
Soixante-six ans après l’assassinat de Ruben Um Nyobe par l’armée française, son fils Daniel exige une reconnaissance officielle des torts coloniaux. Entre douleur personnelle, silence politique et lutte pour la mémoire, il appelle à un véritable devoir de vérité, de la France comme du Cameroun.
Soixante-six ans après l’assassinat de Ruben Um Nyobe, figure emblématique de la lutte indépendantiste camerounaise, son fils Daniel continue de porter le flambeau de la mémoire. Né en 1957 dans le maquis, marqué dès l’enfance par la tragédie du 13 septembre 1958, il réclame aujourd’hui des actes concrets de la France : la reconnaissance de sa responsabilité, des excuses officielles et un processus de réparation. Alors que le rapport de la commission mixte Cameroun-France sur les crimes coloniaux vient d’être publié, Daniel Um Nyobe refuse le silence et les gestes symboliques sans portée.
Une plaie familiale et nationale encore ouverte
Pour Daniel Um Nyobe, l’histoire de l’indépendance du Cameroun n’est pas simplement un épisode politique. C’est une douleur intime, gravée dans sa chair. À un an à peine, il perd son père, son mentor présumé, assassiné par l’armée française. Ce jour-là, il voit aussi sa grand-mère maternelle tomber sous les balles, et il est lui-même blessé. Son enfance se déroule dans la clandestinité, dans la misère, avec pour seule richesse le souvenir d’un père que l’on ne pouvait même pas nommer en public. Pendant longtemps, se recueillir sur sa tombe relevait de l’acte clandestin.
En 1991, une loi réhabilite officiellement plusieurs figures indépendantistes, dont Ruben Um Nyobe. Mais pour son fils, cela reste insuffisant. Aucun lieu de mémoire digne de ce nom, aucune commémoration nationale, aucune véritable intégration de ces figures dans le récit officiel du Cameroun. Pire encore, selon lui, le lieu d’enterrement à Ezéka a été choisi par les bourreaux eux-mêmes. Daniel Um Nyobe espère transférer la tombe de son père à Boumnyébel, son bastion historique, mais se heurte encore à des intimidations. Même une simple plaque commémorative provoque l’arrivée de policiers à plusieurs reprises.
La France face à son passé : reconnaissance ou silence ?
Le récent rapport de la commission Cameroun-France, dirigée par l’historienne Karine Ramondy, met en lumière les violences extrêmes commises par l’armée française contre les mouvements indépendantistes. Mais ni Paris ni Yaoundé n’ont pour l’instant pris la parole. Daniel Um Nyobe réclame des excuses, une reconnaissance claire de la responsabilité de la France dans la mort de son père et de ses compagnons, et l’ouverture d’un vrai processus de réparation. Pour lui, ces gestes sont essentiels pour sortir d’une histoire « politicienne » et entamer une réconciliation sincère avec le passé colonial.
Autre source d’amertume : l’état actuel de l’UPC, le parti fondé par Ruben Um Nyobe. Minée par les divisions et les récupérations politiques, notamment sous le régime de Paul Biya, l’UPC a, selon Daniel, perdu son âme. Lui-même a été désigné vice-président d’une des branches du parti, proche du pouvoir, sans en avoir été réellement acteur. À ceux qui l’accusent de trahir la mémoire de son père en ayant soutenu Paul Biya en 2018, il répond : « C’était son dernier mandat, je pensais qu’il ferait un geste fort avant de partir. » Mais aujourd’hui, il avoue sa déception.
Un combat qui se poursuit, au nom de l’Histoire
Daniel Um Nyobe n’a jamais songé à changer de nom. Au contraire, il revendique l’héritage de son père avec fierté. Pour lui, le sang versé lors de cette lutte est aussi le sien. Il estime que la mémoire de Ruben Um Nyobe et de ses compagnons doit être pleinement assumée par le Cameroun comme par la France. Le silence ne peut plus durer. La justice pour les martyrs de l’indépendance, la mémoire des luttes africaines, et la réconciliation des peuples passent, selon lui, par cette étape indispensable de vérité.