Le digne combat des femmes d’Aba au Nigeria


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femmes d’Aba au Nigeria

Quand on observe au quotidien le manque de libertés qui entravent la vie des Africains, on a du mal à croire que ce continent était jadis un digne défenseur de sa liberté. Et pourtant…

Dans son article, Ibrahim B. Anoba, nous raconte la puissante histoire des femmes d’Aba qui, au Nigeria, en 1920, avaient mené un combat de plus de deux mois contre le colonisateur et ses relais locaux. En cause : la fiscalité que les Britanniques voulaient leur imposer. Des dizaines de femmes y ont perdu la vie mais cela ne les a pas arrêtées ! Il ne faut pas oublier cet épisode d’histoire qui peut encore inspirer les quelques défenseurs de la liberté sur le continent.

Les célèbres insurrections des femmes d’Aba en 1929 étaient une rébellion de deux mois menées par les femmes du marché local de la tribu Igbo du sud-est du Nigéria contre les pouvoirs excessifs du gouvernement britannique et de ses chefs à l’apogée du colonialisme. La rébellion a été déclenchée par l’imposition d’une politique fiscale à ce groupe de femmes traditionnellement exonérées d’impôt. Cet événement est un exemple de la longue histoire de l’Afrique animée très tôt des valeurs de la liberté en réponse à l’état déplorable de la condition humaine à travers le continent.

Une gouvernance britannique à la dérive

Tirant les leçons des lacunes de l’approche française d’assimilation dans ses colonies africaines, et tenant compte de la réticence du gouvernement britannique à s’engager financièrement dans ses protectorats, le gouverneur général du Nigéria, Frederick Lugard, a adopté un système inique de gouvernance par procuration. Ce système donnait aux chefs traditionnels et aux chefs d’Etat nommés par les Britanniques la mission de représenter la reine d’Angleterre. Cela leur permettait d’avoir des « yeux » partout à moindre coût. C’est ce qui a permis aux Britanniques d’agir de manière agressive pour piller les ressources minérales de l’Igboland (patrie indigène des Igbos au Nigéria).

Mais alors que les maîtres s’employaient à utiliser les ressources de la colonie pour industrialiser la Grande-Bretagne, les chefs locaux mandatés devinrent puissants et despotiques. Ils extorquaient leurs sujets en imposant des amendes et des frais déraisonnables. Ils ont saisi des propriétés privées à volonté et ont brutalisé toute personne opposée à leur autorité. En revanche, dans l’Igboland précolonial, les dirigeants étaient traditionnellement élus et pas imposés. Leurs systèmes administratifs étaient fortement décentralisés et égalitaires. Ils ont ainsi rejeté toute forme de concentration du pouvoir, décentralisant plutôt l’autorité entre les groupes d’âge et les clans qui constituaient la communauté.

La tyrannie fiscale aux origines de la rébellion

Dans les années 1920, de nombreuses critiques se sont levées contre le gouvernement britannique, critiqué pour ne pas avoir développé les colonies en dépit d’en avoir beaucoup profité. Cette crise coïncidait avec les grosses pertes financières que la Grande-Bretagne avait essuyées durant la Première Guerre mondiale. Pour recueillir des fonds, les colons ont dû trouver des systèmes « ingénieux ». Parmi, un impôt direct à l’attention des femmes, des enfants, du cheptel et autres biens personnels.

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Pour ce faire, les Britanniques ont organisé un recensement dont le public a compris rapidement qu’il était lié à la nouvelle politique fiscale. Les commerçantes s’inquiétaient des effets possibles de la nouvelle règle fiscale sur leurs entreprises et de la manière dont elles pourraient s’acquitter de ces nombreuses charges financières imposées par les chefs locaux mandatés. Elles ont alors fermement demandé au gouvernement colonial de préserver leur statut d’exemption fiscale, mais leur plaidoyer a été rejeté. Résolues à préserver leur liberté, elles se sont engagées dans la défiance en ne payant pas d’impôts et en refoulant tout étranger désirant identifier leurs biens. C’est dans ce contexte de méfiance, qu’au cours d’une tentative de recensement, une vive dispute a éclaté entre un agent du recensement et une veuve. L’altercation s’est terminée par l’agression de la veuve. La nouvelle est rapidement parvenue à un rassemblement de femmes du marché de la ville alors même qu’elles étaient en train de discuter de la politique fiscale délirante. Furieuses, elles ont mobilisé leurs collègues des villages voisins et se sont rendues au bureau du chef de la police locale pour exiger sa démission.

La manifestation s’est alors vite transformée d’un sit-in pacifique à la résistance la plus féroce que les Britanniques n’aient jamais affrontée dans leurs colonies africaines. Cela a conduit à la destruction des infrastructures et des usines du gouvernement dans tout l’Igboland. Les troupes coloniales et la police ont répondu avec une féroce brutalité. Plus de 25 000 femmes étaient impliquées, dont des dizaines ont été tuées et sévèrement battues. En peu de temps, les nouvelles de la résistance se sont répandues à travers le monde, inspirant d’autres groupes minoritaires en Afrique. Bien entendu, la rébellion n’a pas mis fin au colonialisme, mais elle a renforcé les fondements d’une administration autochtone inclusive et, dans une certaine mesure, la lutte pour l’indépendance.

Une tradition de la liberté africaine mourante

La bravoure de ces femmes en préservant leurs propriétés et leurs droits traditionnels et en luttant à mains nues contre un système puissant souligne le fort esprit d’intolérance de l’Afrique face à la tyrannie.

Bien avant que John Locke n’écrive les deux traités du gouvernement civil en 1689, ce qui a contribué à jeter les bases intellectuelles des limites du pouvoir du gouvernement, de nombreuses tribus africaines vivaient en harmonie avec ses idées. C’étaient des communautés anarchiques et hautement démocratiques qui prospéraient sans planification centrale. On peut citer: les Igbo, les Ijaw (Nigeria), les Tallensi (Ghana), les Logoli (Kenya), les Tonga (Zambie) et les Nuer (Soudan du Sud). Il s’agissait certes de valeurs traditionnelles orales difficiles à documenter. Elles ont été mises à l’épreuve durant la colonisation et, malheureusement, l’Afrique a depuis perdu son mode de vie en raison de la fusion de plusieurs groupes ethniques en États coloniaux. La rébellion des femmes d’Aba est malheureusement l’un des derniers récits des vraies valeurs africaines. L’écrivain Sam Mbah dit d’ailleurs: « Dans une plus ou moins grande mesure, toutes les sociétés africaines traditionnelles ont manifesté des «éléments anarchiques» qui, après un examen attentif, confirment le truisme historique selon lequel les gouvernements n’ont pas toujours existé. Ils ne sont qu’un phénomène récent et … alors que certaines caractéristiques « anarchiques » des sociétés africaines traditionnelles existaient en grande partie au cours des stades de développement passés, certaines persistent et demeurent à ce jour. »

Malheureusement, l’Afrique contemporaine est à l’opposé de ce que les ancêtres de la région ont résolument obtenu par la lutte. Le continent est englué dans la pauvreté alors que les tyrans et leurs copains pillent ses ressources en toute impunité. Les jeunes Africains, baignant dans les idées reçues, défendent ardemment les politiques qui entretiennent leur propre pauvreté. Les défenseurs de la liberté devraient continuer à propager l’histoire des femmes d’Aba pour trouver un nouvel élan de courage dans leur lutte contre la tyrannie.

Par Ibrahim B. Anoba, analyste pour Africanliberty.org. Article initialement publié en anglais pat el Fondation for Economic Education – Traduction réalisée par Libre Afrique.

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