Les collectivités locales africaines ont réussi tant bien que mal à construire un front uni : Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique en est l’incarnation. L’organisation vient de tenir sa première assemblée générale au Nigeria. Jean-Pierre Elong Mbassi, le secrétaire général du CGLUA, revient sur le résultat d’une quinzaine d’années de négociations et de compromis.
L’organisation Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA) est officiellement née en mai 2005 à Tshwane (Prétoria), en Afrique du Sud. Ses membres sont les associations nationales de collectivités locales et les villes. Le CGLUA est le chapitre africain de Cités et gouvernements locaux unis (CGLU) qui rassemble les villes et collectivités locales du monde.
Afrik.com : Quel bilan faites-vous de cette première assemblée générale de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique ?
Jean-Pierre Elong Mbassi : C’est une assemblée générale qui a eu lieu dans un esprit d’ouverture et de construction. Bien que nos collègues de l’Afrique australe ne soient pas venus. Nous avons eu en effet des difficultés au sein du CGLUA à cause des problèmes relatifs au choix du siège et à la présidence de notre organisation. Des discussions politiques ont eu lieu au moment de l’assemblée constitutive de notre organisation en 2003 avec les associations de collectivités locales préexistentes. Il avait été alors admis que la première présidence de notre organisation irait à l’AULA (African Union of local Authorities, anglophone) et le siège à l’UVA (Union des villes africaines, francophone) qui se trouvait à Rabat. C’est ainsi qu’en 2005 la candidature du pasteur Smangaliso Mkhatshwa, alors maire de la ville de Tshwane, membre d’AULA, a été acceptée comme unique candidature à la présidence du CGLUA. Premier problème : certains ont par la suite estimé qu’il serait dangereux de confier le siège de notre organisation au Maroc, un pays qui n’est pas membre de l’Union africaine. Second problème : la volonté du pasteur Smangaliso Mkhatshwa de rester le président de notre organisation alors qu’il avait perdu sa qualité de maire de Tshwane en mars 2006. Une qualité qui lui a valu d’être élu en mai 2005 pour un mandat de trois ans.
Afrik.com : Le président Mkhatshwa n’a finalement été démis de ses fonctions qu’en janvier 2008, soit quelques mois avant la fin de son mandat…
Jean-Pierre Elong Mbassi : Absolument. Nous avons donc dû faire face à cette double crise. Nous avons néanmoins réussi à organiser cette assemblée générale et mis en en place un comité ad-hoc de réconciliation. L’objectif étant de réunir tout le monde, dans un délai de six mois, avant de procéder à la mise en place du comité exécutif du mouvement. Il est élu par le conseil panafricain. Constitué par 45 membres, ce conseil réunit chacune des 5 régions de l’organisation représentée par 9 membres. L’absence des représentants de la région Afrique australe nous a conduits à repousser la mise en place du comité exécutif, comme prévu dans l’ordre du jour de l’assemblée générale d’Abuja.
Afrik.com : Etes-vous confiants quant à l’issue de cette médiation d’ici décembre 2008 ?
Jean-Pierre Elong Mbassi : De nombreux signes montrent que les gens comprennent mieux qu’il y a beaucoup à perdre si l’on choisit la voie de la désunion
Afrik.com : A quoi va s’atteler le CGLUA dans les années à venir ?
Jean-Pierre Elong Mbassi : Nous avons élaboré un programme sur 15 ans en trois phases de cinq ans. Le premier pilier se rapporte au plaidoyer et à l’interaction avec les institutions panafricaines et internationales. Il est impératif de faire entendre la voix de l’Afrique au niveau de l’organisation mondiale, Cités et gouvernements locaux unis. En d’autres termes, il s’agit de défendre les intérêts des collectivités locales africaines au niveau du continent et à l’échelle internationale. Nous demandons, par exemple, la reconnaissance du CGLUA par l’Union africaine. Nous souhaitons également l’élaboration d’une charte africaine de la gouvernance locale afin que la décentralisation se fasse en Afrique dans une optique de convergence. Nous plaidons aussi pour que les collectivités locales aient un accès direct aux marchés financiers… Deuxième pilier : l’assistance à nos membres par le renforcement de leurs capacités. La formation est une priorité pour nous. Nous allons ainsi aider nos membres à intervenir dans les problématiques de paix et de sécurité en mettant l’accent sur la coopération transfrontalière décentralisée. Les collectivités locales situées le long des frontières seront les briques de base de l’intégration régionale… Il y a un lien entre ces deux premiers piliers : l’organisation d’évènements de dialogues entre les institutions nationales, continentales, panafricaines et les collectivités locales. Nous voulons que des journées de la commune soient organisées partout en Afrique. Elles sont l’occasion d’adresser un mémorandum aux Etats. Il exprime le point de vue des collectivités locales sur la décentralisation. Nous avons choisi le 6 décembre – le CGLUA est né le 6 décembre 2003 – comme date de la journée africaine des collectivités locales.
Le dernier volet concerne le développement institutionnel. Le fonctionnement du CGLUA est très simple : le siège, installé à Rabat, coordonne l’ensemble des actions des représentations régionales de l’organisation. Elles coordonnent à leur tour la mise en oeuvre du programme par les collectivités locales et leurs associations nationales.
Afrik.com : Vous comptez beaucoup sur la recherche universitaire pour mieux aider vos membres et mener vos différentes actions ?
Jean-Pierre Elong Mbassi : Dans une ville qui a 100 000 habitants, on estime que 4 personnes sur 10 n’y étaient pas il y a 10 ans en Afrique. C’est un problème terrible pour la démocratie. Entre le moment où vous êtes élu et votre réélection, beaucoup de gens sont arrivés avec de nouvelles attentes. Les objectifs sont donc très mobiles parce que la croissance urbaine est très forte. En Europe, on a oublié depuis très longtemps ce genre de taux d’urbanisation. Les outils qui ont été mis en place ne sont par conséquent plus adaptés aux situations africaines. En Europe, ils sont conçus pour le long terme, pas pour le court terme. Le plan d’urbanisme de Paris est conçu sur cinq ans parce que c’est une ville qui croit de 1% par an. Mais une telle planification ne vaut pas pour des villes, comme les nôtres, dont la population double tous les sept ans. Nous devons donc inventer de nouveaux outils dans ce domaine. Il n’y a que la mobilisation de la recherche universitaire qui puisse permettre aux Africains d’inventer rapidement des outils nécessaires pour prendre en charge un phénomène pour lequel peu de gens, y compris dans le monde, sont préparés. Les étudiants d’aujourd’hui, plus alertes comparés aux générations précédentes, vont nous donner la réactivité que nous n’avons pas. Nous allons formuler nos questions et nos diiférentes attentes, les soumettre aux universités, et nous accueillerons les étudiants qui seront intéressés par les thématiques proposées au siège, dans nos représentations régionales ou dans les collectivités locales.
Afrik.com : Urbanisation en Afrique rime souvent avec bidonville. Ce qui n’est pas de très bon augure pour les villes africaines. Que faut-il en penser : nouveau cliché ou réalité ?
Jean-Pierre Elong Mbassi : On a les villes que l’on peut s’offrir. Ce sont toujours les populations qui paient leur villes. L’aspect de la ville manifeste cette capacité. Lorsqu’on dit que 70% des villes africaines sont composées de bidonvilles. Ce qu’on ne dit pas, c’est que 30% n’est pas la ville africaine. Comment peut-on admettre que 70% de personnes vivent dans un environnement qui est considéré comme marginal, alors que ce sont les 30% qui devraient être considérés comme tels selon les lois statistiques ? La réalité de la ville africaine n’est donc pas le centre-ville et les quelques réminiscences de la ville européenne. La réalité de la ville africaine : c’est ce que vivent les Africains. Il faut donc mener la réflexion à partir de ce constat, et non pas de l’image que nous voulons nous donner d’une ville africaine. Un renversement de perspective doit être opéré tout en veillant à ne pas idéaliser cette ville africaine parce qu’il y a des contraintes à respecter dans toute organisation humaine.
Quelques dates importantes du mouvement d’unification
des collectivités locales en Afrique et dans le monde
Dans le monde
1992 : Mise en place de l’Agenda 21 local au niveau mondial 1996 : Première assemblée mondiale des maires et autorités locales à Istambul. La Coordination des associations mondiales des villes et autorités locales est mise en place. Jean-Pierre Elong Mbassi en est le premier secrétaire général 2000 : Le principe de l’unification du mouvement municipal mondial est scellé à Rio 2004 : Création de Cités et gouvernements locaux unis à Paris |
En Afrique
1998 : Première rencontre des collectivités locales africaines, Africités, à Abidjan 2000 : Les collectivités africaines se dotent d’une coordination à Windhoek 2003 : Etablissement du Conseil des communes et régions d’Afrique (CCRA) 2005 : Etablissement du CGLUA à Tshwane 2008 : Première assemblée générale à Abuja et mise en place des structures de l’organisation |