Le coup de tonnerre de Ngugi


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Parmi les romans témoignages multiples laissés par les auteurs de la génération de la décolonisation et des indépendances africaines,  » Enfant, ne pleure pas  » de l’écrivain anglophone d’Afrique de l’Est Ngugi wa Thiong’o est sans doute l’un des plus puissants et curieusement des plus actuels.

L’histoire de Njoroge, l’enfant qui va à l’école, et qui croit à l’importance de l’instruction pour sauver son pays de ses drames, suit le cheminement d’une formation confrontée aux déchirements bien réels entre blancs et noirs, colonisés et colons, dans une région ou la lutte pour la libération fut conduite, les armes à la main, contre l’occupant anglais, de 1952 à 1956, par les révoltés kikuyus, plus connus sous le nom de  » Mau-Mau « .

Ce livre écrit en Ouganda en 1962, à la veille de l’indépendance du Kenya, qui intervint en 1963, est un cri de colère et de conscience humaine dénonçant le racisme, l’oppression, la cruauté, l’injustice, qu’ils soient perpétrés par des Blancs, des Noirs ou des Indiens. C’est aussi un chant à la terre, cette terre tellement aimée des Kikuyus, cette terre que Murungu, dieu de ce peuple d’agriculteurs, leur a confiée, et qu’ils doivent cultiver… Et en peignant l’univers mental de ce peuple d’Afrique de l’Est, Ngugi a écrit, voici bientôt quarante ans, une oeuvre où certains développements tout récents, au Zimbabwe par exemple, prennent tout leur sens…

Comment en effet ne pas lire certains événements d’actualité en filigrane de quelques passages ? « M. Howlands éprouvait une certaine satisfaction. La machine qu’il avait mise en marche fonctionnait. Les Noirs détruisaient les Noirs. Ils allaient tous s’anéantir… Qu’ils se battent : Qu’ils s’entre-tuent ! Le peu qui resteraient seraient satisfaits avec les terres que les Blancs leur avaient réservés…  » « M. Howlands, fidèle malgré tout à sa ferme maintenant laissée à l’abandon, y était retourné. Il ne pouvait s’en détacher. Cette ferme était sa femme ; il en avait cherché les faveurs et il l’avait conquise. Il fallait qu’il la surveille de peur que quelqu’un d’autre ne se l’approprie… « 

Si le drame de la révolte éclate avec violence sous les yeux et dans la psychologie même de Njoroge, c’est parce que les blancs, en s’appropriant de vastes ranchs, se sont interposés entre un peuple et ses racines les plus profondes, celles qu’il hérite de ses mythes fondateurs et de ses traditions. Les scènes terriblement violentes qui se déchaînent tout à coup témoignent de l’intensité des passions qui couvent, et dans l’esprit de l’enfant le même combat se livre entre le passé et l’avenir. Njoroge est bousculé jusque dans son identité et il finit le roman disloqué par ses contradictions intimes, sa raison malheureuse et ses convictions hésitantes : ses proches ses sont entre-tués, son frère a abattu le père de son amie, son père s’est sacrifié à la colère des Blancs pour couvrir son fils, M. Howlands lui-même trouvera la mort sur cette terre qu’il veut sienne…

Rien n’est simple, il n’y a pas d’une part le mal, de l’autre le bien. La lâcheté et le courage sont de chaque côté, bien partagés. Chacun fait selon ce qu’il croit, pour sauver ce à quoi il tient. A bon droit ou à tort. Aussi longtemps qu’il peut. Et il n’est pas facile de dire ce qui est juste : sinon que la violence, sous toutes ses formes, même ses formes civiles ou sociales, est toujours injuste.

Commander le livre Ngugi wa Thiong’o, Hatier Ceda 1983.

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