Le romancier béninois Florent Couao-Zotti est un auteur qui anticipe sur la politique. Il le prouve une fois de plus avec son dernier roman, « Le Cantique des cannibales » qui vient de sortir au Serpent à Plumes.
On l’attendait plus tôt. Mais après le rachat des Editions du Serpent à Plumes par le Groupe des Editions du Rocher, il a fallu attendre et attendre encore la sortie du Cantique des cannibales. Il est enfin là, le nouveau Couao, tout beau, tout chaud ! Entre corruption et fraudes électorales, le héros, une femme, qui ne tient pas à se laisser malmener dans une société où les hommes détiennent le pouvoir, ne baisse pas la tête et va au bout de ses convictions.
C’est à croire qu’il avait prévu son coup. Les élections au Bénin sont imminentes, et le nouveau roman de Florent Couao-Zotti en parle. Mieux, il les devance. Porté par le féminisme, le Cantique des cannibales évoque l’avilissement de l’élite dirigeante et vénale du pays, et reste fidèle à une certaine écriture chaotique de l’écrivain, pour décrire une société qui l’est, parfois.
Un roman féministe
Dans son livre, l’auteur raconte l’histoire de Gloh, une femme dotée d’un cœur immense, d’une grande générosité, en lutte contre une élite (souvent) masculine. Face à la pauvreté et à la misère dans laquelle vivent certains de ses compatriotes, elle se bat, à la tête d’une bande de malfrats, pour un meilleur partage des richesses, si tenté qu’on puisse parler de richesses. « Prendre aux riches pour donner aux pauvres » est son credo : Gloh est une sorte de « Robin des bois », moderne et féminin. Son personnage est directement inspiré de Phoolan Devi, la fameuse « reine des bandits » indienne.
Ses méthodes dérangent un establishment corrompu qui finira par se mettre à ses trousses. Gloh sera arrêtée, mais retrouvera l’amour d’Alabi, un inspecteur qui lutte lui aussi contre la corruption, et qui vit dans un dénuement certain. L’homme à la « coccinelle qui a du mal à avancer » s’oppose aux « vitres teintées » de la voiture d’un des représentants de la classe dirigeante, représenté ici par Dokou Azed, un personnage rempli de brutalité, de cruauté et qui soudoie dès que possible. Dans Le Cantique des cannibales, on retrouve des thèmes chers à l’auteur béninois, comme le héros (ici l’héroïne) « sans mère. Sans père », que la rue va « adopter ». Il est aussi question de lutte comme dans Notre pain de chaque nuit.
Un roman politique
S’il est un roman qui s’attaque aussi vertement, et à visage découvert, aux dirigeants politiques de premier plan, c’est bien celui-ci. Le Président béninois Mathieu Kérékou est appelé ici Kéré-Kéré, le même surnom que ses partisans lui ont donné dans la réalité. Ouvertement et avec rage, Couao-Zotti attaque l’homme de pouvoir. Sans aucun détour, il rappelle ses époques marxiste, catholique, mahométique… Un Président-caméléon en somme, surnom qu’il a volontiers adopté à ses débuts à la tête de la République béninoise, en 1972. En abordant le sujet des élections de cette façon, l’auteur veut lutter contre les modifications de la Constitution qui ont cours actuellement en Afrique, où les pseudo-démocraties sont monnaie courante. Dans la réalité, le Président Kérékou ne peut plus se présenter pour un nouveau mandat présidentiel, mais les journalistes s’accordent à dire qu’il pourrait la modifier, pour pouvoir briguer un nouveau mandat. Ici, Florent Couao-Zotti va au-delà de l’actualité et peint un Kéré-Kéré, qui a modifié cette Constitution, et qui se présente donc une nouvelle fois.
Dans ce roman, on retrouve une écriture aux mots qui s’entrechoquent, qui se répondent. Ils sont parfois creux, quand ils sont isolés, ou accolés à un pronom, un article, et ce, pour mieux marquer le vide et la fragilité dans lesquels les sociétés africaines, sont (parfois) plongées : « Le corps. Le plaisir. Le festin ». Mais c’est aussi une écriture qui épouse l’humour : « Certaines vinrent pour secouer le mythe et voir s’il disposerait de restes encore virils dans le caleçon. D’autres débarquèrent par bonheur de se laisser « goûter », d’autres encore par suivisme ou par vice inguérissable. Dans le lot, Alabi en dégota une, plutôt grande et noire, rondouillarde et pétillante, avantageusement servie par un fessier évasé et kilogrammé ».
Le Cantique des cannibales de Florent Couao-Zotti, éditions du Serpent à Plumes
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