Le climat politique devient de plus en plus antagonique au Burundi, où un grand nombre des partis politiques d’aujourd’hui étaient les groupes rebelles d’hier. La série d’élections organisées pour assurer la stabilité par le biais du pluralisme n’a fait qu’aggraver la situation, selon des analystes, faisant craindre l’effondrement d’un accord de partage des pouvoirs en vigueur depuis 10 ans.
« Les Burundais doivent comprendre que notre victoire appartient à tous, à ceux qui ont voté pour nous, comme aux autres », a déclaré Pierre Nkurunziza, le président réélu, le 26 août, lors de sa cérémonie d’investiture.
« Ce qui nous importe, c’est de travailler avec tous, pour le bien de tous », a-t-il expliqué.
Mais Pierre Nkurunziza s’est présenté seul aux élections présidentielles du 28 juillet en raison d’un boycott lancé pour protester contre les fraudes qui auraient entaché les précédentes élections municipales. La plupart des partis se sont désormais complètement retirés des institutions politiques, y compris de l’Assemblée nationale.
« Nous sommes préoccupés par les jeux des politiciens », a dit un habitant du Bujumbura rural ; cette province proche de la capitale a été parmi les plus touchées par la guerre civile de 1993-2005, qui a fait 300 000 morts.
« Maintenant qu’il n’y a qu’un seul parti, comment peut-il nous apporter la paix ? », a-t-il ajouté, sous couvert de l’anonymat.
« Au Bujumbura rural, on sait vraiment ce que c’est que la guerre. Aujourd’hui, nous avons peur pour l’avenir », a dit un autre habitant. « Certains disent que de nouveaux mouvements rebelles sont en train de se former, d’autres disent que ces mouvements rebelles n’existent pas. Les leaders de l’opposition ont disparu, nous ne savons pas ce qu’ils font ».
L’opposition se cache
Les mesures de répression du gouvernement contre l’opposition et les critiques internes ont incité au moins trois leaders de l’opposition à fuir le Burundi. Selon Amnesty International, les services de renseignement ont torturé 12 personnes à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet.
Plus de 100 explosions de grenade ont été recensées pendant ces mêmes mois, la plupart ciblées contre le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir. Dans l’ensemble du pays, des dizaines de locaux du parti ont été incendiés.
En parallèle, les politiciens de l’opposition sont souvent arrêtés, accusés tantôt de représenter une menace à la sécurité nationale, tantôt d’organiser des réunions « illégales ».
« Le Burundi est dans une situation périlleuse, à la croisée des chemins, et de toute évidence, des personnes mal intentionnées des deux côtés du clivage politique cherchent à exploiter les tensions récentes »
« Le Burundi est dans une situation périlleuse, à la croisée des chemins, et de toute évidence, des personnes mal intentionnées des deux côtés du clivage politique cherchent à exploiter les tensions récentes », a dit Rona Peligal, directrice Afrique de Human Rights Watch, au début du mois de juillet.
La dernière semaine d’août, deux membres des Forces nationales de libération (FNL), un ancien groupe rebelle, et six membres d’un autre parti politique, ont été arrêtés dans l’ouest du pays. Ils étaient accusés de transporter des vivres dans la forêt de la Kibira, où certains groupes suivraient un entraînement militaire. Deux autres membres des FNL ont été arrêtés à Kayanza, dans le nord ; ils sont accusés d’appartenir à un groupe armé.
Partage des pouvoirs
Le Burundi ne devait pas en arriver là. Le 28 août 2000, les parties à la guerre civile burundaise avaient couronné six années de pourparlers par la signature d’un Accord de paix et de réconciliation régissant le partage des pouvoirs entre la majorité hutue et la minorité tutsie, qui, quoique moins nombreuse, domine la scène politique burundaise. Il a fallu cinq années de plus pour que le dernier groupe rebelle hutu dépose les armes, mais l’accord d’Arusha avait permis d’établir un cadre constitutionnel pour mettre fin aux hostilités.
« Nous nous sommes mis d’accord sur un système politique susceptible de prendre en compte les dimensions à la fois politique et ethnique du problème burundais », s’est souvenu Jean-Baptiste Manwangari, un des négociateurs tutsis ayant participé à l’élaboration du pacte. « C’était un système démocratique qui fonctionnait en bonne partie sur la base d’un consensus et d’un dialogue, plutôt que sur ?la règle de la? majorité, ce qui, au Burundi, risquait de donner lieu à une dictature ».
Aujourd’hui, selon un fonctionnaire, le Burundi est « retourné à la case départ … un [nouvel] accord politique doit être négocié pour obtenir de nouveau la participation de l’opposition ».
Avant la signature des accords d’Arusha, la politique burundaise reposait sur le principe dangereux du « tout au gagnant », qui « incite les perdants à avoir recours à une sorte de stratégie de survie », a expliqué Pacifique Nininahazwe, directeur du Forum pour le renforcement de la société civile, une coalition d’organismes de la société civile interdite en 2009.
« Si le parti au pouvoir se comporte de la même manière que d’autres partis victorieux se sont comportés dans le passé, les perdants adopteront les mêmes mécanismes de survie », a-t-il ajouté.
Mise en garde contre le monopartisme
La majorité parlementaire de plus des deux tiers remportée par le CNDD-FDD « va transformer l’Etat : le système multipartite laissera place à une dominance essentiellement monopartite », ont prévenu Henri Boschoff et Ralph Ellermann dans un document rédigé pour le compte de l’Institute of Security Studies de Pretoria, et intitulé Elections without competition and no peace without participation: where might it go from here ?Des élections sans concurrence et pas de paix sans participation : les possibilités pour l’avenir?.
« A terme, [cela] pourrait avoir des répercussions extrêmement négatives sur la paix et la démocratie au Burundi », ont-ils écrit, arguant que « la réticence de Pierre Nkurunziza et du CNDD-FDD à gouverner le pays dans l’esprit de sa Constitution, axée sur le partage des pouvoirs … a transformé le climat politique en environnement hostile où la confiance entre les partis et en la Constitution s’est évaporée ».
« Le Burundi risque la désobéissance civile … Le pire des scénarii serait une rébellion [contre] les institutions publiques causée par les partis d’opposition », peut-on lire dans le rapport.
« Si les nombreux habitants désormais désenchantés par le niveau de démocratie étaient disposés à suivre les partis sur un chemin non démocratique, cela pourrait, à terme, faire la différence entre quelques attaques aléatoires et la mobilisation générale d’une population mécontente », ont averti les auteurs.