Avec l’Egyptien Amr Khaled, l’islam c’est chic. Et populaire. Son talk show islamique a remporté en deux ans une audience imposante, s’exportant dans les autres pays arabes. Le cœur de cible de ce prédicateur d’un genre nouveau : les jeunes, les femmes et les riches. Décryptage.
Il porte la moustache, pas la barbe. Il est pieux et moderne. Il est prédicateur mais s’habille en costume-cravate. Il aime Dieu et le Coran… « Il », c’est Amr Khaled, le nouveau visage de l’Islam en Egypte. Souriant, décontracté, ouvert, il accueille dans son émission télévisée, « Paroles du cœur », les citoyens repentis. Ceux qui sont retournés à la religion, qui ont (re)découvert Dieu ou encore ceux qui veulent faire partager leur foi. Les témoignages sont subtilement entrecoupés de messages sur le comportement du bon musulman et l’histoire de l’islam.
En quelques années, Amr Khaled est devenu, avec son talk-show islamique, une star en Egypte. Pour le Cairo Times, c’est même « le phénomène religieux le plus important de ces dix dernières années dans le pays ». A 36 ans, il est devenu le roi du PAF version musulmane. Son credo : « réconcilier la religion et la vie ». Dans le fond, comme dans la forme, pourtant, rien de nouveau sous les spots télévisuels. Amr Khaled emprunte à la réthorique médiatique des télévangélistes américains (genre jusqu’ici inconnu le long du Nil) : proximité, sentiments, spectacle et marketing redoutablement efficace.
Cœur de cible
Quant au discours, il est, sous couvert de libéralité, souvent extrêmement conservateur. « Khaled utilise un discours religieux passionné et drôle mais qui manque en fait de nouveauté, de nuance et de vigueur. Alors que son style est très imaginatif, sa théologie reste scripturale », explique Asef Bayat, professeur de sociologie à l’université américaine du Caire. Ainsi, il affirme que le port du voile est « une obligation de l’Islam pour sauvegarder l’intégrité de la femme et de la société ». Et le mot islam voulant dire « soumission aux mots de Dieu », « vous devez obéir même si vous ne comprenez pas », explique-t-il à l’envi.
Ce qui change en revanche, avec lui, c’est son cœur de cible : les jeunes, les femmes et les riches. Sorti de la faculté de Commerce du Caire, Amr Khaled commence à se faire connaître au début des années 90 en prêchant dans des clubs privés, des mosquées huppées et les anti-chambres des appartements des nouveaux riches. Ses « salons islamiques », qui lancent véritablement sa carrière, remportent alors un franc succès parmi les femmes de « la haute ». Il est d’ailleurs connu pour avoir amené quelques célèbres actrices à prendre le voile…
Sea, religion and fun
Né en 1967 à Alexandrie dans une famille modeste mais intellectuelle, il goûte aux charmes discrets de la bourgeoisie égyptienne grâce à ses bonnes manières plus que par ses connaissances religieuses. A défaut de maîtriser le tafsir (exégèse coranique) et d’être expert en théologie, il a de l’humour et du charisme. Il cible intentionnellement les gens d’influence, ceux « qui peuvent changer les choses » et déculpabilise les riches d’être riches : ils peuvent être pieux tout en maintenant leur prestige et leur pouvoir.
Son discours connaît un impact particulièrement important sur la jeunesse dorée. Il est moralisateur mais pas trop et ses méthodes sont tout sauf austères. Les jeunes se reconnaissent dans son message : ils peuvent être musulmans tout en menant une vie normale – étudier, travailler, s’amuser et ressembler à n’importe qui d’autre. Son prêche « Al Shebab wa Al Seif » (la jeunesse et l’été) est devenu un classique : il y prône la tempérance, une sorte de « Sea, Coran and fun ». Ok, pour passer ses vacances à Agami (banlieue chic et balnéaire d’Alexandrie) mais à condition de tempérer ses ardeurs par la religion.
Entre Amr Diab et Bill Graham
Pour autant, Amr Khaled semble toucher toutes les couches de la société. S’adressant à la population en arabe dialectal, de nombreux fans disent de lui qu’il « est simple à comprendre » lorsqu’il parle de l’islam. Pour Asef Bayat, l’engouement pour ce da’wa (prédicateur) d’un genre nouveau s’explique par « la crise de l’Islam politique et la crispation autour de la religion qu’ont entraîné les attentas du 11 septembre ». « D’où le développement d’une piété post-islamiste, illustrée par Amr Khaled. »
La renommée des cassettes audio et vidéo de ses prêches ont dépassé les frontières égyptiennes : elles écument dans tout le monde arabe, de Jérusalem-est à Beyrouth, en passant par le Golfe persique. Ses prêches attirent les foules. Il n’en fallait pas plus pour inquiéter les autorités égyptiennes. Bien qu’apolitique, il est interdit plus ou moins officiellement de prêche à l’été 2001 et part l’année suivante en Angleterre, pour suivre un doctorat. Mais l’exilé continue de porter le message de Dieu, notamment par le biais de son site Internet et de son émission, toujours diffusée sur les chaînes cablées, touchant même les communautés musulmanes en Europe. Son apparition a d’ailleurs fait un tabac lors du dernier congrès de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France). En résumé, pour Asef Bayat, « Amr Khaled, c’est la hype du chanteur à succès Amr Diab, la force de persuasion de l’évangéliste Billy Graham et le peu de subtilité du Dr Phil, présentateur de talk-show américain ». Une recette qui marche.
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