination, survenue le 29 janvier 2025, sonne le glas de la stratégie du Rassemblement national envers Rabat. La députée du Lot-et-Garonne, connue pour ses positions fermes contre les importations agricoles marocaines, remplace les figures plus consensuelles qu’espérait le royaume chérifien. La députée du Lot-et-Garonne s’est, en effet, distinguée par ses positions ouvertement hostiles aux intérêts marocains.

Sur X, elle n’hésite pas à attaquer frontalement : « Pour le @GroupeID_FR, on est CONTRE ! » écrit-elle sur son compte X à propos des fonds européens débloqués pour le Maroc. Dans un autre message cinglant, elle interpelle Annie Genevard : « Profitez de votre visite au #Maroc avec Monsieur Macron pour mettre fin à l’accord commercial visant à exonérer de droits de douane la tomate marocaine et qui place nos agriculteurs dans une situation de concurrence déloyale invivable depuis 2012 ! »

Les raisons d’une rupture

Ce revirement s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, la pression croissante du monde agricole français, base électorale cruciale du RN. La concurrence des produits marocains, particulièrement des tomates, melons et concombres est devenue un sujet explosif. d’autant plus que le Conseil d’Etat français, après la Cour de Justice Européenne, vient de confirmer le caractère illégale de ces exportation marocains en imposant que soit étiquetée leur origine réelle, le territoire du Sahara occidental considéré par le droit international comme un territoire à décoloniser. Les chiffres sont éloquents : 203 000 tonnes exportées vers l’UE en 2022, dont 85,6 millions d’euros de produits agricoles. Et les pécheurs sont sur la même ligne !

Enfin, les enjeux dépassent le cadre agricole. Le Maroc est aussi pointé du doigt pour le trafic de drogue en général et de haschich en particulier, dont la culture industrielle a été récemment légalisée par Mohammed VI. Les exportations marocaines liées à la drogue sont estimées à plus de 10 milliards d’euros vers l’Europe. Un sujet sur lequel le RN ne peut plus faire l’impasse face à son électorat.

Mais c’est aussi l’évolution du contexte politique qui a précipité la rupture. Le RN, fort de ses 126 députés qui en font le premier parti de France, n’a plus besoin de cautions diplomatiques pour asseoir sa légitimité. La stratégie de « dédiabolisation » cède la place à un positionnement plus radical sur les questions de souveraineté économique et agricole.

Mohammed VI perd un allié et sans doute davantage

Pour le palais royal, ce revirement est un revers significatif. Le Maroc avait misé sur le RN comme relais d’influence au Parlement français, notamment sur le dossier sensible du Sahara occidental. Avec succès jusque la comme l’avait démontré la volteface d’Emmanuel Macron sur le sujet.

Mais désormais la situation a évoluée et les milieux diplomatiques marocains, habituellement prolixes, observent un silence révélateur sur cette nomination. Et même en France le sujet est sensible comme le montre la réaction de Karim Ben Cheikh, tunisien d’origine, député de la 9e circonscription des Français de l’étranger, qui refuse de siéger sous la présidence de Laporte, illustrant le malaise provoqué par cette nomination.

Pour le Maroc, c’est la perte d’un soutien précieux dans une période où ses positions sur le Sahara occidental et ses pratiques commerciales sont de plus en plus contestées. Pour le RN, c’est le choix assumé d’un protectionnisme agricole au détriment de ses ambitions diplomatiques.

La présidence de Laporte au groupe d’amitié France-Maroc marque ainsi la fin d’une période de rapprochement opportuniste. Et le RN étant le premier parti de France en nombre de député, son changement de pied pourrait aussi avoir comme effet de pousser la France à revenir sur la position annoncée par Emmanuel Macron de reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

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