
Dans un contexte de tensions diplomatiques renouvelées entre la France et l’Algérie, Lazare Groune, entrepreneur médiatique et écrivain franco-algérien, nous livre son témoignage. Ancien propriétaire de Radio Vitamine, station emblématique du sud de la France, et auteur de « L’affaire Radio Vitamine, le proc m’a tuer », il évoque son parcours singulier marqué par une double identité culturelle et une bataille judiciaire de quinze ans contre l’État français.
Entre mémoire historique, liberté d’expression et droits fondamentaux, son récit interroge les contradictions d’une République qui prétend donner des leçons de démocratie tout en bafouant, selon lui, les droits de certains de ses citoyens. Portrait d’un homme qui, privé de ses droits les plus élémentaires en France, questionne le « deux poids, deux mesures » des autorités françaises dans leur traitement des Franco-Algériens.
En tant que Franco-Algérien, comment vivez vous votre double identité culturelle en particulier dans ce contexte de tensions diplomatiques ?
Lazare Groune : J’ai vécu toute ma vie en France et je dois avouer que cela n’est pas toujours facile d’être binational, notamment au regard de la position sociale historique de beaucoup de maghrébins dont résultent probablement une posture et une attitude parfois empreintes de condescendance.
S’agissant des tensions actuelles, la France et l’Algérie partagent une longue histoire ponctuée de souffrances et d’événements tragiques relatifs à la colonisation puis la guerre d’indépendance. Cette histoire complexe nourrit des rancœurs et des postures qui, bien qu’appartenant à un autre contexte géopolitique ainsi qu’à une autre époque, ne sont toujours pas résolues. Nous ne pouvons pas vivre indéfiniment dans le passé, toutefois nous ne pourrons pas nous libérer des stigmates du passé en usant de déni ou de mauvaise foi.
C’est pourquoi, je demeure intimement convaincu qu’en dépit des tensions et souffrances mémorielles actuellement ravivées, il faut malheureusement obligatoirement, en passer par là afin de réhabiliter une mémoire historique commune basée sur des vérités reconnues par chacun, en vue d’établir les fondements de relations futures réconciliées, respectueuses et équilibrées, par conséquent fructueuses pour les deux nations.
Question 2 : Radio Vitamine a marqué de nombreux auditeurs. Qu’est-ce qui, selon vous, rendait cette radio si spéciale et unique ?
Lazare Groune : Je pense que ce qui a grandement contribué au succès de Radio Vitamine c’est la liberté de ton et de programmation de la station. Vitamine était une radio dynamique ouverte sur le monde, respectueuse des autres cultures avec une programmation musicale atypique, à la fois moderne et pluri-ethniques.
Nous avions d’ailleurs obtenu de l’ARCOM une autorisation d’émettre en catégorie réseaux nationaux en 2012 avec une fréquence à Paris, dans le cadre du DAB+, pour un programme basé sur la mixité culturelle intégrant 30% de productions originaires du continent Africain. Malheureusement nous n’avons jamais été en mesure de lancer ce format du fait des événements sérieux que nous avons eu à subir entre 2010 et 2015 additionnés à l’absence totale de réaction des autorités prévues par la Loi, malgré nos très nombreuse saisines.
Question 3 : Vous faites référence aux événements relatifs à l’affaire radio vitamine dont est tiré votre livre ?
Lazare Groune : Oui, bien entendu, sans rentrer dans les détails de l’histoire, j’avoue être très surpris par le double standard auquel j’assiste quotidiennement.
Mon livre est en vente publique depuis 2019 et j’y livre les noms de plusieurs agents assermentés de l’état français impliqués dans une machination très grave visant à la prise de contrôle illégale d’un média régional puissant par des manipulations d’enquêtes et de procédures judiciaires. Bien évidemment, aucun des protagonistes nommés n’a jamais déposé plainte en diffamation contre moi pour ce dont je les accuse publiquement et de façon étayée dans ce livre.
Sachant que je me trouve en France et depuis 15 années consécutives dans l’absolue incapacité d’exercer des droits humains fondamentaux tels qu’avoir un compte bancaire, avoir un travail, protéger mes biens et ma famille… Vous comprendrez ma stupéfaction lorsque j’entends monsieur le Ministre Retailleau ou monsieur le ministre Darmanin s’indigner du traitement du franco-algérien Monsieur Sansal par l’Algérie.
Je ne peux, à minima, que m’étonner du double standard qui semble manifestement s’appliquer dans le cas d’un franco-algérien dont les droits humains sont objectivement bafoués en France, par les autorités françaises, depuis 15 ans.
Question 4 : Justement à cet égard avez-vous, de votre côté, saisi ou informé les autorités Algériennes de votre situation en France ?
Lazare Groune : Oui, j’ai saisi le consul de Nice et celui de Marseille à l’appui d’un dossier détaillé étayé de pièces probantes, il y a déjà un peu plus d’un an, à l’aune de la Convention des NATIONS UNIES contre la Corruption qui prévoit une coopération entre les états signataires pour de tels cas.
À ce jour, il m’a été répondu que mon dossier était en cours de traitement auprès du ministère Algérien des affaires étrangères, je n’en sais pas plus à ce stade. J’ai fait une relance par courrier, il y a trois mois et suis actuellement dans l’attente d’une réponse.
Question 5: Pouvez-vous raconter un moment marquant de cette période qui résume selon vous l’injustice ou les défis que vous avez rencontrés ?
Lazare Groune : Oui, l’un des moments les plus marquants et les plus difficiles a été le 29 Juin 2011, jour où j’ai été placé en détention préventive pour des infractions dont j’étais la principale victime et non l’auteur. Je fus ainsi jeté en prison sur la base d’une plainte irrecevable, en droit français, à l’appui exclusifs de faux documents qui ne furent confirmés judiciairement comme des faux que le 27 Novembre 2023, soit douze ans plus tard. Ce qui, vous l’aurez compris, a laissé tout le temps du monde aux faussaires pour en tirer le meilleur profit judiciaire durant plusieurs années, en s’enrichissant indument et en occasionnant des préjudices irréversibles, sans avoir jamais eu à en rendre compte jusqu’à ce jour de 2025.
Je trouve cela particulièrement injuste car cette mécanique judiciaire à deux vitesses était bien évidemment intentionnellement appliquée à cette affaire.
Question 6 : Comment votre double identité culturelle influence-t-elle votre vision des enjeux liés aux droits de l’homme et à la liberté d’expression dans les deux pays ?
Lazare Groune : Il m’est difficile de répondre utilement à cette question dans la mesure où j’ai surtout vécu en France, je ne peux donc pas m’exprimer sur ces sujets de façon objective et renseignée pour ce qui concerne l’Algérie.
En revanche, ce dont je peux attester pour en être victime en France depuis 15 ans, et pour avoir dirigé un média régional durant 20 ans, c’est que l’état français n’est objectivement pas en mesure de donner la moindre leçon en matière de non respect des droits de l’homme à d’autres pays au vu de ce qui se passe en France, aux yeux de tous.
À cet égard, Il me semble indispensable que les intellectuels et les médias français sortent de leur apathie « sans mauvais jeu de mots » ou de leur zone de confort, en s’émancipant de cette doxa de la pensée unique et exclusive qui semble désormais vouloir s’imposer comme la norme sur certains sujets. Lorsque la liberté d’expression est menacée, c’est la démocratie qui l’est en réalité, nous le savons bien.