Parmi les pays africains qui viennent globalement de se faire remarquer positivement, on peut citer le Ghana. Et la réussite des « Black stars » à la première coupe du monde en terre africaine ne pouvait pas mieux tomber. Mais comment ce pays en est-il arrivé là ? Sa réussite économique relative suffit-elle pour les ghanéens ?
Ayant profité de la nouvelle ère « imposée » par la démocratie multipartiste consécutive à la chute du mur de Berlin, le Ghana s’est agréablement distingué par le respect de la démocratie, avec une alternance du pouvoir réussie.
Cette réussite politique ne peut être séparée des réformes institutionnelles qui jouent un rôle très important dans ce pays. En effet, le Ghana est un cas d’école pour les réformes de fond, démentant par là l’idée répandue par certains selon laquelle seuls les pays développés peuvent s’offrir le luxe de la bonne gouvernance. En 1983, le gouvernement Jerry Rawlings arrive aux affaires dans un Ghana très malade tant sur le plan institutionnel qu’économique : selon l’International Credit Risk Guide, la qualité de l’administration était des moindres, laquelle pouvait être constatée par la faible note de 1, sur une échelle de 0 à 6 ; le critère d’Etat de droit et l’indice général de corruption se situaient également à 1, sur la même échelle.
Le Ghana s’engage alors dans l’Economic Recovery Programme (ERP), avec comme objectif de transformer complètement la situation socioéconomique du pays. Après des réformes institutionnelles (ERP, campagne contre la corruption, collaboration avec le FMI avec des programmes de redressement économique, etc.), en 1990, les notes grimpèrent déjà respectivement à 4, 3 et 4. En 2007, il occupait la 56ème position en termes de liberté économique selon Fraser Institute, alors qu’au début des années 80 il n’avait que la 101ème place.
En 1982, ce pays détenait le record du différentiel de taux de change (écart entre le taux de change officiel et le taux de change du marché noir), soit 4264%, un taux d’inflation à trois chiffres (123%) en 1983. Autant de politiques pour tuer la croissance. Le revenu par habitant ne valait que celui d’avant indépendance, si ce n’est moins. La pauvreté était donc très nette.
Ces réformes ont changé l’environnement économique du pays. Ainsi, l’incitation positive à l’entrepreneuriat, à l’investissement, à la création de valeur… et une meilleure gestion de la res publica se mirent progressivement en place. Le pays, devenant fréquentable, réussit à contenir peu ou prou les dérapages macroéconomiques et, aussi, négocia relativement bien ses réformes libérales. Comme une meilleure gouvernance conduit directement à de meilleurs résultats économiques, puisqu’elle est notamment propice à l’activité entrepreneuriale, une des sources du développement, la situation était vouée à changer. Ainsi, la croissance reprit grâce au changement de cap : le pays connut une croissance par habitant de 1,8% entre 1984 et 2008 et l’économie ghanéenne a crû à un taux moyen de 4,2% entre 1983 et 2008. Au point où le Ghana est considéré comme un des pays où les programmes du FMI et Banque mondiale et ceux d’aide internationale donnèrent des résultats relativement positifs. La situation macroéconomique, elle, a pris le chemin de l’amélioration : le taux d’inflation se situe à 16%, le différentiel de taux de change a baissé.
Aujourd’hui, le pays présente une image relativement positive, en dépit de ses problèmes : 114ème position en termes de compétitivité en 2010, selon World Economic Forum; 92ème position sur 183 en termes de climat d’affaires selon Doing Bussiness 2010; 69ème position sur 180 selon l’indice de perception de la corruption ; des coûts élevés d’emprunt ; l’insuffisance des infrastructures de base, etc. Le revenu par habitant reste faible, comparable même à celui des années d’indépendance. Evidemment, on ne gomme pas d’un trait un passé désastreux aussi facilement.
Toutes choses restant égales par ailleurs, il faudra au pays, selon nos calculs, plus ou moins 40 ans si son taux de croissance par habitant se maintient pour que son revenu per capita double, alors qu’il n’est actuellement que de 1320$. Cela constitue un réel problème pour les aspirations de la population, et se révèle être un échec relativement à la fameuse Vision 2020, programme datant de 1995 qui envisageait un avenir radieux pour le pays : cette nation devait devenir un pays à revenu intermédiaire.
De nouvelles réformes s’avèrent donc primordiales. Le Ghana est obligé de commencer à réduire sa dépendance excessive au secteur primaire, en diversifiant ses exportations, car cette dépendance le rend fortement sensible aux aléas des marchés internationaux des matières premières. La crise de la fin du siècle passé en a fourni l’illustration. Améliorer son positionnement dans le classement tant du climat d’affaires que de la perception de la corruption, qui stagne depuis un certain temps, devrait notamment constituer la priorité. Aussi, la question des infrastructures et de l’industrialisation doit être posée. La production manufacturière ne représente que 9 % de la production totale. Sur le plan économico-financier, le renforcement du système financier et une meilleure gestion des finances publiques, associée à une stabilité macroéconomique, doivent continuer. La mise en valeur des ressources humaines ne devrait pas être relâchée…
Le Ghana était resté le seul pays africain dans la compétition mondiale du football en Afrique du Sud, sur qui reposait tout l’espoir de l’Afrique car arrivé en quarts de finale. Il a démontré aux yeux du monde que l’inaccessible n’était pas définitif. En matière économique aussi, le chemin est certes parsemé d’embûches, mais l’impossible n’existe pas. Il faudra continuer dans le processus d’amélioration des institutions…
Par
Noël Kodia, critique littéraire d’origine congolaise (Brazzaville) et
Oasis Kodila, économiste congolais (Kinshasa).
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org