Le gouvernement éthiopien nie avoir bloqué l’acheminement d’aide humanitaire vers certaines zones de la région somali (sud-est) en s’en servant comme d’une arme. Mais selon certains analystes et organisations humanitaires, l’accès humanitaire est limité et la hausse du prix des denrées alimentaires montre que des restrictions ont été imposées pour des raisons de sécurité.
« C’est un mensonge. C’est loin d’être vrai. Nous n’avons interdit aucune opération humanitaire. Nous ne fermons aucune des routes empruntées dans le cadre des opérations humanitaires ; en revanche, nous avons fermé les routes du commerce illégal qui traversent la frontière », a expliqué à IRIN Jama Ahmed Jama, vice-président de l’Etat régional Somali.
Depuis le mois de mai, font remarquer plusieurs analystes et divers rapports parus dans les médias, le gouvernement a intensifié ses opérations de sécurité pour lutter contre le Front national de libération de l’Ogaden (ONLF), un mouvement rebelle. Les autorités ont notamment renforcé le contrôle du flux de marchandises et de personnes au sein de la région, ainsi qu’en provenance et en direction de la Somalie voisine et du reste de l’Ethiopie.
Violences militaires ?
La région de l’Ogaden se trouve dans la partie sud de la région Somali. Les forces de sécurité éthiopiennes ont été accusées d’y avoir perpétré toute une série de graves violations des droits humains au cours de leurs opérations.
« Les soldats éthiopiens détruisent les villages et les biens [de la population], confisquent leur bétail et forcent les civils à partir s’installer ailleurs. Quelle que soit la stratégie militaire qui les sous-tend, ces abus enfreignent les conventions de guerre », avait déclaré Peter Takirambudde, directeur de la section Afrique de Human Rights Watch (HRW), dans un rapport publié le 4 juillet.
La prétendue réinstallation des civils s’inscrit dans le cadre d’une campagne « classique de lutte contre la rébellion » visant à assurer que les rebelles ne jouiront d’aucun soutien de la part de la population civile, a expliqué un spécialiste de la région au cours d’un entretien accordé à IRIN depuis le Royaume-Uni. Selon HRW, « les attaques de villages et le blocus économique font peut-être partie d’une stratégie visant à forcer des milliers de personnes à quitter les zones rurales pour s’installer dans de plus grandes villes, pour retirer à l’ONLF sa base de soutien ».
L’accès des médias a également été restreint, et des journalistes du New York Times, qui réalisaient un reportage dans la région, ont été mis en détention et interrogés pendant cinq jours en mai dernier.
Signes avant-coureurs d’une crise
Entre les restrictions imposées sur le commerce et la circulation, le risque élevé d’inondations entre juillet et septembre rapporté par l’Agence nationale de météorologie, et la persistance de la saison sèche, la situation de la sécurité alimentaire risque fort de se dégrader au point de se transformer en une grave crise humanitaire au cours des deux derniers semestres de 2007, d’après un communiqué du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Cinq zones de la région Somali – Fik, Degehabur, Warder, Korahe et Gode (dans l’Ogaden) – sont le théâtre d’une « opération militaire », selon plusieurs rapports des Nations Unies. Les restrictions imposées sur l’acheminement de l’aide alimentaire vers ces zones ont été levées en théorie le 21 juillet, d’après un communiqué des autorités de l’Etat régional, a dit OCHA, mais pas encore dans la pratique. L’aide alimentaire n’est distribuée que dans trois des neuf zones de la région.
Le CICR invité à quitter la région
L’allocation de l’aide alimentaire d’urgence repose sur une estimation de 530 000 personnes dans le besoin dans l’ensemble de la région Somali. Les besoins en nourriture et autres aides humanitaires font l’objet d’une nouvelle évaluation par les organisations humanitaires et le gouvernement, dans le cadre d’une démarche menée de concert à la suite des pluies saisonnières tombées dans le Gu.
Seul un petit nombre d’organisations humanitaires sont actives dans la région de l’Ogaden. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a reçu un préavis de sept jours, devra quitter la région cette semaine. L’organisation a publié un communiqué, le 26 juillet, déclarant « déplorer » cette décision et soulignant l’obligation de toutes les parties « de se conformer au droit humanitaire international, et en particulier à l’interdiction d’attaquer les personnes qui ne participent pas ou plus directement aux hostilités, et au droit des civils à recevoir l’aide humanitaire essentielle à leur survie ».
Doublement du prix des dernées de base
Selon un rapport publié par le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS Net) le 19 juille derniert, les marchés ont été affectés depuis la mi-juin, les prix des denrées alimentaires ayant doublé à Warder et Korahe entre mai et juin. A titre d’exemple, 50 kilos de riz, qui valaient 220 birrs éthiopiens (24 dollars) en mai, atteignaient le prix de 500 birrs (55 dollars) en juin.
La région, mise à mal, ces dernières années, par le conflit, la sécheresse et les inondations, est pauvre et vulnérable. « Le moindre choc peut rapidement se solder par une insécurité alimentaire extrême », selon FEWS Net. Cette région, essentiellement pastorale, dépend du bétail, qui sert au troc et au commerce. « En même temps, parce que le marché normal du bétail dans ces régions se trouve hors des régions elles-mêmes, là où la circulation est restreinte, les éleveurs ne peuvent pas s’y rendre pour vendre leur bétail », a rapporté FEWS Net.
La nourriture utilisée comme une arme selon les rebelles
L’ONLF a accusé le gouvernement d’utiliser la nourriture comme une arme. Abdirahman Mahdi, le porte-parole de l’ONLF, a expliqué à IRIN le 24 juillet que le gouvernement éthiopien avait mis en place un blocus total dans la région. « Rien ne rentre dans la région, que ce soit commercial ou humanitaire. La situation est particulièrement désespérée à Warder, Korahe, Degehabur, Fik, Dhuxun et Gode ».
Selon M. Mahdi, l’armée éthiopienne ferait main basse ou détruirait les maigres réserves alimentaires des populations. « Des villages et des habitations nomades ont été incendiés par les forces éthiopiennes. Ils veulent faire en sorte que les gens crèvent de faim pour les forcer à se soumettre. L’aide alimentaire donnée par le contribuable occidental est utilisée comme une arme de guerre par le régime éthiopien ».
M. Mahdi a appelé la communauté internationale, en particulier les Nations Unies, « à agir pour éviter la catastrophe et ne pas se rendre complices des crimes commis par le gouvernement éthiopien dans l’Ogaden ». Le vice-président Jama a en revanche contesté l’existence d’une crise alimentaire dans la région. « L’aide alimentaire est en train d’être distribuée. Aucun des rapports qui nous parviennent n’indique qu’il y aurait une crise alimentaire de quelque type que ce soit dans la région ». « Nous essayons de soulager notre peuple de la pauvreté, pas de lui infliger des souffrances », a-t-il ajouté.
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