L’eau est un bien commun qu’il faut préserver. Une évidence qui n’en est malheureusement pas une pour tout le monde. Le Festival de l’eau en Côte d’Ivoire a créé l’événement en abordant de manière festive, concrète et pédagogique une partie de la problématique dans le pays. A l’occasion de la seconde biennale le 22 mars prochain, le Dr Albert Pitté, président de l’association H2O Côte d’Ivoire, à l’initiative du Festival, revient sur le succès de la première édition. Interview.
Sensibilisation festive aux problèmes liés à l’eau en Côte d’Ivoire. Le second Festival de l’eau se tiendra le 22 mars prochain à Abidjan. L’occasion pour nous de revenir sur le succès de la première édition de la biennale (27 au 29 novembre 2003), qui s’est déroulé à la fois à Abidjan, capitale scientifique du Festival et dans le village lagunaire de Nigui-Saff (à 81 km au sud-ouest d’ Abidjan), capitale culturelle de l’événement. Le Dr Albert Pitté[[<*>Rencontré à Monaco dans le cadre du Festival Asia/Africa pour les œuvres universelles de solidarité (Famous, 18 septembre 2004).]], pharmacien de son état et président de l’association H2O Côte d’Ivoire -organisatrice du Festival-, revient sur les différentes problématiques rencontrées dans le pays et la manière d’y faire concrètement face.
Afrik.com : Sous quels aspects, le Festival de l’eau en Côte d’Ivoire aborde-t-il la question de l’eau ?
Dr Albert Pitté : Il s’agit pour la Côte d’Ivoire d’une biennale à trois dimensions : technique, culturelle et touristique. Parce que l’eau ne peut pas être envisagée sur le plan uniquement scientifique. Nos cultures, nos rites et nos traditions liés à l’eau méritent d’être réaffirmés, perpétués et renouvelés pour les générations présentes et surtout futures. Pour ce qui est du tourisme, il faut juste prendre conscience qu’il ne peut s’épanouir dans un environnement pollué.
Afrik.com : Pourquoi appeler l’événement Festival de l’eau et non colloque ou séminaire ?
Dr Albert Pitté : Il faut créer l’événement. Les gens viennent à la fête. Mais c’est une fête avec différents thèmes et ateliers liés à l’eau, pour joindre l’utile à l’agréable. Au-delà de la fête, il y a des concours, des actions de sensibilisation, des rencontres professionnelles … Les chercheurs et les scientifiques se réunissent également pour prendre des résolutions qui seront appliquées concrètement sur le terrain entre deux festivals.
Afrik.com : Pourquoi finalement avoir créer un Festival de l’eau ?
Dr Albert Pitté : Il y a eu beaucoup de résolutions sur l’eau en Côte d’Ivoire, mais elles sont restés dans les tiroirs. Il y a même un code de l’environnement. Mais ce n’est pas souvent appliqué, parce que le domaine est trop vaste. Le gouvernement ne peut pas tout assumer seul, il faut que les Organisations non gouvernementales et la société civile prennent un pan de la sensibilisation sur le terrain pour compléter celles menées par l’Etat.
Afrik.com : Quels sont les problèmes concrets que rencontre la Côte d’Ivoire en matière d’eau ?
Dr Albert Pitté : Le thème de 2003 était : « Quel environnement lagunaire et marin pour un développement durable ». La Côte d’Ivoire, c’est 500 km de côte entre le Libéria à l’Ouest et le Ghana à l’Est. Un littoral qui représente 80% de l’économie nationale, avec des gisements pétroliers et gazier et les ports. Un littoral qui accueille le tiers de la population du pays. Cette intense activité économique n’est pas sans générer quelques problèmes sur l’environnement. Notamment en terme de rejets dans le milieu naturel de déchets industriels, agricoles et domestiques sans traitement préalable. Abidjan, par exemple, qui était la « Perle des lagunes », a depuis longtemps perdu son titre, car toutes les baies autour d’Abidjan sont polluées. Il y a des odeurs nauséabondes, notamment à cause des huileries et des savonniers qui ont déversé leurs déchets dans les eaux sans les traiter. De même que les populations urbaines qui, au lieu de faire leur vidange dans des collecteurs prévus à cet effet, déversent l’huile usagée dans les caniveaux à ciel ouvert, tout comme des tas d’autres déchets. Alors que ces caniveaux sont uniquement sensés accueillir l’eau de pluie. Tout est charrié directement dans la lagune…
Afrik.com : Quels sont les problèmes que l’on peut rencontrer dans le secteur de la pêche, première activité marine ? Et comment H2O Côte d’Ivoire y fait concrètement face ?
Dr Albert Pitté : Il y a, par exemple, des pêcheurs qui pêchent avec des produits toxiques agricoles. Pour ce faire, ils vont dans des eaux peu profondes ou là où il y a des roseaux, parce que c’est là où se trouve l’habitat des poissons. Ils déversent leur produit et les poissons sont abasourdis, ce qui leur permet de les capturer facilement. Une pratique on ne peut plus dangereuse car ces mêmes poissons, qui ont des toxiques dans le corps, se retrouvent en vente sur les différents marchés. Il faut aussi expliquer aux pêcheurs que cette méthode n’est pas bonne pour eux-mêmes. Car après leurs prises, ils tuent non seulement les géniteurs mais aussi les alvins. Et ils ne retrouveront plus rien s’ils reviennent le lendemain. Nous devons faire face à d’autres types de problèmes liés à la pêche, comme la surexploitation. Comme il y a de plus en plus de population, les gens pêchent même les jours fériés ou prohibés. La pêche est réglementée et il y a une période de reproduction des alvins qu’il faut respecter. Or la pêche est bien souvent la seule activité des foyers. Il faut donc apprendre aux gens à élever du poisson. Ou bien les encourager à faire d’autres types d’élevage, comme celui de poulets ou de chèvres, pour respecter les périodes d’interdiction de la pêche. Et assurer un meilleur renouvellement des espèces.
Afrik.com : Quels sont les types de problèmes liés à l’eau que l’on rencontre sur le littoral ivoirien en matière d’environnement ? Et quelles sont vos actions ?
Dr Albert Pitté : Beaucoup de personnes utilisent les mangroves, c’est-à-dire la flore des berges, comme bois de chauffe. Alors que les mangroves, d’une part, sont les gîtes de reproduction des poissons et, d’autre part, empêchent l’érosion des côtes grâce à leurs racines profondes qui retiennent la terre. Il faut expliquer à la population qu’il existe des solutions alternatives, comme le gaz (et nous en avons beaucoup en Côte d’Ivoire) ou l’utilisation de fours améliorés, qui utilisent très peu de bois.
Afrik.com : Le Festival de l’eau a-t-il concerné les jeunes ?
Dr Albert Pitté : Il y avait une partie « Eau et éducation » destinée aux enfants du primaire et du secondaire. Cela a donné lieu à des concours de dessins, de photographie, de poèmes. L’objectif est que les enfants prennent conscience qu’il faut protéger l’eau et qu’ils deviennent de futurs éco-citoyens. Les sages ont également participé au Festival, car ce sont de puissants relais pour opérer une bonne sensibilisation de la population sur les problèmes liés à l’eau. Nous avons été agréablement surpris par le succès de l’événement, notamment chez les jeunes, parce qu’il ne faut pas oublier que le Festival a été organisé en pleine crise. Il y avait près de 6 000 élèves du primaire et du secondaire et près de 10 000 étudiants qui se sont activement mobilisés pour le festival.
Afrik.com : Qu’est ce que les étudiants ont concrètement fait dans le cadre du festival ?
Dr Albert Pitté : Les étudiants ont apporté leur pierre à l’édifice en développant, par exemple, des initiatives pour mieux gérer l’eau dans les bâtiments universitaires. Et les résultats ont été des plus spectaculaires et saisissants. La Sodéci (Sociéte de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire, ndlr) est venue poser des compteurs d’eau pour voir ceux qui consommaient moins et donc qui avaient fait le plus d’économie. Les universitaires ont fait réparer les fuites d’eau dans les locaux. Dans une seule résidence universitaire à Abidjan, nous avons réussi à économiser deux millions de FCFA de facture d’eau en un mois. Quand vous multipliez cela par quelques 19 résidences de la ville, le tout multiplié par 12 et vous obtenez 456 millions de FCFA (690 000 euros) d’économie par an. Vous vous rendez compte !
Afrik.com : Comment, au-delà des fuites, expliquer un tel gaspillage ?
Dr Albert Pitté : Dans les résidences universitaires, comme dans les structures publiques ou para publiques (armée, ministères) les gens se disent que ce n’est pas eux qui payent l’eau, c’est l’Etat. Donc ils laissent les fuites d’eau en l’état sans s’en soucier. Personne ne se sentait concerné. Alors que les mesures d’économies sont simples. Cela tient au changement d’un joint, au fait de fermer l’eau quand on se brosse les dents ou quand on sort de la douche, ou ne serait-ce que de prévenir quand il y a une fuite pour qu’elle puisse être réparée.
Lire le dossier sur le Famous (Festival Asia/Africa pour les œuvres universelles de solidarité):
Le Famous malgré tout
L’Afrique et l’Asie, main dans la main à Monaco
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La cabale de l’oligarchie mondiale de l’eau
Pascal Gentil : « le taekwondo est le sport du nouveau millénaire »