« Le Congo était-il moins malade avant la Conférence nationale souveraine ? »


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Ça y est ! Le Congo vit au rythme des festivités fastueuses du cinquantenaire de son indépendance. Le 15 août, le boulevard Alfred Raoul ne sera peut-être pas assez spacieux pour accueillir les Congolais en liesse, communiant dans un même élan. Comme en 2009, le défilé civil pourrait être ponctué par le comble de l’idiotie – l’exubérance des couleurs abominables des « sapélogues ». Mais, en dépit de cette crainte minime, c’est le Congo entier qui fera la fête, tout en étant malade. Alors, Grégoire Lefouoba, philosophe et ancien ministre, s’est posé la question ô combien importante de savoir si cette maladie était plus intense avant ou après la Conférence nationale souveraine.

C’était dans Regard sur la semaine, un face-à-face entre un journaliste et une personnalité, sur la primitive Télécongo. Grégoire Lefouoba, gesticulateur patenté, a usé d’une litote adéquate : de 1960 à 1990, le Congo était moins comateux. Aucun doute, les historiens rendront leur copie sur cette période d’avant la Conférence nationale souveraine. Mais, d’ores et déjà, le diagnostic et l’analyse ne sont pas interdits.

Les trois premières décennies du Congo indépendant ont été marquées par les Coups d’Etat et les assassinats politiques, mais la société civile, elle, état moins asphyxiée par la vie. Exemple concret : « Quand en 1982 j’ai commencé à travailler dans la fonction publique, raconte Christophe Kouyou, enseignant à Brazzaville, je percevais 80.000 Fcfa. Nous étions 12 à la maison, poursuit-il, mais je m’en sortais quand même. Aujourd’hui, je perçois le même salaire, mais le coût de la vie a été multiplié par 100. La nourriture, le loyer, la santé et l’éducation sont devenus un luxe. » Dans une société de consommation, le plus important n’est pas ce que l’on gagne mais ce que l’on dépense. Si un enseignant perçoit 80.000 Fcfa par mois et qu’il en dépense 130.000 Fcfa, il est évident que cet enseignant est une PPTE (personne pauvre très endettée). Il vit au-dessus de ses moyens dans un pays qui aurait dû être une « petite Suisse en cinq ans », engagé successivement dans « La Nouvelle Espérance » puis sur « le Chemin d’avenir ». C’est à croire qu’au Congo on se dépêche de mourir et non de vivre. L’école, surtout, constituait une fierté pour le Congo. Ces vingt dernières années, c’est une honte. En témoignent les résultats du Baccalauréat 2010 : sur les 18700 candidats, seulement 282 ont été reçus du premier coup, soit 41,37 pour cent. Comment, dans cette défaite éducative, bâtir une grande université à Kintélé, Sylicon Valley locale, sans des étudiants aptes, bien formés au lycée ?

Autre symptôme sévère de cette maladie qui ronge le Congo, les ganglions de l’irrationalité. Et Lefouoba de rappeler, durant l’émission, que dans les années 1970, il était inimaginable d’accuser un vieillard de sorcellerie, tant ce dernier était une source de réconfort, d’idées, de force, de courage… Aujourd’hui, c’est le contraire. Tout décès s’explique soit par la métaphysique, soit par le poison. Exit les bactéries, les microbes, les virus, l’accidentel, le poids de l’âge… Tout échec découle de la magie ancestrale. L’auteur de La Mentalité primitive, Lucien Lévy-Brhul, jubile dans sa tombe. En vérité, sur tous les plans, le Congo connaît un plongeon vertigineux dans la déstructuration de la logique cartésienne. Un plongeon qui, paradoxe des paradoxes, a démarré sa folle course au lendemain de l’immense alléluia de l’effondrement du Mur de Berlin et du discours de La Baule.

La catastrophe

Ces deux événements ont pour conséquence au Congo la Conférence nationale souveraine. Mais d’aucuns la comparent à une cour de récréation dé-cloîtrée, à défaut d’avoir été une inquisition. Un poison violent qui, aussitôt, généra une métastase politique, économique, sociale et culturelle. Un Everest du verbiage : les conférenciers s’éparpillèrent, méprisant ainsi le plus important : repenser ou refonder le Congo. Longtemps bâillonnés, ils trouvèrent-là l’occasion de montrer tout leur talent d’orateurs zélés. Les figures de style stériles exécutèrent toutes les danses du monde. Bien sûr, chacun voulant devenir ministre ; chacun ayant en tête la création d’un parti, composé uniquement des membres de sa famille et de son ethnie. Les conférenciers, dans leur fougue politique, n’adoptèrent pas moins de 300 mesures, applicables en un an. Soit une mesure par jour. Et, pour les exécuter, ils confièrent cette lourde tâche à un homme qui n’était pas fait pour la politique alors que la politique en fit ce qu’elle voulut. André Milongo aurait eu, en effet, « les couilles bien suspendues » (Ndalla Graille), il aurait éloigné les Congolais du triangle des Bermudes Sassou-Lissouba-Kolelas. La politique est « une savane »; sans cynisme, on se fait écrabouiller. Le feu qui vous consume y prend en un clin d’œil. Celui qui organise une élection a quatre-vingt pour cent de chance de carboniser ses concurrents puis de mettre le feu aux poudres en cas de contestation. Certes l’élection présidentielle de 1992 fut contrôlée par une multinationale pétrolière, mais la neutralité ne fut pas son moindre défaut. L’arbitre choisit de ne pas choisir André Milongo, qui, de toute évidence, aurait dû s’imposer, lui qui se fit appeler « ininguissable ». Rien de tel. Au final, les Rastignac mâtinés de Rupembré ou doublés de Kurtz, voire de Julien Sorel, accédèrent au pouvoir. Une bande de revanchards qui ne tardèrent pas à détruire Mfilou et Diata. C’est Ndalla Graille, dans La Belle aux yeux verts, qui rapporte par le biais d’un personnage, ces propos de Pascal Lissouba définissant la Démocratie de l’intimidation : « Il ne saurait y avoir une démocratie sans gouvernement fort. La démocratie, c’est l’art de l’intimidation. Si vous ne pouvez pas intimider, vous ne pouvez pas aller loin. Alors nous allons aussi montrer les dents. » Et d’ajouter dans Cœurs meurtris : « Qui eût pu croire que Lissouba/Mettrait l’enfer ici-bas/En nous offrant à chaque pas/A chaque coin de rue le trépas… »

Ce fut un ouf de soulagement que de voir la démocratie de l’intimidation (dont était friande aussi Grégoire Lefouoba) prendre la fuite, en octobre 1997. Hélas ! Le vainqueur, en qui les Congolais mirent de nouveau leur espoir, retomba vite dans des travers, pires que l’intimidation. Que de promesses non tenues, de concussions et de tripatouillages ! C’est comme s’il voulait dire : « Vous vouliez l’enfer ? Belzébuth nous voilà !.. »

Le coma du Congo vient du traumatisme crânien de la Conférence nationale, trop brutale et éparpillée. Inutile, donc. Idem pour la Constitution de 1992 que les « cancres du passage en Terminale de la démocratie » défendent avec passion. Les 50 ans d’indépendance sont peut-être l’occasion de repenser et de re-panser le Congo… Le président actuel en a les moyens…

Quel message pour le cinquantenaire ?

Dans son discours d’investiture d’août 2009, Denis Sassou Nguesso avait aligné un puissant corpus ; articulation discursive qui restera dans les annales politiques. Mais les résultats ne sont pas encore perceptibles. Il lui faut sans doute dire (puis faire ) autre chose, produire un métalangage en rupture avec la rhétorique actuelle. Par exemple, annoncer que tous les fonctionnaires percevraient un treizième mois, payable avant le 15 août pour passer les fêtes gaiement – puisque l’argent, c’est connu, neutralise les crises de conscience. Par exemple aussi, recycler la pléthore de généraux budgétivores qui phagocytent le Trésor Public. Faire voter une loi qui détermine la création d’un nouveau parti au versement d’une caution d’un milliard de francs cfa et à deux milliards le droit de continuer d’exister à tout parti déjà en place, comme le PCT/RMP. Pour 3,5 millions d’habitants, le Congo compte plus de 130 partis : c’est trop ! La plupart des partis étant des succursales du PCT/RMP, ça dissuadera ce parti mastodonte à se multiplier à l’infini. Le Congo n’a pas besoin d’hommes politiques en plus (surtout pas ceux de l’étranger, victimes du froid et de l’encéphalogramme plat), mais de médecins, d’agriculteurs, d’enseignants, etc., des hommes dotés d’une bonne politique professionnelle. Dans la mesure où les députés sont nommés, pour la prochaine Assemblée, le Congo aimerait voir un Lari député d’Oyo ou d’Owando, un Mbochi député de Boko ou de Kinkala, un Téké député de Kindamba… N’y a-t-il pas des Laris qui ont grandi au Nord et des Mbochis au Sud ? Là où l’on grandit, là est sa terre, son éventuelle circonscription électorale.

Fermer toutes les assemblées religieuses ou les églises qui n’ont rien d’évangéliques et qui pullulent au Congo. Depuis qu’elles ont droit de cité, elles ne parviennent pas à faire revenir Dieu au Congo, du moins à transformer le Congolais en ce « Bon Samaritain » dont parlent les Evangiles de Luc. Mettre en sommeil Télécongo, miroir de la honte. A défaut, il faudra chasser de la chaîne nationale tous les bricoleurs et bricoleuses dont la prestation télé vous met de mauvaise humeur. Seule exception à la règle : Nevy Moundélé-Ngolo, une présentatrice qui allie beauté et rigueur, la Christine Kelly congolaise ; une journaliste qui se dépasse dans « ses » journaux. Interdire de diffusion sur les médias publics le Coupé-Décalé, Extra Musica, Wengé Musica et le Quartier Latin, jusqu’au jour où ces orchestres ne propageront plus du vacarme. Bannir des librairies certains livres ennuyeux, tels ceux de Jean Bilombo Samba. Oui, c’est en se faisant du mal que le Congo pourrait être sauvé ! Les doses de morphine ne suffisent plus ; le Congo a besoin d’une vraie chimiothérapie politique. Seuls les aficionados de Télécongo pensent que le Congo ne va pas mal. Buala yayi mambu (Pamelo Mounka) !

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