L’hymne national burkinabé (le Ditanyè) a été écrit par Thomas Sankara ; Léopold Sédar Senghor a lui-même choisi les mots de celui du Sénégal ; en Côte d’Ivoire, « l’abidjanaise » s’en sort assez bien ; au Cameroun, c’est un instituteur français qui avait demandé à ses élèves d’écrire un poème dont cette œuvre est une synthèse : voilà qui commence bien !
CAMEROUN n.m. Pays d’Afrique centrale situé en réalité à l’ouest de l’Afrique ; le Rwanda mérite mieux que lui d‘être qualifié de pays d’Afrique centrale. Il signifie étymologiquement crevettes, rien à voir donc avec les origines du réalisateur canadien James ou le premier ministre britannique David Cameron. ? Le Cameroun c’est le Cameroun : pléonasme le plus célèbre du président Paul Biya, devenu proverbial, il traduit une sorte de fatalisme. Le Cameroun n’étant pas la France, ni le Gabon, ni la Turquie, le Cameroun ne peut pas être avantage que le Cameroun. La précision valait tout son pesant d’or. La Palisse n’aurait pas fait mieux.
CAMEROUNAIS : 1. Qui provient du Cameroun ou qui le concerne. C’est-a-dire complexe, flou, voire véreux. 2. Africain en miniature, animiste sincère, il rassemble en sa personne tous les mouvements religieux secrétés par les civilisations occidentale et orientale, à la fois francophone et anglophone, il résume l’Afrique, mais il ne faut guère compter sur lui pour la développer. Son fantasme est d’annexer le Gabon et la Guinée équatoriale, il est sémite ou soudanais quand il vit au Nord, bantou ou proto-bantou quand il est au Sud, camerounais, accessoirement, quand notamment les lions indomptables jouent au football. Son pays s’est autoproclamé Afrique en miniature. Depuis, voici à peu près ce que l’on vit régulèrent chez les voyagistes européens.
Quelle est votre destination, monsieur ?
Ah ça je ne sais rien de l’Afrique, mais je sais qu’elle m’attire depuis toujours, je veux m’y rendre.
Vous n’avez aucune idée de ce qu’il vous ferait plaisir de visiter ?
Le Kenya ou peut-être le Cameroun, le pays de Roger Milla et de Manu Dibango quels sont vos tarifs, madame ?
Euh, nous avons des forfaits adaptés à toutes les bourses. Le Kenya, c’est l’Afrique, ce sera plein tarif, en revanche si vous choisissez d’aller au Cameroun, vu que c’est une Afrique en miniature, un rabais vous est consenti, ce sera un demi-tarif !
J’aime l’Afrique, je la veux entière, riche et vivante, alors j’opte pour le Kenya qui si j’en crois vos dires est une Afrique grandeur nature.
Hymne national camerounais
Le chant de ralliement, tel est le titre de l’hymne national du Cameroun. Il y est question de joie, d’amour, d’honneur, avec un clin d’œil furtif à la liberté et à l’unité. Seulement nous ne comprenons pas certaines formulations, c’est à se demander combien de Camerounais les comprennent d’ailleurs. On en saisit les sens, mais il ne suffit pas que cela fasse sens. Dés le deuxième vers, nous disons : « va debout et jaloux de ta liberté ». Si c’était sorti de la plume d’un auteur du 19ème siècle, nous aurions complaisamment supposé un archaïsme, une tournure aujourd’hui disparue, le fait est que « va debout » ne veut rien dire. Se tenir debout est une chose, aller debout un non-sens, à l’extrême limite une redondance. « Va jaloux » est tout aussi nul, il n’y a qu’un seul verbe auquel l’adjectif puisse se rapporter (« va »), leur rapprochement, confirmé par la conjonction de coordination « et », horripile.
Le vers suivant est fluide, sans doute le plus beau, un moment d’inspiration magnifique « comme un soleil ton drapeau fier doit être ». En faisant du monsieur Jourdain, on pourrait rendre cela en « Ton drapeau doit être fier comme un soleil » ou « fier comme un soleil ton drapeau doit être» ou encore « comme un soleil ton drapeau doit être fier » bref la tournure la plus poétique est bien « comme un soleil ton drapeau fier doit être ».
Ensuite il est dit : « un symbole ardent de foi et d’unité » : ce que n’est sûrement pas le soleil. On comprend mieux la postposition de cet attribut par rapport à « fier ». Ce qui reste abscons, c’est l’utilisation du mot « foi ». Foi de quoi ? Foi en quoi ? Ils devaient être dans une espèce de transe au moment de l’écriture et une telle ardeur a forcément quelque chose de mystique, mais de là à parler de foi, fût-ce au sens littéraire du mot, la compréhension reste malaisée ! Non pas que l’allusion à Dieu soit une aberration, mais que précisément le mot foi, est utilisé un peu facilement, un peu inexplicablement.
Le septième vers dit « Te servir que ce soit leur seul but » pourquoi cette distanciation ? On aurait pu dire « Te servir que ce soit notre seul but ». C’est soi-disant le berceau de nos ancêtres et nous en sommes les enfants, n’est-ce pas ? Si pour des raisons d’euphonie et de rythme, on a préféré sacrifier le sens, c’est correct il n’y a rien à redire. Mais comment comprendre que dès le vers suivant, on renchérisse « pour remplir leurs devoirs toujours » ? On sert son pays par devoir ou bien pour remplir un devoir ? Il n’y a là qu’une répétition lourde de l’idée discutable contenue dans le vers précédent.
Et puis, le Cameroun est-il vraiment le berceau de nos ancêtres ? Ce n’est pas ce que dirait en tout cas Cheik Anta Diop, ni même ce que nous ont raconté tous les historiens camerounais, lorsqu’ils parlaient des vagues successives de migrations qui ont peuplé et dépeuplé cette terre. L’éminent Engelbert Mveng lui-même a reconnu qu’il était impossible d’établir à partir des données archéologiques disponibles la permanence du peuplement et la continuité des traditions déjà présentes il y a deux mille ans. Les seules certitudes ont été établies par C.Anta Diop qui a étudié les migrations bantoues à partir de l’Egypte ancienne.
Bref, la musique de notre hymne s’écoute, les paroles d’un point de vue grammatical sont assez buvables, mais on aurait pu mieux faire, si on n’avait pas érigé la sophistication et le maniérisme en qualité stylistiques. Au surplus il y manque du contenu et de l’épaisseur ; si les auteurs de ces paroles sont dignes des plus grandes louanges, ceux qui ont adopté ces vers comme hymne national sont punissables (Que tous tes enfants du nord au sud /De l’est à l’ouest soient tout amour/ Te servir que ce soit leur seul but/pour remplir leurs devoirs toujours). C’est que les premiers ne savaient pas de toute évidence le destin glorieux que lui réservaient les autorités, les seconds n’avaient peut-être pas la compétence pour décider.
Faut-il être camerounais pour faire rimer amour et toujours dans un hymne national ?
Quand les rimes ne sont pas improbables, tirées par les cheveux (sud et but) elles sont carrément triviales, cucul, baveuses (amour et toujours). Il faut se livrer à un véritable forcing pour décompter et comprendre les unités rythmiques de ce texte. Notre hymne national, finalement, reste assez lointain, comme s’il n’avait été écrit que pour nos vaillants pygmées, dont cette terre est effectivement celle de leurs ancêtres. « À toi l’honneur … notre honneur » n’y a-t-il que cela ? En tout cas, l’honneur d’une nation, ce n’est pas seulement sa terre, son territoire, c’est encore son peuple, sa population, qui dans cette création sublime n’est invoquée que pour être assimilée à un enfant.
Il faut se faire une raison, certaines choses nous sont données comme dans des packs, la famille, l’hymne national, la circoncision, le baptême catholique, etc., on ne les choisit pas, ne nous en déplaise ! Réné Djam Afane, Samuel Minkyo Bamba et Moise Nyatte Nko’o : ils s’y étaient mis à trois pour limiter les dégâts, des modifications ultérieures sont survenues, dans quel état devait être la première mouture pour que la version finale fût quand même chargée d’incorrections de toutes sortes ?
On avait naïvement pensé qu’elles se résumaient au sentiment que les premiers rédacteurs, en tout bien tout honneur, avaient exprimé en disant que les Camerounais vivaient dans la barbarie avant l’arrivée du Blanc. Cette réalité dérangeante ayant été expurgée, c’est tout le texte qu’il eût fallu réécrire. C’est sans doute pour punir les auteurs de cette « œuvre » que les camerounais les ont laissés mourir dans l’indigence et une relative indifférence. L’hymne national espagnol, kosovar, européen, n’ont pas de paroles ? Voilà des modèles qu’il eût fallu imiter. La musique est faite de pauses, de soupirs et de silences, la parole de « bruit et de fureur », entre l’argent et l’or, le choix à été vite fait c’est-à-dire assez mal fait, l’alchimie n’a pas pris.
En somme cet hymne national ne nous apprend strictement rien sur nos valeurs les plus essentielles, sur l’histoire du Cameroun, ô combien riche ! S’il n’est pas jusqu’à notre hymne national qui n’échappe à notre critique, c’est parce que précisément nous respectons l’histoire de notre peuple que chanter ces vers sans jamais rien dire d’eux nous est impossible, tant le bon goût et l’intelligence sont régulièrement heurtés. Encore heureux qu’il n’ait pas été, comme au Togo, été rédigé par un parti politique, et qu’il n’appelle pas, comme en France, les citoyens à prendre les armes !