Alors que les nostalgiques de Marx avaient une pensée émue le 5 mai dernier pour l’anniversaire des 200 ans de sa naissance, ils en profitent pour revisiter ses théories et affirment que leur échec était uniquement du au manque d’informations et de données nécessaires à une planification centralisée. Le Big data pourrait-il permettre de revisiter les théories de Marx à la lumière des données de masse ?
Dans son article, Scott Burns, en s’appuyant sur les analyses de Mises et Hayek, affirme que le problème des théories de Marx n’est pas vraiment le manque de données fiables mais que les causes de l’échec sont structurelles. En effet, dans un environnement non libre, sans droits de propriété donc sans marché, aucun indicateur n’accompagne un entrepreneur. L’indicateur central est le prix qui est totalement faussé dans un tel environnement.
Le 5 mai 2018 marquait le 200ème anniversaire de la naissance de Karl Marx. Pour célébrer l’occasion, une poignée d’auteurs ont fait valoir que, malgré la mauvaise presse reçue par le marxisme au cours du siècle dernier, la plupart des critiques de Marx visant le capitalisme étaient justifiées. Selon eux, si les régimes influencés par Marx ont échoués ce n’est pas du à l’inefficacité de la planification centrale mais au manque de données permettant d’affiner cette planification. Le Big Data permettrait-il un retour au modèle marxiste ?
Le débat de calcul socialiste
Contrairement à la croyance populaire, les critiques de Ludwig von Mises et F.A. Hayek, contre leurs adversaires socialistes dans les années 1920 et 1930, n’étaient pas seulement liées au manque d’informations. Leur thèse allait plus loin et ils soulignaient que les planificateurs n’avaient pas accès aux multiples connaissances dispersées qui auraient permis d’allouer efficacement les moyens de production d’une économie parmi une gamme infinie d’utilisations possibles. Ceci est à la base de la question centrale de l’économie, ce que les économistes appellent «le problème économique»: quelle est la meilleure façon d’allouer les ressources rares d’une économie pour produire le résultat que les consommateurs désirent finalement? En d’autres termes, que devrions-nous produire, et comment devrions-nous le produire? Et comment connaître les désirs des consommateurs pour y répondre ?
Selon Mises et Hayek, l’élément clé d’un calcul économique rationnel est le prix déterminé par le marché. Il permet aux producteurs de calculer le coût d’opportunité de diverses méthodes de production. Les producteurs peuvent alors utiliser les prix du marché pour déterminer quels sont les moyens les moins coûteux de fabriquer les produits finaux dont les consommateurs ont besoin. A titre d’exemple, supposons que vous êtes un planificateur central chargé de construire un chemin de fer. Même si nous supposons que vous avez un plan efficace et des ressources suffisantes pour terminer le projet, comment choisirez-vous le matériel dont vous avez besoin pour construire le chemin de fer de la manière la plus rentable possible? Sans signaux de prix, vous seriez incapable de déterminer s’il serait moins coûteux de construire un chemin de fer en or ou en acier. L’or est, après tout, un métal de meilleure qualité que l’acier. En l’absence de prix, il pourrait sembler évident à l’ingénieur moyen de construire le chemin de fer en or. Mais pour plusieurs raisons, dont beaucoup pourraient être complètement inconnues et impossibles à connaître pour les planificateurs, l’or est un métal beaucoup plus coûteux que l’acier. En l’absence de prix et de la possibilité de comptabiliser les profits et les pertes, la méthode de production la plus «technologiquement efficace» l’emporterait toujours sur la plus «économiquement efficiente» (coût d’opportunité le plus bas), faisant subir un coût élevé à l’utilisateur.
Comme l’a souligné Hayek tout au long de ses écrits sur ce sujet, les connaissances requises pour s’engager dans un calcul économique rationnel ne peuvent pas être données en dehors du contexte duquel elles émergent. Autrement dit, les connaissances économiques ne peuvent être générées que dans un contexte institutionnel qui protège la propriété privée, dans une économie de marché. En l’absence de propriété privée des moyens de production, il n’y a pas de marché donc pas de prix pour informer les entrepreneurs sur la méthode la moins coûteuse pour produire un bien ou un service donné.
Les données sont la clé, mais l’information ne suffit pas
Boettke (1998) résume les principaux arguments de Mises et Hayek en trois étapes connexes :
1. Sans propriété privée, il n’y aura pas de marché ;
2. Sans marché, il n’y aura pas de prix ;
3. Sans les prix reflétant la rareté relative des biens d’équipement, les décideurs économiques seront incapables d’évaluer de manière rationnelle les usages alternatifs des moyens de production.
Alors, ces arguments sont-ils remis en cause à l’ère du Big Data? Mises et Hayek démontrent bien que le vrai problème du socialisme n’est pas informatif mais institutionnel. Les premières économies planifiées au plan central n’ont pas seulement souffert d’informations insuffisantes. Si le problème était, en fait, une information insuffisante ou inadéquate, il serait logique de penser que l’augmentation exponentielle de la puissance de calcul pourrait effectivement guérir les maux d’une économie dirigée et contrôlée. Mais, comme Mises et Hayek l’ont fait clairement valoir, les connaissances nécessaires pour s’engager dans un calcul économique rationnel ne sont créées et n’existent que dans le contexte d’une économie de marché. L’information et la connaissance sont deux choses différentes. Et sans les prix qui permettent d’anticiper les pertes et profits, il n’y a aucune raison de croire que plus d’informations conduiraient à de meilleurs résultats.
Au delà des démonstrations qui peuvent sembler un peu complexes, il suffit de regarder des pays comme la Corée du Nord ou le Venezuela. Même à l’ère des ordinateurs ultra puissants et du Big data, le modèle ne fonctionne pas. Cela montre que le problème fondamental du socialisme n’est pas lié au manque d’informations mais bien à des institutions défaillantes.
Scott Burns, Professeur assistant, Université de Philadelphie. (Version très élaguée)