La France fait face à un rejet croissant sur le continent africain, un phénomène que Paris peine à comprendre et à gérer. Une récente enquête conjointe de l’ONG Tournons La Page (TLP) et du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po révèle que cette défiance, loin d’être simplement un « sentiment anti-français », s’enracine dans des critiques précises et documentées de la politique française en Afrique.
Des griefs profondément ancrés en Afrique subsaharienne
La présence française en Afrique subsaharienne cristallise les tensions. Le soutien historique de Paris à des régimes autoritaires et ses interventions militaires sont perçus comme les symboles d’une politique néocoloniale persistante. Les témoignages recueillis par TLP sont éloquents : la présence militaire française, malgré sa justification sécuritaire, est vue comme inefficace voire contre-productive. En Côte d’Ivoire, au Tchad, au Niger, les voix s’élèvent pour réclamer la fin des interventions militaires au profit d’un véritable soutien aux forces armées locales. « Le principal enseignement de cette enquête est que, dans les réseaux militants, le rejet de la politique française en Afrique est massif, presque unanime » a déclaré la présentatrice du rapport.
Sur le plan économique, les accords avec la France sont de plus en plus contestés. Les mouvements de jeunesse et les organisations citoyennes dénoncent des arrangements qui favorisent les multinationales françaises au détriment du développement local, appelant à une véritable souveraineté sur les ressources africaines. « Nous étions à un moment donné le deuxième producteur de certains minéraux. Les plus chers au monde. Et le monopole de cette exploitation appartient à la France. Mais en quoi est-ce que nous, ça nous a développé ? Je ne vois aucun caractère positif », expliquait un membre du focus-group du Niger.
La désinformation, un faux débat ?
Face à ces critiques, la stratégie française de blâmer systématiquement la désinformation russe apparaît comme une échappatoire. Si l’influence de Moscou et la désinformation orchestrée sur les réseaux sociaux est bien réelle, le rapport de TLP souligne que le rejet de la France s’appuie avant tout sur des expériences concrètes de domination et de condescendance.
Cette tentative de Paris de détourner le débat vers des acteurs extérieurs est perçue comme une nouvelle manifestation de son incapacité à reconnaître la légitimité des aspirations africaines.
Au Maghreb, la situation est encore plus délicate. La reconnaissance récente par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental illustre la complexité du jeu diplomatique français. Cette décision, si elle a satisfait Rabat, a provoqué la colère d’Alger, fervent défenseur du droit international qui soutient l’indépendance sahraouie. La tentative de Macron de maintenir un équilibre en initiant une réconciliation mémorielle avec l’Algérie – notamment via la restitution de biens culturels et l’ouverture des archives – témoigne d’une diplomatie d’équilibriste de plus en plus périlleuse.
Un impératif de refondation
Pour la France, le rapport montre que l’urgence est désormais à une refonte profonde de sa politique africaine. L’approche paternaliste et les réflexes néocoloniaux ne sont plus tenables face à des sociétés civiles africaines de plus en plus mobilisées. Paris doit trouver un nouvel équilibre entre ses intérêts stratégiques et le respect des aspirations africaines à la souveraineté.
L’enjeu est crucial : dans une Afrique courtisée par de multiples puissances, notamment une Russie perçue comme moins intrusive, la France risque de perdre définitivement son influence si elle ne parvient pas à transformer radicalement son approche. Pour Emmanuel Macron et son gouvernement, il s’agit désormais de construire une nouvelle relation basée sur le respect mutuel et l’égalité, seule voie possible pour maintenir des liens privilégiés avec le continent africain.
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