La grande marche des Kabyles sur la présidence s’est transformée en une bataille rangée entre manifestants et forces de l’ordre. Deux journalistes ont été tués accidentellement par un bus. Politiquement, c’est un grand échec pour les organisateurs même s’ils ont réussi à rassembler plus d’un million de personnes.
Gare du Caroubier. Les manifestants venus de Kabylie ont déjà parcouru quelques kilomètres depuis le point de rencontre, le Parc des expositions. Le groupe qui est venu à pied depuis Béjaïa ( 260 km) a été très applaudi. Au nombre de trente au départ, ils sont plus de trois cents à arriver dans la capitale. Mais ce qui devait être une fête se transforme en bataille rangée entre manifestants, excédés de ne pas pouvoir rallier El-Mouradia (siège de la présidence), et les forces de l’ordre, déterminées à bloquer la marée humaine.
» On ne comprend pas comment cela a pu dégénérer aussi vite. On savait que des provocateurs nous attendaient mais on a été surpris, débordés par la réaction des jeunes manifestants « , reconnaît Hamid, dépité. Le front de mer s’est transformé en un énorme brasier. Gaz lacrymogènes et pneus incendiés. » C’est Beyrouth « , hurle la foule.
Kia, c’est fini
En constatant l’intransigeance des forces de l’ordre sur l’itinéraire du parcours, les manifestants s’en prennent d’abord aux symboles de l’Etat ensuite…c’est le chaos, l’anarchie. Alors que le gouvernement vantait les atouts industriels de l’Algérie aux investisseurs étrangers à la Foire d’Alger, à trois kilomètres de là, les manifestants saccageaient tout sur leur passage. Le constructeur sud-coréen d’automobiles Kia a vu son parc entièrement détruit.
De jeunes adolescents jouent aux autos-tamponneuses avec les nouvelles voitures sud-coréennes. Après avoir été utilisées comme béliers pour forcer les barrages, elles sont incendiées. La télévision algérienne, aveugle sur toutes les marches pacifiques, s’en donnera à coeur joie. Les images de voitures en feu tourneront en boucle. La manifestation pacifique a échoué.
Champ de manoeuvres. Jamais la place Champ de manoeuvres. (rebaptisée Place du 1er mai) n’a autant mérité son nom. Aux charges de la police anti-émeutes succèdent les ripostes des manifestants. Les résidents algérois se cloîtrent chez eux pour éviter les gaz lacrymogènes et par peur de balles perdues. Les bus de la municipalité d’Alger partent en fumée.
» Calmez-vous, repliez-vous sur la moutonnière (route menant vers la Kabylie) ! « , ordonnent vainement les organisateurs. Trop tard ! Les jeunes manifestants n’obéissent plus à personne. » L’Etat a réussi à faire échouer notre marche. Il a utilisé tous les moyens pour que celle-ci devienne violente. Il a usé de ses deux machines de guerre, les CRS et l’ENTV (unique chaîne de télévision), pour nous discréditer. Nous n’avons aucun moyen d’expression pour rétablir la vérité « , avoue Hamid, membre du ‘arch de Larbaa Nath Irathen.
Les chemins qui montent
Le retour est morose, silencieux dans les bus. L’euphorie de l’aller est devenue abattement au retour. » Il faut que les ‘arch se prononcent sur le boycott de la Zéro (ENTV, ndlr). Nous devons tirer les conclusions de ces événements. Notre unique moyen de combat est le pacifisme « , affirme un autre membre du ‘arch. Les autres opinent silencieusement. Défaits. Rien ne s’est passé comme prévu. Oubliées les chansons du matin, les moqueries et les dernières blagues sur le président algérien, Abdelaziz Bouteflika. » Il fait nuit, je me demande si la petite fille qui devait remettre à Boutef’ la plate-forme de revendications est rentrée chez elle « , s’inquiète Hamid. Son voisin lui répond par l’affirmative.
Il est un peu plus de 22 heures. Plusieurs manifestants dorment. Fatigués et usés. Une réunion est prévue en début de semaine pour » tirer les conclusions « . On n’entend plus que les ahanements du bus qui remonte péniblement vers les montagnes kabyles.
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