Jamais l’aéroport Houari Boumediène n’a atteint un niveau de saturation aussi prononcé que celui enregistré en cette période estivale. Une saturation due essentiellement à l’arrivée massive des émigrés en provenance d’Europe et particulièrement de France.
De notre partenaire El Watan
Les émigrés viennent avec leurs cabas pesants et les sachets de chez Tati. Ils veulent se payer des vacances au bled avec leurs familles. Les plus âgés parlent d’un retour aux sources ou d’un pèlerinage sur la terre des ancêtres. Les plus jeunes, eux, découvrent un pan de leurs racines et une Algérie qu’on caricature exagérément dans les médias occidentaux. En cette chaude journée d’août, il y a foule sous le chapiteau de l’aéroport.
On attend avec impatience la venue des cousins et des oncles, les yeux rivés sur les écrans qui affichent les heures d’arrivée quand ils ne sont pas en panne. D’autres téléphonent aux renseignements de l’aéroport pour savoir si les vols arriveront à l’heure. La canicule pousse à la consommation des eaux minérales. Les plus chanceux – c’est-à-dire ceux qui connaissent le policier de garde – pénétrent à l’intérieur de l’enceinte et vont…jusqu’au tapis roulant !
L’heure des retrouvailles
Visages ruisselants de sueur, les mains chargées de valises, les voyageurs passent le scanner. Les policiers se veulent aimables, mais quelquefois se laissent gagner par la colère, notamment lorsqu’ils sont dépassés. Le déroulement des formalités est assez lent et s’effectue dans une ambiance de grand brouhaha. Parfois, on ne s’entend même pas parler. Une fois les procédures terminées, les voyageurs se ruent vers le tapis roulant pour récupérer les bagages lourds.
L’attente est interminable. « Il faut tout ce temps pour acheminer nos valises ! » lance l’un d’eux. On trouve de tout : colis bien ficelés, paquets et même bicyclettes. Autant de cadeaux à offrir. On récupère tout et on le met sur des chariots. Direction la porte de sortie. Les douaniers veillent au grain. Si une grande partie des voyageurs sort sans passer à la fouille, certains, trop chargés, n’échappent pas à ce rituel.
D’un geste lent, le douanier ordonne l’ouverture d’une valise pour vérifier son contenu ou contrôler l’exactitude des déclarations. Généralement, la vérification est rapide. Si les douaniers suspectent l’introduction d’un produit frauduleux, ils demandent au voyageur de se tenir à l’écart, et l’interrogatoire se déroule loin des regards indiscrets. Après cette ultime étape, c’est l’heure des retrouvailles, des youyous et des embrassades.
Promesse tenue
Ils hument le parfum du pays. Les uns se drapent de nostalgie. Les souvenirs enfantins refont surface. Les enfants, le regard amusé, bougent dans tous les sens. Nous constatons que la plupart des émigrés sont attendus sous les chapiteaux. Les propriétaires de taxis jettent leur appât et attendent que l’hameçon morde. Ces chauffeurs de taxi affirment qu’ils sont disposés à « leur faire un prix » avant de leur murmurer au creux de l’oreille : « On accepte aussi les francs. » Beaucoup d’émigrés iront à Bouira, Tizi Ouzou et dans d’autres wilayas limitrophes. Les immatriculations des voitures en sont la preuve.
Certains, dont l’arrivée des vols est tardive, préfèrent néanmoins passer la nuit dans l’aéroport plutôt que de se faire arnaquer par les chauffeurs de taxi. L’un d’eux affirme à l’un de ses accompagnateurs : « Nous avons longtemps hésité avant de venir au bled, surtout après les événements de Kabylie. Chaque soir, j’étais accroché au téléphone pendant des heures demandant des nouvelles. Si nos proches nous rassuraient, on ne pouvait pas ne pas être inquiets en écoutant les informations des médias français. »
Un autre nous confie : « Pour moi, il était hors de question de ne pas venir passer les vacances ici. C’est presque une tradition difficile à remettre en question. J’avais promis aux enfants de venir et j’ai voulu tenir ma promesse. » Pendant toute la période estivale, les aéroports connaîtront le même rythme. La voie maritime est également sollicitée par les voyageurs en provenance de Marseille. Les émigrés ne veulent pas renoncer à cette virée de l’autre côté de la Méditerranée où sont incrustées des perles de souvenirs…
Kamel Benelkadi