Le calvaire d’Oscar, immigré congolais en Israël


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Israël compte près de 20 000 demandeurs d’asile en grande majorité africains. Parmi eux, Oscar, natif du Congo-Kinshasa, trilingue – français, anglais, hébreu –, piégé dans une situation précaire depuis plus 16 ans. Itinéraire d’un « modèle » pour une communauté sans avenir.

Par Hélène Laîné

« Ici, on ne sait jamais de quel côté le tapis va être tiré. » C’est en ces termes qu’Oscar, 43 ans, résume les péripéties kafkaïennes de sa vie israélienne. La dernière en date n’est autre que l’équation-couperet qui plane au-dessus de sa fille Esther, 7 ans : expulsion ou régularisation ? De tous les combats que cet homme frêle a mené, des luttes étudiantes au Congo jusqu’au marathon des plonges à 7 shekels de l’heure (soit à peine plus d’un euro) dans les restaurants d’Ashdod (au nord de Gaza), le sort d’Esther est bien la cause de ses plus grosses insomnies. Fille des quartiers sud, elle fréquente l’école « Bialik-Rogozin », inscrite en rouge dans les dossiers du gouvernement puisqu’elle accueille près de 120 élèves sans papier. Esther en fait partie et risque l’expulsion. Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition de droite menée par Binyamin Netanyahou, près de 2000 enfants, pour la plupart nés en Israël mais sans statuts légaux, sont dans le collimateur du ministère de l’Intérieur.

Communauté africaine : la grande oubliée

Le 1er août dernier, le gouvernement a tranché : seuls pourront échapper aux charters de l’expulsion les enfants remplissant cinq critères stricts : vivre en Israël depuis au moins cinq ans, parler parfaitement hébreu, être scolarisé en CP ou dans une classe supérieure, avoir des parents entrés légalement sur le territoire. Ce dernier critère a fait l’effet d’une claque à la communauté africaine, la grande oubliée de cette campagne de régularisation. Elle forme l’immense majorité des demandeurs d’asile, soit 19 000 personnes –Soudanais, Erythréens, Mauritaniens, Congolais – arrivées pour la plupart illégalement sur le territoire après une marche harassante dans le Sinaï égyptien jusqu’aux barbelés israéliens. « La plupart des familles africaines n’ont même pas tenté de remplir des dossiers auprès du ministère car elles savent que c’est perdu d’avance », se désole Sigal Rozen à la tête de la Hotline d’entraide pour les travailleurs étrangers. La fille d’Oscar, elle, fait partie des « happy few ». Du moins en principe. Ses parents sont arrivés légalement avant sa naissance, elle manie parfaitement l’hébreu en « Kita Bet », l’équivalent du CE1. Pourtant, Oscar n’est pas tranquille : « Ici, on ne peut être sûr de rien. Je suis séparé de la mère, de ma fille ; le ministère pourrait s’en servir contre elle. » Au gré des vents contraires, il a appris à être prudent. En 2006, il avait reçu deux courriers d’expulsion pour sa fille. Il avait refusé de céder. A l’époque, une autre campagne de légalisation avait permis à 900 enfants de sortir de l’ornière. Mais Esther, alors âgée de 3 ans, était considérée comme « trop jeune » pour en bénéficier. Aujourd’hui, elle correspond parfaitement au prototype de l’enfant légalisable. Si Esther obtient le fameux sésame, Oscar pourra enfin « souffler ». La première fois depuis sa fuite du Congo en 1994.

Né en 1967 dans l’ancien Zaïre, Oscar a connu le régime de fer d’un maréchal Mobutu sur le déclin. Au début des années 90, il est étudiant en architecture à l’université de Lubumbashi : « Nous avions vu à la télévision la chute du dictateur Ceausescu, grand ami de Mobutu. On pensait pouvoir faire la même chose chez nous», explique-t-il. Il échappe au massacre des étudiants de Lubumbashi en mai 1990, mais pas à une attaque au couteau dans les rues de Kinshasa. En 1994, il prend la route de l’Egypte. A l’époque, les relations entre Israël et le Congo sont encore au beau fixe et Oscar obtient sans trop de difficultés un visa touristique pour la Terre sainte. Après un trajet en bus à 50 dollars, il échoue à Ashdod. Mais c’est un nouveau combat qui commence.

170 demandeurs d’asile ont obtenu gain de cause…depuis 1951

Pourtant, aux yeux des autres membres de la communauté africaine de Tel Aviv, Oscar fait figure de « chanceux ». Il est arrivé sur le territoire confortablement installé dans un bus, alors que tant d’autres sont d’abord passés par la case « prison » à Ketziot dans le désert du Néguev israélien, aménagée en 2007 pour accueillir le « tsunami » de réfugiés, dixit les autorités. En 2000, après six années d’illégalité, il obtient des papiers de demandeurs d’asile. Mais il doit attendre encore quatre ans avant d’obtenir un visa de travail. Une longue attente certes, mais au bout un permis que tous les étrangers s’arrachent. D’autres demandeurs d’asile ne l’ont jamais obtenu. Protégés par des papiers du HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) mais sans un billet en poche, ils viennent grossir les rangs de ceux qui trainent jours et nuits dans le parc Lewinsky, surnommé non sans aigreur la « Little Africa ». « C’est vrai, j’ai peut-être la situation la moins pire », concède Oscar. Un statut qu’il a pourtant du mal à porter tant son avenir, lui, semble aussi sombre qu’un tunnel d’autoroute : « Je reste un demandeur d’asile. J’ai ce statut depuis dix ans et je n’ai aucune chance de devenir réfugié », poursuit-il blasé. Pour preuve, ces chiffres qui parlent d’eux-mêmes : depuis 1951 et la signature par Israël de la Convention internationale relative au statut des réfugiés, seuls 170 demandeurs d’asile ont obtenu gain de cause en Terre sainte. Autant dire rien. La seule perspective reste un statut ad vitam de demandeur d’asile mais qui pourrait expirer demain pour Oscar, si le Congo n’est par exemple plus considéré comme un « pays à risques ».

« Je reste Noir. Visa ou pas. »

Contrairement à d’autres pays, Israël ne propose aucune politique de naturalisation pour les non-Juifs. Oscar n’aura jamais une carte d’identité israélienne. Son unique porte de sortie : un statut de résident temporaire si sa fille est régularisée. Une entrée en matière indispensable mais qui ne garantie pas la suite du repas : « Des papiers, cela ne se mange pas », regrette-il en référence à l’absence totale de perspective d’embauche, visa ou pas : « Regardez, j’ai déjà un visa de travail et un permis de conduire israélien. J’ai cherché à une époque un boulot de chauffeur-livreur mais on a toujours refusé de m’embaucher. D’abord, on me disait : il faut que tu te débrouilles bien en hébreu. Puis lorsque j’ai parlé la langue couramment, on m’a de nouveau fermé la porte en me disant que je n’avais fait l’armée. Je suis sûr que si j’obtiens des papiers de résident, on me dira alors : il faut que tu aie une carte d’identité israélienne. C’est un cercle vicieux, il y aura toujours une raison pour ne pas m’embaucher car le véritable problème est ailleurs et porte un nom : le racisme », conclut-il. Selon Oscar, le sentiment de rejet à l’égard des étrangers, en particulier les Noirs, n’a jamais été aussi fort dans le pays. Pour preuve, il cite les déclarations en 2009 du ministre de l’Intérieur Eli Yishaï, à propos « des étrangers qui viennent avec le Sida, l’hépatite, la tuberculose, la drogue ». « On sait tous qu’il fait d’abord allusion aux Noirs », souffle Oscar.

Traquer la xénophobie, il en a fait son cheval de bataille. Il y a quelques mois, il a participé à un programme du type « caméras cachées » pour la chaîne numéro 2 israélienne. Il y jouait le rôle d’un sans-papier poursuivi par un (faux) policier. Une fois caché dans une boutique, il priait le badaud israélien d’à côté (vrai celui-là) de ne pas le dénoncer. Résultat : « C’est mitigé. Certains n’ont rien dit mais d’autres ont parfaitement assumé la dénonciation même une fois qu’ils ont su qu’il s’agissait en réalité d’une émission ». Image de sans-papier indécollable « quoi qu’il puisse être marqué sur le passeport », travaux de ménage à la chaîne…Oscar conclut tristement : « Je considère que j’ai échoué mon intégration. » Ce n’est pas faute d’essayer.

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