Les producteurs africains de coton tirent la sonnette d’alarme. Face à la chute des cours mondiaux et à la concurrence des filières européennes et américaines, toutes subventionnées, ils sont au pied du mur. Une situation qui menace la stabilité des Etats dépendants de l’or blanc. Interview d’Ahmed Bachir Diop, directeur général de la Sodefitex, au Sénégal.
Les cours mondiaux du coton n’ont jamais été aussi bas. La concurrence des pays du Nord avec des filières toute fortement subventionnées n’a jamais été aussi dure. Les producteurs africains sont entre le marteau et l’enclume. Acculés à brader leur coton pour survivre, ils sont pris à la gorge par les lois d’un marché où les règles sont faussées. Car ils ne bénéficient, eux, d’aucune aide publique pour accroître artificiellement leur compétitivité. Pour Bachir Diop, directeur général de la Société de développement des fibres textiles (Sodefitex), au Sénégal, les conséquences de la disparition des activités cotonnières seraient dramatiques pour les gros pays producteurs africains.
Afrik : Comment expliquez-vous la crise du coton africain ?
Ahmed Bachir Diop : A cause de la surproduction d’une part. La production mondiale est de 21 millions de tonnes (2001) alors que la consommation est de 19,7 millions de tonnes. L’excédent de cette année vient s’ajouter à ceux de l’année dernière et nous arrivons à un stock de report de 10 millions de tonnes. D’autre part, la demande mondiale diminue notamment à cause de la concurrence des fibres synthétiques.
Afrik : Tout le monde est concerné, pas seulement les pays africains… ?
Ahmed Bachir Diop : Oui, mais les producteurs africains doivent faire face à une concurrence subventionnée de la part des pays du Nord. Les subventions sont en train de tuer le coton africain. Les Etats-Unis, qui sont les premiers exportateurs mondiaux, sont aussi le pays qui subventionne le plus la production et les exportations. Or, nous ne bénéficions d’aucune aide publique en Afrique. Nous sommes peut-être les plus compétitifs du marché mais nous risquons d’en être exclus parce que nous ne pouvons pas faire face à cette concurrence.
Afrik : Quels seraient les risques réels pour les pays producteurs africains ?
Ahmed Bachir Diop : Je parle pour le Sénégal, bien qu’il soit un petit pays producteur et que la filière n’ait pas un gros poids dans l’économie. Le coton graine représente seulement 3% de nos recettes d’exportation. Mais la disparition des activités cotonnières seraient catastrophiques. Le coton est produit des régions les plus enclavées du pays. Les seules industries concernent l’égrenage. Elles font vivre les villes de la région. Si certaines venaient à fermer leurs portes, il y aurait forcément du chômage donc de l’exode vers la capitale. Un exode qui engorgerait encore un peu plus Dakar.
Afrik : La disparition des industries du coton entraînerait-elle de grandes conséquences économiques?
Ahmed Bachir Diop : Elle entraînerait une diminution du chiffre d’affaires des manufactures locales qui utilisent le coton dans leur processus de production. Il y aurait un ralentissement de l’activité économique. En définitive, le tableau est corsé mais c’est la réalité. Et ce qui est vrai pour un pays comme le Sénégal, l’est a fortiori pour les gros pays producteurs africains comme le Bénin (38% du PIB, ndlr), le Mali (43% du PIB, ndlr) ou le Togo (42% du PIB, ndlr).
Afrik : Quelles sont les mesures d’urgence ?
Ahmed Bachir Diop : Nous ne demandons pas la charité, mais une compensation pour nos pertes de revenus. Un fonds d’appui à la modernisation des exploitations agricoles familiales africaines. Un fonds prélevé sur les subvention des producteurs du Nord. Ils bénéficient de 800 millions d’euros de subventions par an alors que le déficit cumulé de la filière africaine ne s’élève qu’à 180 millions d’euros.
Afrik : N’y a-t-il pas également un problème de représentativité des filières africaines?
Ahmed Bachir Diop : Nous n’avons pas de lobby fort, à l’image du lobby américain, en Afrique. Mais nous sommes justement en train de mettre en place une organisation qui regroupera l’ensemble des producteurs africains de coton pour défendre les intérêts de toute la filière au niveau du continent.