A mes frères, je dois cette chose précieuse : Le Congo ! Et cette chambre où je dors. Plongeur sous-marin, Pascal est arrivé au quartier Plateau en 1996. Du premier regard sur la première fille de Pointe Noire il en a fait un mariage, intact à l’épreuve du temps. Il s’est passé trois enfants métissés depuis, fabriqués avec amour quand il sortait la tête de l’eau. Pascal est sorti du ventre de ma mère avec un autre frère, Laurent. Combien de minutes d’intervalle ? Ce que je sais : Ils ont aujourd’hui un siècle à eux deux, une maison à Tchimbamba, une société de transports maritimes. Et un coeur gros comme ça : « Pas de problème, on peut demain faire une balade sur la baie avec les enfants de la parcelle » ! dit Laurent lorsque j’arrive enfin à lui parler entre mille coups de fil.
(De notre correspondant)
Au Club Nautique, quatorze heures. L’océan et les vents sont calmes. Mais Naomie, sa soeur Kelly, Alicia – et Damien qui habite un peu plus bas dans la ruelle – ne savent rien des bateaux qui s’éloignent de la Côte Mondaine. Aux deux cents cinquante chevaux du Boston Whaller il faut ajouter ce plaisir mêlé d’inquiétude que je lis dans les yeux des enfants. Ajouter encore un petit « matabish » de 5000 Francs CFA dans la main tendue d’un militaire qui surveille le hangar à bateaux. « Les enfants n’ont pas leurs papiers » ! Je dis : « C’est OK ». Sans faire de vagues avant même le voyage. Alors Edmond embarque les enfants. Edmond est un chic type. Edmond, est passé à l’âge de la cinquantaine d’un poste de gardien de nuit à celui de marin ! Oui, les frangins ont du coeur !
Dans la baie de Pointe Noire, à bord du Damalau battant pavillon Congolais, Naomie a pris les commandes et elle rit, virant de bâbord à tribord entre quelques épaves, croisant un bateau « Chance » qui porte le même prénom que sa mère. La fin d’après-midi. Et l’Océan qui ouvre l’appétit : Quelques jus et des frites à la terrasse du bar « Les Bambous » où je fais encore quelques images, celles de la vie des autres jours. Et que celui là est beau. Presque autant que le sont les toilettes, au fond, à droite : « Kelly, il faut que tu ailles aux toilettes, tu vas voir comment c’est beau, comment c’est propre » s’enthousiasme Naomie revenue de « se soulager » comme ils disent très souvent.
A la parcelle : un puits, des bassines, un bout de terre, une tôle ondulée pour se protéger des regards. Pas de douche, ni toilettes. C’est peut-être après l’océan qui ouvre l’appétit que j’ai cette moitié de rêve, une autre moitié de promesse à moi-même : Pouvoir installer des sanitaires dans la parcelle de Mama Céline : Une douche, des toilettes. Comme pour soulager ma conscience et ma peau blanche frottée aux gels douche parfumés. Tchimbamba PN 242 pourrait servir simplement à cela. Qui sait, un jour ? Dans un prochain séjour… Et j’ajouterai un miroir qui me renverrait leur étonnante joie de vivre ! D’ailleurs, Mama Céline m’a dit hier que j’étais leur étoile, ça me fout la pression ! Alors, dans la chambre où je dors, je ne dors pas toujours. Parfois je rêve, les yeux ouverts, dans la fumée des Fine vertes qu’enveloppe une odeur de café en poudre, d’un miroir que je pose. Un rêve sous pression !
Je me réveille dans les montagnes d’images débordant de partout dans les disques durs. Je fais le tri des montagnes, toujours riches en couleur, avant qu’un Taxi Bleu m’avale pour aller n’importe où. Aujourd’hui c’est un rendez-vous avec Styl’Oblique, un gang de slameurs qui m’entraîne de Tié-Tié à Mpaka. Fin de tournage à la parcelle pour nous rafraîchir avec Gilles, Beaurice et Arnaud. C’est bon pour le petit commerce de Mama Céline qui vend dans la cour bières et jus aux gens de passage. Bien entourée, Naomie s’essaie au slam sur un poème de Victor Hugo. Naomie n’a jamais peur d’essayer. Je filme Gilles qui déclame une dernière poésie au milieu des cabanes en planche : « Silence et bruit ». Arnaud me parle d’un studio d’enregistrement du côté du quartier Mpita, d’un ami à lui, ingénieur du son. Et moi je lui parle de Naomie et de « Sunga Ngai ». Tu te souviens de cette chanson ?
La veille d’enregistrer : « Sois prête à neuf heures, hein ? ». Et je sais qu’elle ne sera pas prête. Là-bas on ne compte pas les heures, on ne compte pas le temps. Lorsque j’arrive à la parcelle, à dix heures, Naomie est au milieu d’un tas de vaisselle qu’elle lave joyeusement en chantant ! C’est comme ça… Alors, mains plongées dans la mousse, je lave à sa place – sans chanter comme elle le fait – tandis qu’elle va puiser un seau pour aller prendre « sa douche » ! J’additionne le temps où elle s’habille avec celui de l’embouteillage sur le goudron et celui à chercher l’adresse qui ne porte pas de nom d’un studio qui ne porte lui aussi pas de nom. Quel étrange sentiment d’arriver en avance lorsque nous serrons la main de Zé, l’ingénieur du son ! Me revient alors ce vieux proverbe : « Les hommes ont inventé la montre mais Dieu a inventé le temps » ! Et puis c’est dommage, le courant est parti lorsque nous sommes arrivés !
Voir Naomie et le Damalau :