Les temps changent pour les « dieux » de l’Ituri, ces Seigneurs de la guerre qui portent une lourde responsabilité dans les désordres civils de cette région de la République démocratique du Congo… Après la mort de 9 casques bleus bangladais le 25 février, la Communauté internationale ne veut plus fermer les yeux sur leurs agissements.
Par J-Anastasie Ngalu (journaliste The Post, Kinshasa)
On les appelle tous des ‘‘seigneurs de guerre », ces chefs miliciens de l’Ituri qui ne sont en réalité que des criminels : Thomas Lubanga, connu comme ancien vendeur des haricots au marché de Bunia, Germain Katanga, Goda Sukpa, Jérôme Kakwavu, Floribert Kisembo, Ychali Gonza. Ils sont tous dans le collimateur de la communauté internationale depuis la tuerie de neuf Casques bleus bangladais vendredi 25 février dans une embuscade au nord de Bunia.
Floribert Ndjabu, président du Front nationaliste et intégrationniste (FNI), a été appréhendé dimanche à Lemba avec deux de ses lieutenants, Goda Sukpa et Germain Katanga, assignés en résidence au Grand Hôtel de Kinshasa (GHK). ‘‘Ils sont dans leur chambre, ne peuvent pas sortir, ni communiquer avec l’extérieur », a confié une source proche de la présidence citée par l’AFP. Les reporters du Post qui ont tenté d’entrer en contact avec eux se sont vus repousser par des barbouzes. Quatre autres chefs miliciens d’autres mouvances, également logés au GHK, ‘‘sont sous étroite surveillance mais n’ont pas été placés en résidence surveillée ».
Le FNI « responsable »
Les dirigeants du FNI (Front nationaliste et intégrationniste) ont été nommément désignés par la communauté internationale comme ‘‘responsables » des dernières violences dans l’Ituri. ‘‘Nous avons reçu de la Monuc (Mission des Nations Unies au Congo, ndlr) des informations très précises concernant les auteurs de ces crimes et les circonstances de l’attaque, ce qui a permis de prendre rapidement des dispositions à l’encontre des suspects », a précisé la même source. Etienne Lona, commandant du FNI, suspecté d’être impliqué dans le meurtre des 9 Casques bleus, s’est, quant à lui, rendu mardi aux forces publiques à Bunia. Il avait été cité par les représentants de la communauté internationale en RDC comme un des ‘‘responsables » de la poursuite des violences en Ituri.
Ils porteront la lourde responsabilité de ces 50.000 âmes innocentes que leurs hommes ont réduites en cendre pour le contrôle de l’or et du diamant. Lundi, William Swing, chef de la MONUC, avait abordé la question avec le ministre de la Justice, Kisimba Ngoy. Dans le même cadre, le Comité International d’Accompagnement de la
Transition (CIAT) s’est entretenu avec la présidence (Kabila et ses vice-présidents) au sujet de l’Ituri où le gouvernement a annoncé l’envoi de 3.000 commandos en renforts. Le jour même du meurtre, le Président de la République a promis de ‘‘tout mettre en oeuvre afin que soient retrouvés et châtiés les auteurs de cet ignoble assassinat ». La MONUC, dans sa mission pour aider le pouvoir à rétablir l’ordre, paie aujourd’hui un lourd tribut, en dépit du déploiement de ses 3.000 casques bleus.
Plusieurs attaques contre les casques bleus
L’assassinat de ces Bangladais constitue l’une des attaques les plus sanglantes perpétrées contre les casques bleus ces dernières années dans le monde. L’ONU, par le biais de son secrétaire général Kofi Annan et son adjoint Jean-Marie Guéhenno, a déploré cette barbarie qui intervient à un moment inattendu, à un moment où la Cour pénale internationale (CPI) intensifie ses activités en Ituri. La situation sécuritaire s’est considérablement dégradée depuis la mi-décembre, où une centaine d’assassinats de civils ont été enregistrés par des enquêteurs de la MONUC. Depuis mi-décembre, elle a multiplié les patrouilles dans ce district et a procédé au démantèlement d’une demi-douzaine de camps de miliciens.
Les Casques bleus déployés en Ituri (népalais, pakistanais, bangladais et marocains) ont subi à plusieurs reprises des attaques de miliciens, souvent en représailles d’opérations de sécurisation, mais ils n’avaient pas été victimes d’une attaque organisée depuis le début de leur redéploiement. Avant l’embuscade de vendredi, sept membres de la MONUC avaient été tués en RDC au cours d’attaques, dont trois observateurs militaires en Ituri entre mai 2003 et février 2004. Depuis mi-décembre, six milices entretiennent un climat de terreur en Ituri, multipliant enlèvements, viols et pillages. Traumatisées par des années d’affrontements interethniques entre communautés, les populations ont souvent préféré abandonner leurs biens plutôt que de risquer de tomber aux mains des miliciens.
70 000 déplacés en deux mois
Depuis deux mois, plus de 70.000 personnes ont ainsi fui le territoire de Djugu, au nord de Bunia. A la MONUC, on est convaincu que les milices de l’Ituri cherchent à ‘‘entretenir un climat d’insécurité dans le but de maintenir leur mainmise sur les richesses minières de l’Ituri, mais aussi pour s’approprier les ressources douanières perçues à la frontière avec l’Ouganda ». L’ONU craint alors une ‘‘déstabilisation totale » de la région après la recrudescence des violences, qui ont déjà ralenti le processus de démilitarisation.
Ce programme de « démilitarisation », lancé en septembre dernier en Ituri, vise 15.000 miliciens dans ce district et a permis à ce jour d’en démobiliser plus de 3.000. La CPI a ouvert en juin 2004 sa première enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en RDC, et a récemment annoncé qu’elle lancerait en Ituri un de ses premiers mandats d’arrêt courant 2005. Elle n’attend apparemment que le signal du pouvoir en place pour agir. Germain Katanga dirige le FNI-FRPI (Front nationaliste et intégrationniste-forces de résistance patriotique en Ituri), Goda Sukpa le FNI, Jérôme Kakwavu les FAPC (Forces armées du peuple congolais), Floribert Kisembo l’aile dissidente de l’UPC (Union des patriotes congolais) et Ychali Gonza le PUSIC (Parti pour l’unité et la sauvegarde de l’intégrité du Congo). Les arrêter officiellement et les livrer à la Cour Pénale Internationale ne constituerait en rien une entrave au plan de pacification de l’Ituri comme le prétendent certains dirigeants du pays, bien au contraire. Ce geste, désormais attendu du gouvernement, pourrait même servir d’avertissement à tous les apprentis voyous des chefs miliciens qui revendiquent ci et là des grades de généraux. Une paix durable en Ituri est peut-être à ce prix.
Cet article a initialement été publié par le journal en ligne The Post, Kinshasa, daté du 2 mars 2005.