Le courroux de l’Homme-lion de la principauté souveraine d’Etoudi


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L’homme-lion. Ainsi nomma-t-on Paul Biya le temps d’une campagne électorale orchestrée par des experts parisiens payés à prix d’or pour lui tisser une apparence d’honorabilité. La métaphore est parlante, elle saisit l’essence même du personnage, comme celle d’un autre lion d’une de nos fables d’école primaire. Le vénérable lion de la fable est fameux pour son étrange sens de la justice. Ou d’injustice, si l’on prend l’affaire par le bout de ceux qui pâtissent de la justice selon l’évangile martial du prince de céans.

Réminiscence : « Les animaux malades de la peste ». Morceaux choisis : « un mal qui répand la terreur, mal que le ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre, la Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom), capable d’enrichir un jour l’Achéron, faisait aux animaux la guerre ». On aura reconnu Jean de Fontaine, comme le pastiche qui suit, que chacun peut rattacher à une expérience personnelle dans un Cameroun où la fumeuse « lutte contre la corruption » s’étire comme un serpent de mer : « le pays est malade de la corruption, un mal qui tue, freine le « développement », un mal que de cruels antipatriotes ont introduit pour flouer le bon peuple et trahir la confiance du monarque d’Etoudi ».

Diantre ! Il faut faire quelque chose. N’importe quoi : enquêtes, procès, puis potence ou séjour prolongé à Kondengui, dans la confrérie des crapules en col blanc, celles des déchus de la république. Le fabuliste nous dit que « le lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, je crois que le ciel a permis, pour nos péchés, cette infortune ; Que le plus coupable de nous se sacrifie aux traits du céleste courroux. Peut-être il obtiendra la guérison commune. L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents on fait de pareils dévouements ». La scène judiciaire est parlante : le lion est juge, comparse renard se fait avocat-flagorneur pour la circonstance. Le loup est procureur. L’âne que personne n’a prévenu de cette collusion est la victime expiatoire toute désignée. La justice sera expéditive, impitoyable. Des têtes doivent tomber ! Pastiche camerounais : « messire d’Etoudi tient conseil : mon cher peuple camerounais, quelques âmes dévoyées ont distrait une partie de la fortune nationale. Que les coupables comparaissent donc au tribunal souverain de la corruption. L’histoire nous apprend que des sanctions sont nécessaires, pour dissuader d’autres brigands »

Acte donc : quelques gros poissons sont priés d’aller faire valoir leurs droits pénitentiaires au cachot de la honte. C’est aujourd’hui le tour de compère Ephraïm Inoni et du grand hiérarque Marafa Hamidou Yaya. La justice sera expéditive : garde des sceaux et procureurs zélés sont avertis et sont aux ordres de l’homme-lion. Comme le renard et le loup, assesseurs concussionnaires qui ne disent au lion de la fable que ce qu’il lui plait d’entendre. Le lion et les autres font bonne mesure, ils confessent quelques péchés sans conséquence, rien qui justifie que la loi vengeresse brandisse son glaive. Et le « roi-homme-lion » du domaine souverain d’Etoudi ? Il pourra sans doute confesser une erreur de jugement ou de casting : des malins ont abusé de sa confiance et de sa naïveté. Il se sent floué, lui à qui le bon peuple a confié les clefs de son goulag trentenaire et l’a supplié de prolonger son bail pour mener à bien la tâche qu’il accomplit fidèlement. N’a-t-il pas juré qu’il ne faillira point là où son « illustre prédécesseur » a tenu la barre fermement ? On pardonnera aux sceptiques et aux sardoniques de ricaner sous cape. La sagesse n’est-elle pas dans la ruse, l’ironie et le mépris des puissants ? Nous le savons tous, la suite de l’affaire est connue depuis la fable du bon La Fontaine de nos joyeuses années d’école buissonnière : « à ces mots on cria haro sur le baudet. Un loup quelque peu clerc, prouva par sa harangue qu’il fallait dévouer ce maudit animal, ce pelé galeux d’où venait tout le mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable ! Rien que la mort n’était capable d’expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Personne n’aura la fantaisie de s’apitoyer sur le sort des écroués. Ils auraient dû savoir qu’une cuillère à long manche est de rigueur pour diner avec le diable. Paul Biya n’est pas le diable, il est juste l’ordonnateur d’un système opaque qui favorise les concussions et la prédation érigée en sport politique et économique national parmi ceux qui disent vouloir servir, sévir dans la république.

La moralité politique des procès en corruption et détournement tient à ce qu’ils sont surtout un symptôme banal d’un mal plus profond. Il réside dans un art de gouverner qui se soustrait à tout contrôle. Il importe peu que des comparses de ripailles et de beuveries soient envoyés au bagne après avoir été épinglés pour des indélicatesses criminogènes. En l’absence de procédures impartiales de contrôle et dans un pays où le trésor public est livré au pouvoir discrétionnaire du prince et de ses assesseurs, tout peut arriver. En particulier, les détournements de deniers publics ne sont pas un accident dans l’autocratie électorale de Paul Biya. La possibilité même d’indélicatesses de cette sorte fait partie de l’essence du système, ce qui le définit en propre. La question fondamentale est de savoir comment des pillages de l’envergure dont les réquisitoires parlent sont simplement envisageables dans un pays normal. D’autres question restent pendantes : comme celles du timing. Les faits remontent à quelques années. Les prévenus étaient connus ; mais ils restaient en poste, ou en réserve de la république, en attendant qu’un sort redevenu clément veuille bien élargir leurs horizons pour de nouvelles agapes et d’autres honneurs, aux frais de l’Etat.

L’étrangeté du timing de ces arrestations, alors qu’une autre imposture législative vient de mettre un terme unilatéral aux protestations sur le code électoral, a de quoi rendre soupçonneux. Après tout, n’est-ce pas là la marque même de la ruse de l’homme-lion : donner le change, divertir, gagner du temps, pour bien faire passer sournoisement les plus sordides de ses édits liberticides ? Ce timing peut être interprété comme une « occasion », de celles qui font les larrons. Mais rien ici n’est fortuit : l’occasion est ici la marque d’un pouvoir qui prospère dans la diversion et des pratiques dilatoires issues de mœurs politiques de maraudage. Les citoyens avertis se souviennent des actes du prince agacé qu’on parle de détournements de deniers publics. « Ou sont les preuves ? » Dixit Paul Biya. Il faut croire qu’il a labouré dur pour finalement en trouver, après de longues années ponctuées par des nominations d’affidés qui passent des youyous et des danses des remerciements au cachot. Les fripons en disgrâce sont si nombreux qu’on doit s’interroger sur la moralité de celui qui confie les clés de la bergerie au loup.

Dans un pays où les puissants au service du prince passent des lampions à la lampe-tempête, voire au « violon » orné de son « président », cette pissotière familière aux infortunés qui croupissent dans les commissariats de police de la république, on doit s’attendre à tout. Un journaliste chevronné bien de chez nous a entendu la leçon de la bouche même du prince. Epouvanté, il est parti sans demander son reste pour des pâturages plus verts. Paroles de chef : « le chef de l’État peut révoquer les titulaires de ces fonctions à tout moment, en toute discrétion, sans avoir d’explication à donner à qui que ce soit. Dans le jargon juridique de mon temps, on disait : ce sont des fonctions révocables ad libitum: c’est-à dire, monsieur Éric Chinje, que je peux opiner de la tête, et vous n’êtes plus rédacteur en chef de la CTV. Je n’ai pas à expliquer quoi que ce soit à ce sujet ». Là réside le mal : un pouvoir discrétionnaire illimité qui échappe à toute juridiction de contrôle. La grandeur des démocraties est d’avoir institutionnalisé des mécanismes qui permettent de surveiller et maintenir honnêtes ceux qui exercent des magistratures publiques. La discrétion y demeure exceptionnelle, surtout lorsqu’elle favorise le pourrissement qu’engendre une culture de l’irresponsabilité consacrée par une « constitution » taillée sur mesure qui met le président à l’abri de poursuite judiciaires ou d’indélicatesses suspectes.

Quelques comparses sont en prison et y resteront sans doute, comme d’autres avant eux, parce que le puissant « ndoss » national en a décidé ainsi. Lapiro de Mbanga, une autre cible favorite du prince, nous rappelle que, dans la fange des gens sans foi ni loi, « erreur for Mboutoukou, Na damé for Ndoss ». Le Ndoss est content : les Mboutoukou finiront au cachot pour partager le sort des grenouilles qui ont voulu se faire plus grosses que le « Ndoss national » du domaine souverain d’Etoudi. Faut-il espérer qu’un jour on tienne publiquement la comptabilité des actes discrétionnaires du prince, du coût de ses séjours répétés en Suisse, ce théâtre d’une extraordinaire diplomatie et de négociations au plus haut niveau, dont on verra bientôt les retombées en termes de contrats et d’investissements, d’emplois pour les galériens de la république, et d’autres initiatives porteuses de prospérité? On peut rêver.

La déchéance de Marafa Hamidou Yaya et de l’ex-premier ministre Ephraïm Inoni fournit l’occasion d’une évocation qui situe sur l’art de gouverner tel que Paul Biya le conçoit. Le secret didactique est fourni par nul autre que Nicolas Machiavel qui, si l’on croit Jean-Jacques Rousseau, n’aurait fait que vendre la mèche en révélant au grand jour ce que les princes font dans l’ombre. Après la conquête de la Romagne, César Borgia confie à Rémi d’Orque la tâche de pacifier et remettre en ordre une région indocile. L’homme de main prend sa tâche à cœur et exécute la volonté du prince sans sourciller, sans scrupules. Le peuple est saisi d’effroi et s’alarme d’une cruauté qui parait sans bornes. Un peuple épouvanté et ulcéré est dangereux. Il faut l’apaiser. Quoi de mieux qu’un sacrifice de comparse ? Vite fait, bien fait : le coupable désigné est mis à mal, à mort. Ce qui frappe dans la déchéance des nouveaux pensionnaires de Kondengui est qu’ils ont été des comparses fidèles. Au service du prince, ils ont docilement œuvré à l’aider à matérialiser son rêve de carrosse volant rutilant, pour ses voyages en Suisse. Les voici donc livrés à la vindicte populaire de la chasse aux corrompus, tandis que le grand ordonnateur se frotte les mains. La presse des sbires et des adorateurs applaudira, elle chantera la détermination du prince à nettoyer les écuries, à donner des cauchemars aux crapules. Les clameurs ne feront pas oublier l’essentiel : le temps est révolu où il suffisait de quelques comparses pour apaiser le peuple en faisant diversion, afin que continuent dans l’ombre les grandes rapines nationales, comme la vie de château et de plaisance des récipiendaires du partage du butin. La poétesse Joyce Ashuntantang et Dibussi Tande nous le rappellent bien dans un volume qui rend hommage à Bate Bessong: « their champagne party will end ». La leçon de Machiavel que le peuple comprend aussi, pour sa propre gouverne, est que l’art de la diversion a ses limites. On peut donner le change, ruser ou duper la galerie. Mais chacun le sait, à commencer par Paul Biya qui n’a pas besoin d’avoir lu Abraham Lincoln pour le savoir : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ». Le peuple sait du moins une chose : la grande bouffonnerie du cirque des procès intentés aux détourneurs supposés de deniers publics restera une diversion qui ne trompe personne dans un pays où chacun sait qui est le « Ndoss » qui confie les clés de la bergerie au loup. Par cet acte, il en dit assez sur ce qui se trame dans son esprit et sur le contenu de ses foireuses « grandes ambitions » et de ses « grandes réalisations ». Tout cela est voué aux poubelles du grand cirque national, comme les slogans précédents si éculés et ridicules que plus personne n’en parle : « rigueur et moralisation », « santé pour tous en l’an 2000 », « large débat ». Les attrape-nigauds prospèrent dans la grisaille des aberrations de la farce grand-guignolesque de la satrapie de messire Biya de la principauté souveraine d’Etoudi. Quant au bon peuple, il est aux premières loges pour la représentation en exclusivité mondiale d’un chef d’œuvre de jean de La Fontaine : « Les voleurs et l’Ane », dans une mise en scène de Jean Miché kankan revenu d’outre-tombe : « pour un âne enlevé deux voleurs se battaient : l’un voulait le garder, l’autre le vendre. Tandis que coups de poing trottaient, et que nos champions songeaient à se défendre, arrive un troisième larron qui saisit maitre Aliboron ». Pastiche camerounisant : « pour un avion à acheter pour les promenades de l’homme-lion, l’un voulait piocher dans la cagnotte plus que le maitre lion, l’autre voulait un gombo encore plus gros et juteux». Faut-il verser des larmes de crocodile sur le sort des comparses d’agapes d’hier qui ricanaient de la misère du petit peuple? Le peuple sommeille : comme le troisième larron, on peut imaginer qu’il mettra au pas les acteurs de la tragicomédie gastronomique nationale et mettra fin aux facéties d’un croquemitaine devenue la risée de ceux qui ricanent en l’observant dans la gadoue de sa kleptocratie, en attendant l’acte final.

Paul Aarons Ngomo, New York, USA, Philosophe

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