Le commerce de Dieu au Gabon


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Steeve Mvé, citoyen et écrivain gabonais engagé de 37 ans, vient de publier « Le guide secret du parfait marchand de Dieu » (Editions les quatre vérités). Ce livre, dans lequel il dénonce les dérives sectaires et mercantiles au Gabon, est un tableau sombre présentant la situation réelle des nouvelles églises, dites églises « réveillées » dans son pays.

Notre correspondant à Libreville

GuidesecretmarchandDieuGabo.jpgLes églises dites « réveillées » sont devenues en l’espace de deux décennies d’éveil spirituel « de véritables machines à faire du fric en vendant du vent », s’insurge Steeve Mvé. Selon l’auteur du Guide secret du parfait marchand de Dieu, cette œuvre militante et citoyenne met à la disposition du lecteur des outils capables d’aiguiser son discernement afin d’échapper à la séduction des pasteurs véreux qui exploitent impunément la misère sociale des populations et mettent en péril l’ordre public et social ainsi que la dignité humaine au Gabon

Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Steeve Mvé : Ce sont les faits. La situation est triste, les familles sont séparées, les femmes sont violées et mêmes les petites filles mineures par les tenanciers de ces églises. Le peuple est exploité et abusé par les pasteurs de ces églises de réveil qui font de la spéculation profitant de la misère des populations. Ces nouvelles églises prolifèrent dans un contexte de crise sociale et économique. Il ya des cliniques de guérison spirituelles au Gabon et dans les temples, il faut payer avant d’être béni. Ce n’est pas normal. Et l’Etat ne fait rien pour arrêter tout cela.

Afrik.com : Quelles sont les techniques qu’utilisent ces églises ?

Steeve Mvé : Elles spéculent sur les besoins urgents de la population : le besoin de guérir, d’avoir un mari ou une femme, le besoin de travailler et de prospérer dans les affaires, le besoin d’avoir un enfant et de s’épanouir. Elles promettent la liberté, mais installent des rapports de dépendance et de sujétion avec leurs adeptes, après avoir repéré leurs failles, leur faiblisse psychologique, leur blessure intime, leur malaise. Elles garantissent la solution « miraculeuse » à tous les problèmes, mais offrent à leurs adeptes une boussole truquée qui les conduit à la perte d’eux-mêmes. Elles se disent désintéressées, mais sont des véritables machines à faire du fric en vendant du vent. Elles font de la spéculation et ensuite de l’exploitation. Elles promettent des miracles pour fidéliser leurs adeptes et exploitent par la suite leur vulnérabilité.

Afrik.com : Vous voulez dire que toutes les promesses de miracles et de prospérité ne sont que leurres ?

Steeve Mvé : Les fidèles de ces églises ne trouvent pas de solutions. Ils vont d’une église à une autre après des années d’exploitation et d’espérance inutile. Le papillonnage ou le nomadisme religieux des adeptes illustre bien cette absence de solution et le désespoir de nos compatriotes emprisonnés dans de fausses doctrines et oublieux d’eux-mêmes allant d’une chapelle à une autre en quête d’un mieux être insaissable.

Afrik.com : Quelles sont les populations les plus touchées par la prolifération des églises éveillées ?

Steeve Mvé : Le phénomène implique la quasi-totalité des populations de Libreville et plus particulièrement celle des quartiers sous intégrés, dans la mesure où chacun de nous est directement ou indirectement concerné par ce phénomène. Il n y a pas une forte présence des ces églises dans les milieux ruraux. Elles sont concentrées dans les grands centres urbains où prospère l’activité économique. La stratégie d’implantation obéit au besoin de trouver des fidèles riches et, quand on cherche à s’enrichir vite à quoi cela sert que de bâtir une PME (petite ou moyenne entreprise) religieuse au milieu des pauvres villageois sans revenus ?

Afrik.com : Avez-vous une solution pour aider vos compatriotes embrigadés dans ses églises ?

Steeve Mvé: La prise de conscience individuelle. Chacun doit prendre ses dispositions sur le plan personnel puisqu’on constate que le gouvernement en matière de protection des citoyens en ce qui concerne leurs besoins religieux reste muet. Je demande aux Gabonais de chercher à mieux connaître ces communautés, à connaître leurs techniques de séduction, d’exploitation, de recrutement et de fidélisation. Je ne suis pas contre l’église ni contre Dieu. Mais je suis révolté par les pratiques de certains hommes chargés de la destinée spirituelle de notre société.

Afrik.com : Le pasteur de l’une de ces églises vient d’abuser sexuellement d’une petite fille mineure à Libreville. Pensez vous que cette histoire illustre ce qui se passe à l’intérieur de ces communautés religieuses ?

Steeve Mvé Ce n’est pas un cas unique, ce n’est pas un cas isolé. En dehors de cette jeune fille, je connais beaucoup d’autres qui ont été abusées sexuellement par les tenanciers des églises. Il y a le cas, par exemple, de cette jeune fille qui habite le quartier Nzeng- Ayong dont la mère travaille au ministère des travaux publics. Cette jeune fille a été violée par trois pasteurs dans le bureau de l’un d’eux. Mais la mère étant membre de cette église a préféré couvrir ses guides spirituels. La fille aujourd’hui fait une dépression nerveuse grave. Ce sont des cas récurrents.

Afrik.com : Quelles sont les raisons qui expliquent la prolifération de ses églises ?

Steeve Mvé : La pauvreté, le chômage, les maladies, le sida et la misère de façon générale. Le gouvernement doit s’engager véritablement à luter contre ces fléaux afin de permettre aux populations d’avoir accès au bien être. Une population sortie de la misère ne se laisse pas entrainer dans l’illusion et les promesses fallacieuses. Si chacun pouvait avoir du travail et accéder à la santé en cas de maladie, ces églises se videraient seules. Car, elles se nourrissent du désespoir du peuple. Ces églises se multiplient depuis que le Gabon se porte mal sur plan économique. Les pasteurs font comme les parasites, ils profitent de la conjoncture difficile que traverse notre pays.

Afrik.com : Est-ce que les responsables de la dérive sectaire que vous dénoncez dans votre ouvrage sont connus ?

Steeve Mvé : Il s’agit de Jules Benjamin N’gouwa , président de la confédération pentecôtiste et charismatique du Gabon, de Francis Michel Mbadinga , secrétaire général de cette confédération, de M. Jocktane et Jean Roger Magningou . Ils doivent assumer la responsabilité des actes que les uns et les autres posent. S’ils avaient pensé mettre en place des systèmes de vérification et de validation des titres religieux, il y auraient moins d’imposteurs. S’ils étaient des modèles ou des exemples à imiter, il y aurait moins de dérives. S’ils avaient à éviter la politisation de leurs mouvements, il y aurait moins de dérives. S’ils avaient pensé à combattre en leur sein la corruption par le biais du monnayage des services religieux par les pasteurs, il y aurait moins de dérives.

Afrik.com : Qu’entendez-vous par « politisation des mouvements » religieux ?

Steeve Mvé :Le religieux est descendu dans l’arène politique et, comme tout homme politique aujourd’hui, les pasteurs ont droit à des traitements de faveur, à des cadeaux politiques, à des financements illégaux et à des voitures de luxes. Pendant qu’on donne des centaines de millions ou des postes juteux aux pasteurs, des millions de Gabonais croupissent dans la misère, les dispensaires et les hôpitaux manquent le nécessaire et les routes sont impraticables. La politisation de l’église tue l’Etat et l’église elle-même.

Afrik.com : Votre mot de la fin ?

Steeve Mvé : J’arrêterai de parler et d’écrire quand les choses changeront au Gabon. Tant que la situation demeurera, je continuerai mon combat non violent pour un Gabon debout et prospère où la misère du pauvre ne sera plus utilisée contre lui-même. Je suis pragmatique et je pars toujours des faits. Tout ce que je dis est visible.

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