Le général Paul Aussaresses, 87 ans, condamné en décembre dernier pour apologie de la torture, a été exclu de la Légion d’honneur par un décret présidentiel du 14 juin. Le militaire avait fait scandale en reconnaissant dans un livre paru en 2001 avoir torturé et exécuté des prisonniers FLN, entre 1955 et 1957, en pleine guerre d’Algérie, sous les ordres de généraux et avec la complicité du gouvernement de l’époque.
Le général Paul Aussaresses, condamné en décembre dernier pour apologie de la torture, a été exclu de la Légion d’honneur par un décret présidentiel du 14 juin, publié jeudi dans le Journal officiel. Selon ce décret, le général de 87 ans est « exclu de la Légion d’honneur et, partant, définitivement privé du traitement attaché à la qualité de commandeur de celle-ci ainsi que du droit de porter les insignes de toute décoration française ou étrangère ressortissant à la grande chancellerie ».
Suite à la publication de ses mémoires sur la guerre d’Algérie en avril 2001, le général Aussaresses avait été condamné en avril 2003 par la Cour d’appel de Paris à 7 500 euros d’amende pour « apologie de crimes de guerre et complicité ». Ses éditeurs, Plon et Perrin, avaient écopé d’une amende de 15 000 euros chacun. En décembre 2004, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du général et de ses éditeurs, rendant définitive leur condamnation pour apologie de la torture.
Le livre du scandale
Militaire de carrière, ancien d’Indochine, spécialiste du renseignement (SDECE), Paul Aussaresses est envoyé en 1955 en Algérie, alors en pleine guerre de libération. En 1957, il devient directeur des services de renseignement à Alger et sera un personnage central de la « bataille d’Alger ». Dans Services spéciaux, Algérie 1955-1957, il raconte tout. Depuis le début : « A la Toussaint 1954, alors que je me trouvais encore en poste à Paris au service action du SDECE, je reçus un ordre d’affectation à la 4e demi-brigade parachutiste de Philippeville, en Algérie. J’avais trente-cinq ans et, quoique je n’aime pas beaucoup ce mot, j’étais ce qu’on appelle un agent secret. (…) Depuis (…) le 27 novembre 1942, j’avais pris l’une des décisions les plus importantes de ma vie : après avoir opté pour la carrière des armes et pour Charles de Gaulle, je m’étais engagé dans les services spéciaux. J’allais ainsi accomplir, dans l’intérêt de mon pays et dans la clandestinité, des actions réprouvées par la morale ordinaire, tombant souvent sous le coup de la loi et, de ce fait, couvertes par le secret : voler, assassiner, vandaliser, terroriser. On m’avait appris à crocheter les serrures, à tuer sans laisser de traces, à mentir, à être indifférent à ma souffrance et à celle des autres, à oublier et à me faire oublier. Tout cela pour la France. »
Sans remords ni regrets
Aussaresses vide son sac à tortures au fil des pages. Evoque sa « première fois ». « C’était la première fois que je torturais quelqu’un. Cela m’a été inutile ce jour-là. Le type est mort sans rien dire. Je n’ai pensé à rien. Je n’ai pas eu de regrets de sa mort. Si j’ai regretté quelque chose, c’est qu’il n’ait pas parlé avant de mourir. » C’est ce genre de phrases, où ne pointent ni regrets ni remords, qui a choqué l’opinion publique française et les politiques, de droite comme de gauche. Ces derniers avaient aussi une autre raison de détester le général qui dévoile dans son livre : « Quant à l’utilisation de la torture, elle était tolérée, sinon recommandée. François Mitterrand, le ministre de la Justice, avait, de fait, un émissaire auprès de Massu en la personne du juge Jean Bérard qui nous couvrait et qui avait une exacte connaissance de ce qui se passait la nuit ».
Lorsqu’il débarque à Philippeville, « tous les policiers d’Algérie » « utilisaient donc la torture ». « Je ne tardai pas du reste à me convaincre que les circonstances exceptionnelles expliquaient et justifiaient leurs méthodes. (…) Les policiers me montrèrent la technique des interrogatoires ‘poussés’ : d’abord les coups qui, souvent, suffisaient, puis les autres moyens, dont l’électricité, la fameuse ‘gégène’, enfin l’eau. » Appelé auprès du général Massu, à Alger, Aussaresses installe son service dans la villa des Tourelles, un « local discret dans la périphérie d’Alger », et « isolé » pour mieux y « interroger » les prisonniers. « Le cas de ceux qui entraient aux Tourelles était considéré comme assez grave pour qu’ils n’en sortent pas vivants. C’étaient ceux qui avaient participé directement à des attentats », écrit-il.
Torture systématique
Dans son ouvrage le général affirme que la torture était « systématiquement utilisée si le prisonnier refusait de parler, ce qui était très souvent le cas ». Justifiant : « Il était impossible de les remettre dans le circuit judiciaire. Ils étaient trop nombreux et les rouages de la machine judiciaire se seraient grippés. Par conséquent, les exécutions sommaires faisaient partie intégrante des tâches inévitables de maintien de l’ordre. » Dont acte : Aussaresses et ses sbires ont pendu de leurs mains le Jean Moulin algérien, Ben M’Hidi, chef du FLN (Front de libération nationale) algérois, maquillant ensuite grossièrement l’assassinat en suicide.
Alors que des obstacles juridiques avaient empêché de juger Aussaresses responsable de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre (à cause de la loi d’amnistie générale de 1968), le décret présidentiel du 14 juin lui enlève au moins l’insigne de son « honneur ». Le vieux général borgne n’est pas totalement blanchi pour ses actes abominables.