Le festival Vues d’Afrique soufflera ses vingt bougies, du 15 au 25 avril prochain. Deux décennies plus tard, le grand rendez-vous canadien du cinéma africain et créole affiche toujours le même militantisme culturel. Interview de Gérard Le Chêne, directeur général de l’événement.
Vingt ans déjà. Le festival canadien Vues d’Afrique, dédié au cinéma africain et créole, fêtera ses vingt ans d’existence du 14 au 25 avril prochain. Son directeur général, Gérard Le Chêne, rencontré au Forum canadien de la culture sur l’économie de la culture, revient sur les débuts de l’aventure et sa philosophie. Il dresse également une radioscopie d’un cinéma africain dont il a assisté à toute l’évolution.
Afrik : Comment est née l’aventure Vues d’Afrique ?
Gérard Le Chêne : A la base, c’est un groupe de personnes qui trouvait qu’il n’y avait pas d’informations africaines de type culturel au Canada et qui a décidé de faire une semaine de cinéma africain dans le pays. Quand on demandait à certains festivals pourquoi ils ne programmaient jamais de cinéma africain, ils nous répondaient que « les films africains ça n’existait pas ». On s’est piqué au jeu et on a monté la première édition de Vues d’Afrique. Elle a très bien marché puisque qu’elle s’est déroulée à guichet fermé.
Afrik : Combien de personnes draine ce festival ?
Gérard Le Chêne : Vues d’Afrique n’est plus seulement un festival. Nous avons des activités toute l’année. Notamment un rallye d’exposition – qui dure quatre ou cinq mois – , des activités d’été, des cinés spectacle au clair de lune, des activités dans les écoles, des activités professionnelles et des programmes d’incitation à la coproduction – entre le Canada et le Québec, entre le Canada et l’Afrique. En tout, nous touchons un public de 60 à 80 000 personnes dont 12 à 15 000 pour le cinéma.
Afrik : Comment construisez-vous votre programmation ?
Gérard Le Chêne : Par le truchement d’un réseau. Nous sommes jumelés avec d’autres festivals, dont le Fespaco (Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou, ndlr) avec qui nous allons fêter notre vingtième anniversaire. Mais aussi des festivals comme celui d’Amiens (France) – avec ses ateliers sur les droits d’auteurs – de Namur (Belgique) ou le festival Média Nord/Sud à Genève qui aborde spécifiquement les questions de développement. Chacun mène à son niveau une action en profondeur au service des réalisateurs ou des professionnels africains de l’audiovisuel.
Afrik : Vous suivez le cinéma africain depuis 20 ans. Quelles évolutions notez-vous ?
Gérard Le Chêne : Il y a une évolution dans tous les domaines. Tout d’abord technique. Les films africains sont maintenant d’excellente facture, aussi bien au niveau du son, de l’image que du montage. Il y a eu aussi une évolution au niveau du contenu. Avant les sujets tournaient autour du thème tradition/modernité, maintenant il y a une très grande variété de thèmes. Il y a également plus de documentaires que par le passé.
Afrik : Peut-on parler de générations de cinéma africain ?
Gérard Le Chêne : Les mêmes cinéastes ont eux même évolués. Mais il n’y a pas de cinéma de génération. Ce qui me frappe le plus c’est qu’il n’y avait pratiquement pas de femmes il y a 20 ans et qu’il commence maintenant à en avoir.
Afrik : Le cinéma africain connaît-il des difficultés spécifiques ?
Gérard Le Chêne : Si les problèmes du cinéma africain sont, comme partout, liés au financement des films, il rencontre toutefois une difficulté spécifique quant la diffusion en Afrique. Il a du mal à aller à la rencontre de son public. Il n’y a pas beaucoup de salles et elles sont en dérive complète dans la plupart des pays. Mais quand il y parvient, il rencontre un très vif succès. Ça a été le cas au Burkina Faso ou encore en Côte d’Ivoire où il y a eu des chiffres de fréquentation assez éloquents.
Afrik : Les Canadiens considèrent-ils le cinéma africain comme du cinéma exotique ou comme un cinéma à part entière ?
Gérard Le Chêne : Le mot exotique n’a pas le même sens au Québec et en France, où il a plus une dimension péjorative. Au Québec ça se rapproche plus de l’étymologie du terme : « qui vient d’ailleurs ». Les gens sont justement intéressés, entre autres, par le cinéma africain pour cette raison là. Nous avons fait plusieurs études sur notre public. Et il apparaît qu’il veut voir du cinéma différent en réaction face à l’omniprésence du cinéma américain qui contrôle la plupart des salles. Au Canada et à Montréal, tous les festivals marchent bien parce qu’ils offrent une alternative à la programmation habituelle. Il y a un intérêt supplémentaire au Québec concernant l’Afrique parce que la plupart des films viennent de pays francophones. Il y a ce sentiment, plus vif qu’en France, d’appartenir à la francophonie. Un aspect positif de la mondialisation.
Afrik : Vous attribuez, chaque année, différents prix. Quelle en est la philosophie ?
Gérard Le Chêne : L’idée des prix est vraiment de donner un ballon d’oxygène économique aux réalisateurs qui, comme le disait le créateur des Journées africaines de Carthage, « ne vivent pas de médailles, mais ont besoin de fonds pour continuer à faire des films ». Donc, on s’efforce d’impliquer les télévisions dans la remise des prix. Pour qu’elles achètent des films et qu’elles les diffusent.
Afrik : Un des problèmes africains récurrents évoqué lors du Forum canadien sur l’entreprise de la culture, était les entraves à la liberté de circulation des personnes. Qu’en pensez-vous ?
Gérard Le Chêne :C’est un véritable scandale. Les ambassades de France ne sont pas spécialement généreuses en visa et les canadiennes prennent exemple sur elles. Il y a tout le temps des problèmes, que ce soit au niveau du théâtre, de la musique ou du cinéma, il n’y a pas d’année sans soucis de visa. Au Canada, nous rencontrons même une double difficulté puisque la plupart des personnes transitent par Paris. Elles ont donc des problèmes pour avoir leur visa français et leur visa canadien. C’est un peu paradoxal et absurde qu’il y ait tellement de réunions qui se glorifient de la mondialisation des échanges, de la diversité culturelle et de la libre circulation alors qu’elles sont entravées.
Afrik : Comment êtes-vous financés ?
Gérard Le Chêne : Notre budget est en partie constitué d’aides, d’autant qu’une partie de nos activités est gratuite. Nous avons la chance d’avoir plusieurs niveaux de soutiens de la part des autorités. Sur le plan fédéral canadien et au niveau provincial, à Québec et dans les différentes municipalités où se déroulent nos activités. Un des aspects qui intéressent notamment les villes est qu’un festival comme le nôtre joue un rôle positif dans la paix sociale parce qu’il agit comme un puissant facteur de connaissance mutuelle.
Afrik : Qu’avez-vous prévu pour ce vingtième anniversaire ?
Gérard Le Chêne : Nous allons faire une édition spéciale Burkina Faso. Car notre vingtième anniversaire de création est également celui de notre partenariat avec le Burkina. Pour ce qui est du cinéma, nous n’aurons que l’embarras du choix puisque le pays est un des plus dynamiques en Afrique. Nous allons également organiser diverses expositions, ainsi que des débats sur le coton, dans un volet extra-culturel, pour aborder les difficultés économiques révélées par le sommet de Cancun. Nous avons également invité le couturier Pathé’O pour montrer la dynamique qu’il existe dans la transformation de la fleur de coton.
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