La recette de Peugeot en Afrique : des véhicules adaptés, des centres de formations, des réseaux de maintenance. Fort de cette philosophie qui a fait ses preuves dans l’Ouest francophone, le constructeur français concentre ses efforts sur les marchés sud-africain et nigérian. Entretien avec Bernard Morot, son directeur pour l’Afrique.
Afrik : Peugeot en Afrique noire, c’est d’abord l’image d’un pré carré battu en brèche depuis 25 ans par les Japonais. Qu’en est-il réellement ?
Bernard Morot : D’abord nous avons plusieurs types de présence en Afrique noire, plusieurs stratégies adaptées aux marchés. Nous sommes traditionnellement forts dans l’Ouest et le Centre où subsistent des liens historiques et où il y a une certaine unité économique et linguistique. Les autres marchés, ce sont le Nigeria où nous occupons une place de leader, le Kenya, le Zimbabwe et enfin, le marché sud-africain que nous avons abandonné un temps et que nous cherchons à réinvestir.
En Afrique de l’Ouest, où le marché des véhicules neufs est plutôt à la régression, notre marque réalise 2 500 ventes sur 20 000 unités vendues chaque année. Mais là aussi il faut distinguer le marché des automobiles pour les particuliers où nous sommes forts, avec 25% des parts, de celui des véhicules utilitaires où, faute d’une gamme complète produite par notre entreprise, Peugeot ne rafle que 10% du marché. Loin derrière le leader nippon, Toyota, qui distance encore plus largement nos concurrents européens.
Afrik : Certaines sources affirment que le marché de l’occasion en Afrique est dix fois plus important que le marché des véhicules neufs, pourquoi ne vous en emparez-vous pas ?
BM : Ce sont des chiffres exagérés. Même s’il est difficile de quantifier ce commerce. Comprenez que pour nous, aller sur le marché de l’occasion serait totalement contradictoire avec les politiques que nous développons sur place. Des politiques de développement de réseaux de maintenance et de véhicules adaptés aux exigences du continent. Le marché de l’occasion fait rentrer n’importe quelle voiture. Il est incontrôlable. Ce ne serait pas responsable de notre part.
Afrik : Produire et exporter des voitures pensées pour le continent, puis donner les moyens de les entretenir sur place, c’est cela la recette Peugeot ?
BM : La logique Peugeot, oui : qui dit véhicules adaptés dit pièces de rechanges, dit aussi ateliers et formation. Nous menons des études spécifiques. L’essentiel de notre effort se porte sur l’adaptation des produits en créant des gammes destinées à l’Afrique, qui intègrent les facteurs aussi divers que les réalités climatiques, l’état des routes, les infrastructures de maintenance et la mauvaise qualité des carburants. Concrètement ça veut dire : pas de filtres à particules, des amortisseurs renforcés, des systèmes de refroidissement améliorés. Second volet : multiplier les ateliers et les compétences. Ce qui implique un effort de formation, comme l’école régionale d’Abidjan. Nous devons former des gens capables d’intervenir sur des technologies très évoluées si nous voulons vendre autre chose que des 504.
Afrik : Selon vous, faut-il briser avec cette logique pour vous développer sur le continent et conquérir des marchés ? Ou comptez-vous au contraire la pousser plus loin pour réaliser vos objectifs ?
BM : Les axes dont je vous ai parlé seront renforcés. Ensuite, dans les prochaines années, nous allons nous atteler à progresser dans les véhicules utilitaires légers. Dans la catégorie » fourgonnette « , nous fondons de gros espoirs sur les modèles » Partners « . Nous allons cibler les transports urbains pour vendre nos modèles » Boxers « . Nous allons également mener de gros efforts dans la création d’ateliers de réparation rapide, ce qui implique des investissements pour développer les offres dans les ateliers existants comme à Abidjan et Dakar, et créer d’autres centres comme nous en avons le projet à Douala et Libreville.
Enfin, nous nous adaptons aux nouvelles opportunités offertes par la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud et l’arrivée de la démocratie au Nigeria. Deux marchés énormes qui exigent une politique volontariste. Au Nigeria, marché de 120 millions d’habitants au gros potentiel pétrolier, nous produisons environ 7 000 véhicules par an et nous en exportons un millier. Cela constitue environ 40% du marché. Depuis deux ans nous produisons des 306 et 406 ainsi que des » Boxers » et » Experts » adaptés. Mais cette politique de renouvellement de gammes nécessite là aussi un effort de formation conséquent, d’où l’école technique de Kaduna dans le Centre/Nord du pays. Car si la 504 se répare n’importe où en Afrique, pour les modèles récents il faut aller chez le concessionnaire.
En Afrique du Sud, notre défi est de conquérir un parc de 350 000 véhicules. Nous ne manquons pas d’atouts. Notre image est bonne auprès des nouvelles autorités car nous avions abandonné le marché pour cause d’Apartheid. Nos produits sont bien acceptés. Mais le marché est extrêmement protégé puisque les droit de douanes frisent les 60%. Pour en diminuer l’impact il faut équilibrer les échanges commerciaux avec le pays. Les Sud-africains pratiquent volontiers la politique des » rebats » (rabais sur droits de douanes. Ndlr). Donc nous avons investi 125 millions de francs dans les composants. D’abord, cela nous permet de doubler nos ventes qui vont passer à 2 500 véhicules/an. Ensuite, l’Afrique du Sud est très compétitive sur des composants qui comprennent des métaux précieux ou du cuir pour les sièges, car le pays en est très bien pourvu.
Afrik : La presse a révélé que Peugeot s’apprête à acheter les usines du coréen Hyundai au Botswana. Est-ce dans une perspective de production pour la sous région ?
BM : (Rire) Cette information n’est pas sérieuse. Nous la démentons catégoriquement.
Afrik : Est-ce le marché sud-africain seulement que vous visez ? Ou allez vous suivre Volkswagen et Volvo qui s’y sont installés dans l’intention avouée d’en faire une plate-forme d’exportation ?
BM : Je ne crois pas à la réalité économique d’une politique d’implantation visant d’autres marchés que le marché national. Les coûts de production en Afrique du Sud ne sont pas suffisamment compétitifs pour compenser les prix d’exportation, au vu de la distance qui sépare le pays de l’Europe et des USA. Et puis le marché sud-africain est suffisamment important en soi pour qu’on s’y penche.