Comme certains sont fous de chocolat, lui l’est de balafon. Mamadou Kolade partage son amour du balafon, depuis quelques années déjà, avec des milliers d’internautes grâce à son site Marimbalafon. Afrik.com est parti à la rencontre de cet homme intarissable sur un instrument de musique qu’il tient pour magique.
Propos recueillis par Falila Gbadamassi
La grande passion de Mamadou Kolade, le fondateur de l’association Marimbalafon et du site du même nom pour la promotion du balafon se devine aisément A onze ans, il est déjà tambour d’une fanfare. En grandissant, le Sénégalais s’attellera à parfaire sa connaissance de la musique occidentale, ici et là, dans des conservatoires tout en se familiarisant avec le balafon. Pour ce faire, Mamadou Kolade côtoie de grands maîtres comme Aliou Mané (Théâtre National Daniel Sorano de Dakar), Keba Mané (ex-Orchestre National du Sénégal), ou encore Bouly Wadjen Diatta et Ousmane Ndjilonga Diatta. Directeur de la régulation de Celtel International, opérateur de téléphonie mobile présent dans quinze pays africains, cet autodidacte de la musique sait joindre l’utile à l’agréable : ses voyages professionnels sont l’occasion d’effectuer des recherches sur son instrument de musique préféré.
Afrik.com : Comment est née votre passion pour le balafon ?
Mamadou Kolade : La passion du balafon m’est venue depuis ma tendre enfance en Casamance en côtoyant l’ethnie Balante (On la retrouve au Sénégal et en Guinée-Bissau, ndlr), réputée pour ses virtuoses. Le son du balafon a pour moi quelque chose de magique qui me donne de la bonne humeur et la joie de vivre. Ensuite, j’ai découvert sa diversité à travers les nombreux voyages que j’ai pu effectués à travers l’Afrique. D’où l’idée que j’ai eue de monter une association pour la promotion du balafon et un site Internet spécialement dédiés à ce merveilleux instrument.
Afrik.com : Que diriez-vous à un néophyte pour lui transmettre votre passion pour cet instrument et le maximum sur lui en très peu de mots ?
Mamadou Kolade : J’insisterai encore sur le caractère magique du son du balafon. Il produit des effets insoupçonnés. Il permet à une personne de s’épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle. Le balafon a des vertus thérapeutiques, car il permet de lutter contre le stress et de soigner certaines maladies. On peut être heureux en écoutant ou en jouant le balafon. L’expérience montre aussi que le balafon contribue à l’éveil de l’enfant, à développer ses facultés de concentration et la coordination motrice. Dans une entreprise, le balafon permet de forger l’esprit d’équipe et de booster les performances des salariés. J’exhorte donc tout le monde à prendre des cours de balafon ! Pour les spécialistes – musicologues, ethnologues, historiens, et autres – le balafon constitue une véritable source d’information sur l’histoire des sociétés, une fabuleuse bibliothèque historique. Par exemple, à travers l’histoire du fameux Sosso-Bala, on peut apprendre beaucoup sur une partie de l’histoire de l’empire du Manding au 13e siècle. Rappelons que le balafon est avant tout un outil de communication. C’est un véritable téléphone mobile !
Afrik.com : Dans la société traditionnelle africaine, la musique est souvent la chasse gardée d’un clan, d’une ethnie…
Mamadou Kolade : Il est en effet atypique pour une personne d’origine peule comme moi, et en plus supposée être de caste supérieur, non seulement de jouer la musique en général, mais pire encore de jouer la musique des autres ethnies. Chez les Peuls, et c’est valable pour beaucoup d’ethnies en Afrique, la musique est le domaine réservé d’une caste souvent considérée, à tort, comme inférieur. Il faut que cela cesse ! Il faut aussi briser le cloisonnement ethnique, afin que la musique d’une ethnie donnée puisse être jouée par des personnes d’une autre ethnie. Il est aussi grand temps que soit mis fin à l’ostracisme dont sont victimes les femmes, afin qu’elles puissent jouer le balafon au même titre que les hommes.
Afrik.com : Leur interdiront-on d’en jouer ?
Mamadou Kolade : Non, mais il est rare de voir une femme jouer du balafon. Pour des raisons physiques notamment, l’instrument est assez lourd. La seule joueuse, à ma connaissance, est Fatoumata Kouyaté.
Afrik.com : Où fabrique-t-on les balafons ? Qui en fabrique ?
Mamadou Kolade : Chaque ethnie a ses propres codes pour définir les qualités d’un facteur de balafon. Chez certaines ethnies, le facteur de balafon est étroitement associé à la caste des forgerons, qui est celle qui maîtrise le fer et le feu, deux éléments essentiels dans la fabrication du balafon. Mais actuellement, on peut dire que toute personne ayant acquis le savoir-faire auprès d’un maître reconnu est un bon facteur de balafon. C’est un métier très difficile. Chez les Balantes, au-delà de l’aspect purement technique, le facteur doit écouter « la voix de l’arbre » qu’il veut utiliser pour fabriquer un balafon afin de déterminer si l’arbre en question donnera de belles sonorités. Quelques fois, il faut se plier à certains rituels invoquant les ancêtres et l’âme des arbres. Le balafon se fabrique un peu partout, au village comme en ville. Cependant, je mets en garde contre l’achat de balafon dans certaines boutiques à touristes en ville, car ils ne sont généralement pas bien accordés et ne respectent pas l’échelle musicale de l’ethnie en question. Ils sont, au mieux, juste bons pour la décoration. Il faut choisir le balafon fabriqué par un facteur reconnu.
Afrik.com : Sont-ils encore nombreux ces spécialistes de l’instrument ?
Mamadou Kolade : Pas vraiment. Au Sénégal par exemple, ils se comptent seulement sur les doigts d’une main et sont d’un âge relativement avancé. La relève est loin d’être assurée, d’où un programme spécifique de l’association Marimbalafon, non seulement pour encourager la transmission du savoir-faire à la nouvelle génération, mais aussi pour promouvoir la coopération entre les facteurs traditionnels africains et les luthiers reconnus en Europe.
Afrik.com : Quelle technique est utilisée ? Combien de temps faut-il pour donner corps à un balafon ?
Mamadou Kolade : Un balafon peut être fabriqué en une semaine. Pour les versions les plus sophistiquées, il faut compter jusqu’à un mois. Le facteur doit recueillir ou se procurer le bois et les matériaux nécessaires. Il s’agit généralement d’un arbre mort depuis plusieurs années, tailler les lames aux bonnes dimensions, les passer au feu pour évacuer l’eau et les bactéries afin d’obtenir une sonorité belle et durable. Le balafon est fabriqué à partir de matériaux qu’on trouve dans l’environnement immédiat. Selon sa fonction et l’ethnie en question, on utilise le bois de vene, le bois pterocarpus, des branches de palmier, la cire d’abeille, le nid d’araignée ou les ailes de chauve-souris pour l’effet de bourdonnement, une planche, une calebasse ou un fruit du baobab pour la résonance, la peau de biche ou de phacochère, des ficelles, du tissu, etc. Les principaux outils utilisés sont la herse, la scie, le rabot, le coupe-coupe et des couteaux.
Afrik.com : Quelles sont les origines de cet instrument ?
Mamadou Kolade : Il existe plusieurs théories à ce sujet. Une première théorie accrédite la thèse de l’origine indonésienne du balafon africain. Selon le professeur Kunst, le balafon aurait été inventé en Indonésie puis apporté à Madagascar à travers les mouvements migratoires, et ensuite en Afrique de l’Est. A partir de là, le balafon aurait migré vers l’Afrique centrale, puis l’Afrique de l’Ouest, avant de traverser l’océan vers l’Amérique avec la traite négrière. Personnellement, cette théorie me laisse sceptique. Quand on pose la question aux populations africaines, on se rend compte que le balafon est souvent lié à des phénomènes paranormaux, avec l’évocation d’êtres surnaturels, des djinns par exemple. Avec aussi une autre constante : on évoque souvent une fosse, du bois et de l’eau. Il existe beaucoup de légendes comme celle de Mansa Kourou Nani, le Roi aux quatre bosses. Selon une autre théorie toute aussi intéressante, le balafon proviendrait de l’évolution du tambour à lèvre. J’ajouterais qu’il est difficile de retracer avec certitude la trajectoire et l’évolution du balafon, car les matériaux utilisés, principalement du bois, ne résistent pas longtemps à l’épreuve du temps. La plus vieille représentation du balafon au monde a été retrouvée au Vietnam. On en a retrouvé des traces dans l’Egypte des Pharaons. Le Sosso-Bala est le plus vieux balafon africain existant, ce qui ne signifie pas qu’il est le plus vieux balafon africain de tous les temps. Actuellement, nous cherchons des représentations de balafons dans les gravures rupestres.
Afrik.com : La version qui vous convainc le plus ?
Mamadou Kolade : Personnellement, je penche plutôt pour la théorie de l’évolution. Le balafon est le fruit d’un processus qui a débuté depuis le début de l’humanité. Par exemple, en marchant sur des troncs d’arbres pour traverser un ruisseau ou en tapant sur une planche de bois posée sur une fosse, les gens ont provoqué un son. Ensuite, au fil du temps, d’autres planches ont pu être ajoutées pour créer la polyphonie. Dans les formes les plus évoluées du balafon, le châssis remplace la fosse et les lames sont fixées à l’aide de ficelles.
Afrik.com : Quelle différence fait-on entre marimbas et balafons ?
Mamadou Kolade : Ils sont tous de la même famille des idiophones, c’est-à-dire des instruments de percussions dont les matériaux qui les composent produisent le son soit par impact extérieur ou par une partie de l’instrument même. Ils font aussi partie du sous-groupe des xylophones. « Xylo » signifie en grec, bois et « fon », le son. Balafon est le nom générique utilisé principalement en Afrique de l’Ouest pour designer le xylophone africain. Ce nom tend à s’imposer partout en Afrique et ailleurs. Je rappelle que balafon provient de « Bala », le nom de Bala Fasseke Kouyate, celui-la même qui a osé jouer le balafon sacré de Soumahoro Kanté, et de « fo », qui signifie parler en langue Manding. Marimba est le terme utilisé principalement en Afrique centrale, orientale et australe. Marimba est le pluriel de « rimb » qui signifie bois. Il existe plusieurs déclinaisons de Marimba chez les peuples de ces zones : Madimba, Malimba, Madjimba, Kijimba, etc. Marimba est aussi largement utilisé en Amérique latine. En Occident, il est souvent synonyme du xylophone.
Afrik.com : Quels noms portent les différents cousins du balafon ?
Mamadou Kolade : Il existe pratiquement autant de noms de balafon que de peuples qui en jouent et quelques fois, même plus, car des fois, il y a plusieurs types de balafons chez le même peuple. Retenons quelques noms : Timbila chez les Chope de Mozambique, Embaire chez les Basoga et Amandinda chez les Baganda en Ouganda, Gyil chez les Birifor, Kalangba chez les Banda, Kponingbo chez les Zande, Kundu chez les Sarah au Tchad, Mendzang chez les Fang, etc. Marimbalafon a recensé 215 différents noms du balafon en Afrique sans que cette liste ait la prétention d’être exhaustive. En faisant un clin d’œil à l’Asie, le balafon est appelé Gambang dans les orchestres de percussions (Gamelan) en Indonésie ou Dan go et Dan Da au Vietnam (les lames sont constituées de pierres de différentes tailles), Bakagong en Malaisie, Muqin en Chine, Patatag aux Philippines, Patti taranga en Inde et Ranat ek en Thaïlande. Les autres noms qui peuvent se rapporter à cette famille d’instruments sont : lithophone (de litho signifiant pierre), vibraphone, métallophone, etc.
Afrik.com : Marimbalafon, c’est aussi le nom du site que vous avez créé…
Mamadou Kolade : C’est le site de référence dans l’univers des xylophones, marimbas et balafons. Donc vous y trouverez toutes les informations concernant le balafon et ses cousins : bibliographie, discographie, noms des artistes et orchestres, lire des études et articles voir des séquences vidéo, écouter des extraits de balafon de différents pays. Il y aussi une rubrique de vente en ligne sécurisée, vous pouvez commander des CD de balafon, des livres, des balafons et accessoires. Nous recommandons de commander des CD de la Collection « Xylophone Masters », la plus grande collection de CD de balafon, avec actuellement 11 différents CD.
Afrik.com : Sur le site, j’ai remarqué qu’il y en avait un peu partout dans le monde, qu’est-ce qui fait leur particularité?
Mamadou Kolade : Le balafon et ses cousins sont joués pratiquement dans tous les continents. Mais l’Afrique reste incontestablement le continent avec la plus grande diversité. Le principe du balafon est le même partout. Les particularités fondamentales peuvent être vues sur deux angles principaux. D’une part, les matériaux utilisés : En Afrique le balafon est essentiellement à base de bois, avec l’utilisation de matériaux animaux et végétaux très divers, tandis qu’en Asie, certains balafons sont à base de cuivre, par exemple pour les orchestres de Gamelan, ou de bambou, au Vietnam, Cambodge, Laos, etc. D’autre part, l’échelle musicale. Là aussi l’Afrique reste le continent avec la plus grande diversité d’échelles musicales : heptatonique, pentatonique, hexatonique, etc. En Asie, il existe principalement deux gammes : pentatonique et heptatonique. En occident ou en Asie, l’agencement des sons est soit ascendant ou descendant. En Afrique, on trouve, outre cet agencement, des combinaisons qui ont souvent dérouté les occidentaux : une structure en dents de scie ou une note précise, immédiatement suivie de l’octave.
Afrik.com : Il semble que vous ayez transmis le virus du balafon à votre entreprise…
_ Mamadou Kolade : Celtel International fait partie des principaux sponsors parce que la firme a intégré la promotion de la culture africaine dans sa politique de marque. Marimbalafon a également eu l’honneur de recevoir le soutien de personnalités telles que Cheikh Modibo Diarra, Youssou Ndour, Tabuley Rochereau, Djibril Tamsir Niane, et bien d’autres qui ont souhaité rester anonymes. Nous comptons aussi une dizaine de bénévoles et environs soixante membres actifs. Nous recherchons toujours d’autres bonnes volontés et des entreprises désireuses d’aider à la promotion de la culture traditionnelle africaine et prêtes à nous aider dans cette passionnante mission.
Afrik.com : Où peut-on écouter de grands maîtres balafon en Occident ?
Mamadou Kolade : Nous mettons à jour, régulièrement le planning des concerts et visites des grands maîtres de balafon. Par exemple, Alkhaly Camara de Guinée a séjourné six mois aux Etats-Unis, Konomba Traoré, un mois en Hollande, tout comme Aliou Mané du Sénégal. Keba Mané de Gambie a séjourné six mois en Angleterre. Nous essayons aussi de favoriser leur participation à des festivals internationaux de balafon. Il faut de temps en temps visiter le site www.marimbalafon.com pour avoir des informations. Il est aussi possible de suivre les grands maîtres qui habitent en Occident, comme le Guinéen Adama Condé ou le Burkinabé Moussa Hema qui sont en France ou Nabi Camara qui vit entre les Etats-Unis et le Canada. Autrement, pour tous ceux qui se rendent en visite en Afrique, je conseille vivement de prendre un peu de temps pour les rencontrer chez eux ou dans les salles spécialisées.
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