33 ans après la dernière cueillette, l’Algérie a décidé de relancer la culture du coton dans le pays. Les premiers semis vont être plantés en avril prochain. Première pierre d’un programme qui affiche, à plus long terme, l’ambition d’atteindre l’autosuffisance, notamment pour avoir une meilleure compétitivité au niveau du textile national.
De notre partenaire El Watan
Quel est le point commun entre un polo Lacoste, un billet de banque et des aliments pour bétail ? Le coton. Cette plante, introduite en Algérie dès la période romaine, a été cultivée aux XVe et XVIe siècles par les Turcs, puis par les Français aux XIXe et XXe siècles. Les cotonniers algériens ont connu leur dernière cueillette en 1972 dans la région de Annaba. Mais depuis 2004, l’or blanc fait son retour dans les terres algériennes.
Objectif : atteindre l’autosuffisance en coton
Une dynamique a été impulsée à la fin 2003 avec la création de la Société méditerranéenne du coton, Somecoton, détenue à 60% par Dagris, holding agro-industriel français, et à 40% par le groupe industriel textile algérien Texmaco. En 2004 a eu lieu une phase d’étude et de validation des programmes sur quelques hectares cultivés dans la région de Ouargla. Une expérience à plus grande échelle va être lancée à l’Est au cours de cette année. « Les préparatifs sont en cours dans les wilayas de Guelma et de Tarf. Nous sommes en train de sélectionner les terres. Les superficies ne sont pas encore définies, mais nous espérons travailler sur 300 ha. Les semis seront plantés en avril et la cueillette, manuelle, se fera en septembre », explique M. Ferhat, directeur général de la Somecoton. Ce dernier travaille sur le terrain avec un ingénieur français de Dagris et a embauché des ingénieurs et des techniciens locaux qui sont actuellement en formation pour mieux connaître les spécificités du cotonnier.
Dans la wilaya de Guelma, les essais se feront au sein de fermes pilotes mises à disposition par la SGPDA. A Tarf, ce sont des exploitants privés ou familiaux qui cultiveront le coton sur un minimum de 5 ha. « A l’issue de cette expérience, deux choses vont être confirmées : la qualité du coton algérien qui était très renommé dans les années 1950, et le coût de la prestation », explique Mohamed Arres, PDG de Texmaco. Qui poursuit : « Revenir à la culture du coton est une vieille idée à laquelle avait déjà pensé l’ex-Sonitex à la fin des années 1980. Les données climatiques sont favorables dans plusieurs zones, notamment les Hauts-Plateaux et les régions pré-sahariennes, et peuvent donner de bons rendements. Mais il nous manquait le savoir agronomique, apporté par Dagris. » Pour Mohammed Arres, les objectifs sont d’atteindre « la culture de 10 à 15 000 ha dans 10 ans pour une satisfaction partielle des besoins nationaux qui s’élèvent de 25 à 30 000 tonnes de fibres par an. Nous espérons atteindre l’autosuffisance en coton dans les 10 à 20 ans ».
50 à 60% de l’actuel prix de revient du produit textile
M. Ferhat tient à souligner que le programme de la Somecoton « s’étale sur 5 ans et que les objectifs seront révisés au fur et à mesure. L’année prochaine, nous espérons avoir 1 200 ha et une cueillette mécanisée. » Ce qui nécessitera alors l’installation d’une usine d’égrenage. Celle de Annaba, qui date de la période française, bien qu’obsolète, devrait être fonctionnelle avec quelques remises à niveau. Mais elle ne fonctionne que sur une cueillette manuelle. « Cette usine d’égrenage a été maintenue en très bon état, ce qui représente un énorme avantage, car il n’y a pas à débuter la production par un gros investissement », explique Henri Clavier, chef du service agronomique de Dagris, à Paris. Aujourd’hui, l’industrie textile algérienne est entièrement dépendante des exportations. La politique d’industrialisation mise en place après l’indépendance s’est faite, paradoxalement, au moment où la culture du coton s’arrêtait…
« Dans les années 1970, le coton avait disparu, alors qu’en parallèle l’Algérie se dotait d’une industrie de filatures et de tissage moderne d’une capacité de consommation de 40 000 t de coton par an… », précise Henri Clavier. « En Afrique, Dagris a développé une production cotonnière exportée à 80%. L’industrie textile ne s’est développée qu’après, elle n’est pas concurrentielle et n’est pas destinée à l’exportation. Le contexte algérien est différent : la réintroduction de la culture cotonnière se fait à la demande d’une industrie textile qui existe déjà. » Une industrie textile qui fonde beaucoup d’espoir dans le retour programmé du coton… La matière première compte, en effet, pour 50 à 60% du prix de revient du produit textile, c’est donc l’élément déterminant de la rentabilité et de la compétitivité.
Un revenu d’appoint constant et régulier pour les paysans
« L’Union européenne va devoir faire face à une concurrence de plus en plus acharnée de la part des pays asiatiques, notamment de la Chine. Elle gagnerait à avoir à proximité un espace géographique où trouver des matières premières comme la fibre naturelle de coton, ainsi que de la main-d’œuvre qualifiée à faible coût et un outil de production textile de base opérationnel. L’Algérie est le partenaire le plus approprié. L’industrie textile algérienne n’est pas morte. Elle peut se repositionner, surtout avec le développement de la culture du coton. Nous ne voulons pas accepter la fatalité de la compétitivité mondiale », affirme le PDG de Texmaco.
L’industrie textile n’est pas la seule à pouvoir bénéficier de la culture du coton. La plante donne seulement 33% de fibres. Elle est composée de 62% de graines, pour les huiles et les aliments pour bétail, et de 1 à 2% de linter, un duvet qui peut servir dans l’industrie chimique… « Rien ne se perd dans le coton ! », plaisante un cadre de Texmaco. Reste à convaincre les cultivateurs de faire un peu de place au coton dans leurs champs. « Les agriculteurs algériens sont à la recherche d’alternatives aux grandes cultures céréalières et aux cultures industrielles, comme la tomate et le tabac, qui connaissent des problèmes de surproduction et de mévente. Le coton n’interviendrait pas en concurrence ou en substitution, mais en complément à ces cultures », explique Henri Clavier. M. Arres met en lumière le développement régional que peut apporter la culture du coton, notamment dans les régions des Hauts-Plateaux et sur la création d’emplois, en majorité saisonniers. Quant à M. Ferhat, il indique que « le coton ne va pas enrichir les agriculteurs, mais leur permettra d’avoir un revenu constant et régulier. Avec un débouché sûr, puisque Texmaco possède 30 filiales consommatrices de coton ».
Olivia Marsaud