Laurent Hounsavi est un artiste d’exception. Seul et sans moyen, il a réussi à vendre plus de 6 000 exemplaires de son premier maxi en chantant dans le métro parisien. A force de courage, de talent et de persévérance, le salsero béninois a réussi à produire son propre album Paris-Cubano et s’apprête à faire sa première scène. Un tournant artistique qu’il nous explique, en revenant également sur son parcours. Interview.
Flamme salsa. Laurent Hounsavi, né à Cotonou, arrive en France à l’âge de 17 ans pour y poursuivre ses études. Entre petits jobs et cours à l’Université Paris XII de Créteil, lui qui était déjà l’une des voix incontournables de la capitale béninoise, chante dans le RER et le métro parisien pour nourrir sa passion et gagner sa vie. Accompagné de sa guitare, il a su capter l’attention du public en interprétant des chansons de Bob Marley, Roberto Torres, Tito Puente, Georges Brassens ou encore Charles Aznavour. En 2000, il parvient, grâce aux fonds récoltés aux travers de ses diverses prestations, à sortir son premier maxi : « Toujours te garder ». Le succès est immédiat. Le disque s’arrache à plusieurs milliers d’exemplaires. Fort du soutien de fans de plus en plus nombreux et d’une indépendance totale, la nouvelle star de la salsa made in Bénin est parvenu à sortir son premier album : Paris-Cubano, et à avoir accès à un réseau de distribution digne de son talent.
Afrik.com : Vous êtes venu en France afin d’y poursuivre vos études, mais vous avez tout abandonné pour vous consacrer à la musique. Pourquoi ?
Laurent Hounsavi : C’est l’histoire d’une passion et d’un destin. Très jeune, mon intérêt pour l’art était assez prononcé. Je m’intéressais au dessin, au théâtre, à la musique… A la maison, tout le monde sentait que je deviendrais musicien. Mon père disait souvent : « Ce garçon va finir chanteur ». J’avais, dès l’âge de sept ans, la faculté de reprendre des airs que je venais à peine d’entendre à la radio. J’ai appris à « devenir chanteur » au collège, grâce aux activités coopératives obligatoires instaurées par le régime socialiste de l’époque au Bénin. J’ai réussi avec brio les tests d’admission dans la section musique et très vite je suis devenu le chanteur lead de la section des « cadets ». Petit à petit, je suis devenu un élément incontournable des concours interscolaires. A force de gagner ces concours avec mon groupe, j’ai fini par être sollicité par des groupes professionnels, avec lesquels j’ai pu faire des concerts un peu partout au Bénin et dans la sous-région. Ce parcours est, je pense, étroitement lié à mon aventure musicale entamée en région parisienne.
Afrik.com : Comment en êtes-vous arrivé à vous produire dans le métro et le RER ?
Laurent Hounsavi : Vers la fin des années 80, le Bénin a connu une grave crise politique. Le pays a vécu ce que l’on appelle une « année blanche », c’est-à-dire la suspension de l’année scolaire du fait de grèves répétées de fonctionnaires et d’enseignants. Cette crise a duré presque trois ans. Je suis arrivé en France en 1990. Après mon bac, je suis entré à l’université, où j’ai fait 3 ans d’AES (Administration Economique et Social, ndlr) et deux ans de GRH (Gestion des Ressources Humaines, ndlr) Banques et Finances. Il faut dire que je n’aurais jamais joué dans les métros sans l’insistance d’un ami qui m’a un peu forcé la main. Lui avait fini ses études de droit, mais n’arrivait pas à trouver du boulot. Il m’a pratiquement harcelé avant que je ne me décide à suivre ses conseils, car j’avais de nombreuses réticences. C’est en perdant mon job de surveillant dans des écoles, que j’ai décidé de me produire dans les métros et RER. Notre première prestation fut pitoyable (rires). Lui jouait de la guitare et moi je chantais, tout honteux. Nous avons décidé de rentrer, et pendant qu’on attendait notre train, mon ami a commencé à jouer un air de Cookie Dingler à la guitare. Envoûté, je l’ai accompagné en chantant « Être une femme libérée… ». C’est alors qu’une femme m’a interpellé pour me dire : « Vous avez une très jolie voix monsieur, vous chantez très bien ». Cette phrase a été beaucoup plus déterminante que la pièce de 10 francs que me remit la dame. Ses compliments et ses encouragements m’ont permis de prendre conscience de mes capacités et d’avoir confiance en moi.
Afrik.com : De quel œil la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) a-t-elle vu votre irruption dans ses souterrains, sachant qu’elle est plutôt stricte à l’égard des chanteurs de rue ?
Laurent Hounsavi : J’ai passé les auditions de la RATP afin d’obtenir le badge d’accréditation. C’est une obligation, si on aspire à une certaine tranquillité. Ce badge m’autorise à jouer uniquement dans les couloirs. Je n’ai pas le droit de m’approcher des rames et des quais. Il faut reconnaître que je suis parfois à la limite de la légalité. En général, j’y reste 4 à 5 heures par jour et 3 à 4 fois par semaine. Le plus souvent, je suis à Châtelet-les-Halles, mais, de temps en temps, je vais m’installer à la Gare du Nord, à l’intersection du RER et des Lignes de Métro 4 et 5. C’est en procédant de cette manière que je suis arrivé à vendre plus de 6 000 exemplaires de mon maxi en 2 ans, et à financer mon album. J’expose mes disques et sur une pancarte j’inscris mon nom, le titre de l’album et les points de vente.
Afrik.com : Cinq années se sont écoulées depuis la sortie de votre maxi « Toujours te garder », aujourd’hui votre actualité c’est Paris-Cubano, votre premier album, réalisé en autoproduction. Quelle est l’histoire de ce bébé que vous mettez dans les bacs ?
Laurent Hounsavi : Dès la sortie de mon maxi, j’ai ressenti le besoin de faire un album, qui serait la continuité de mon parcours artistique. La réaction positive du public, en France et au Bénin, m’a énormément encouragé à vouloir en donner plus à mes fans et aux mélomanes. J’ai commencé à plancher sur cet album dès 2001. J’avais beaucoup d’idées, beaucoup de thèmes et de sonorités à mélanger. Cet album me ressemble, parle de la vie, de toutes ses facettes, de l’amour, de la joie, de la peine…On y retrouve deux titres déjà présents sur mon maxi, « Djalé » et « Comme un obstacle ». A la base, l’album devait s’intituler Paris-Africano, mais j’ai opté pour Paris-Cubano, afin de rendre hommage à Paris, la ville qui m’a permis de vivre de ma passion, mais également pour marquer l’empreinte cubaine de ma musique.
Afrik.com : Vous faites une reprise du titre «Le lion est mort ce soir». Est-ce un hommage à Henri Salvador ?
Laurent Hounsavi : En composant Paris-Cubano, j’ai eu envie de reprendre une chanson française, dans la mesure où j’ai souvent interprété des classiques. Comme je suis un fan de Charles Aznavour, je me suis attaqué, au départ, à l’un de ses titres. Mais finalement mon choix s’est posé sur « Le lion est mort ce soir ». La mélodie est très belle, et Henri Salvador en fait une interprétation remarquable. Mais la version originale est africaine. Donc cela correspondait tout à fait à ce que je recherchais : un titre français proche de mes racines.
Afrik.com : En jouant dans le métro, comment avez-vous réussi à monter votre groupe ?
Laurent Hounsavi : Je suis auteur, compositeur, et interprète. J’ai arrangé presque tout l’album. En jouant dans le RER, on rencontre toute sorte de personnes. C’est ainsi que j’ai rencontré Alejandro Sandler, un trompettiste, qui m’a proposé de monter une formation. J’y avais déjà songé, en commun accord avec un ami (Eddie Tomassi, ancien membre d’un groupe de salsa). Finalement, on a décidé de se lancer à la recherche d’autres musiciens. Chacun a fait appel à ses connaissances, et de fil en aiguille on a pu monter une formation.
Afrik.com : Maintenant que vous avez sorti votre premier album, quelles sont vos ambitions ?
Laurent Hounsavi : Je suis en train d’organiser mon vrai premier spectacle en France. Vu qu’aucun producteur ne m’a encore contacté, je me trouve dans l’obligation de tout gérer. Le fait que je sois un artiste autoproduit qui chante dans le RER ne doit pas séduire les promoteurs de spectacles. Ils doivent sans doute être frileux à l’idée d’investir leurs fonds sur des artistes de mon genre. Cependant, je ne désespère pas. Au contraire, j’essaie de rester serein, car il faut avoir confiance en soi et en ses capacités. Je suis, par ailleurs, de nature optimiste… Au mois de mai, je devrais me produire à Paris au Théâtre Déjazet. Ce serait l’occasion de chanter dans une vraie salle, en compagnie d’une vraie formation musicale, et devant un public plus nombreux. J’ai l’intention d’inviter des professionnels, des programmateurs, des producteurs, afin qu’ils puissent se faire une véritable idée de mon produit. Je suis conscient qu’il y a encore beaucoup à faire, notamment en terme de promotion, mais en tant qu’artiste indépendant, ma marge de manœuvre reste plutôt restreinte. Sinon, je prépare une tournée en Afrique de l’Ouest, aux alentours des grandes vacances. Il y a quelques dates de festivals de prévues, mais pour l’heure, rien de bien concret. En attendant, je demeure fidèle à mon poste, c’est-à-dire dans les métros et RER, tout en me concentrant sur la préparation de mon premier concert.