Dans Black Bazar (Seuil, 2009), le dernier livre d’Alain Mabanckou, le héros est un parisien originaire de Congo-Brazzaville, travailleur à mi temps dans une imprimerie. Après le départ de sa compagne avec leur fille, il va écrire un livre dans lequel il relate sa vie et celle de ses compatriotes.
Le lieu central du roman est un bar, comme dans Verre Cassé du même auteur, paru en 2005. Notre héros, surnommé le Fessologue, y retrouve ses copains africains et échange, autour de verres de bière, des propos, entre autres, sur la vie, la colonisation, les relations hommes/femmes, la politique africaine, l’exil. Les personnages portent des prénoms cocasses, représentatifs de l’univers d’Alain Mabanckou : la compagne de notre héros, surnommée Couleur d’origine, le cousin baptisé l’Hybride, et les potes, l’Ivoirien tout court, Vladimir le Camerounais aux cigares les plus longs de France et de Navarre, Paul du grand Congo ou « esprit sein », Pierrot le Blanc du Petit Congo, le spécialiste du verbe qui ne cesse de répéter qu’« au commencement, il n’y avait que le verbe, il y avait aussi le sujet et le complément d’objet, et c’est l’homme qui a rajouté le complément d’objet indirect car il en avait marre d’adorer une divinité qui ne se faisait jamais voir. ».
Alain Mabanckou relève, avec humour, les préjugés racistes et les clichés. Il présente la vie d’Africains à Paris, sans gommer les différences qui existent entre eux. Mabanckou n’épargne personne dans ce tableau : la responsabilité des gouvernants africains est dénoncée au même titre que le racisme des Martiniquais, personnifié par le voisin de palier de notre héros, Monsieur Hippocrate. Ce dernier se vit comme blanc et ne veut surtout pas être pris pour un Africain. L’Arabe, l’épicier du coin, s’arrange avec l’histoire : « C’est pour ça qu’il y a des cons qui rapportent qu’autrefois les Arabes, ils ont mis en esclavage leurs frères africains noirs ! Est-ce que tu peux croire à des mensonges de ce genre ?… Moi, je dis aux Occidentaux que l’esclavage, c’est une histoire de l’Occident, pas de nous autres, les Arabes.
Au coeur du Paris «black»
Mabanckou éreinte la bêtise humaine de tous bords. Roger le Franco-Ivoirien conteste à notre héros tout talent d’écriture et se targue de la clarté de sa couleur de peau qui lui octroierait des droits: « Nous, les Nègres, c’est pas notre dada, l’écriture. Les Nègres, c’est l’oralité des ancêtres… Il faut avoir un vécu pour écrire. Et toi, qu’est-ce que tu as comme vécu, hein ? Rien ! Zéro ! Moi par contre j’aurais des choses à dire et des choses à raconter parce que je suis métis, je suis plus clair que toi, c’est un avantage important. ».
Ce rapport à la littérature est omniprésent, comme dans d’autres livres de Mabanckou, écrits dans cette veine, toujours imagée et drôle. Le roman est truffé d’allusions à des titres de romans ou à des œuvres qu’il convient de trouver comme dans un puzzle. Ainsi, lit-on « Est-ce qu’il y a au moins dans ton histoire un ivrogne qui va dans le pays des morts pour retrouver son tireur de vin de palme, décédé accidentellement au pied d’un palmier. », qui est une référence au roman d’Amos Tutula « L’ivrogne dans la brousse ».
Le lecteur se trouve donc plongé dans le vécu de l’exil d’immigrés africains, et le tout, sans commisération, ni complaisance. Alain Mabanckou réussit à aborder des thèmes graves, en nous faisant sourire, voire rire. C’est cela le talent d’un grand écrivain.
Commander Black Bazar, d’Alain Mabanckou, Point Seuil, 2010.