Deux jeunes Malgaches, Naivo et Rivo, s’engagent dans un long voyage initiatique vers la mer où Rivo, séropositif, a décidé de mourir. C’est la trame de « Lalana », le prétexte de Michèle Rakotoson pour évoquer son île natale, Madagascar, où la pauvreté mène la jeunesse à une quête effrénée de l’ailleurs et où les gens se raccrochent à la religion, comme à une bouée de secours.
Rivo est séroposif et il a décidé de mourir à la mer loin d’Antanarivo, cercueil de ses espoirs et de ses illusions, comme pour son ami Naivo qui va l’aider à réaliser son dernier voeu. Commence alors pour les deux amis une sorte de périple initiatique. Un voyage à travers la culture malgache, ses mythes et ses croyances funéraires. C’est aussi un périple social au coeur de la misère d’un peuple mais surtout d’une jeunesse pour laquelle l’avenir est sans espoir. C’est également un prétexte pour évoquer les abus des dirigeants africains au détriment du peuple. Un peuple qui se raccroche à la religion et aux sectes comme à des bouées de sauvetage.
Foutus et foutus
Empruntant la Route de la Reine, celle qui conduit d’Antananarivo à la mer au travers d’une belle campagne, les deux jeunes ont tout le loisir de ressasser leurs illusions perdues et leurs espoirs. Une quête de lendemains meilleurs qui a conduit Rivo, » Belle gueule « , dans celle, béante, de la prostitution et du sida. Une maladie qui peut s’attraper pour un million de francs malgaches (150 euros) : » l’homme devenu objet pour cause de trop grande misère « . Une misère qui nie aux citoyens du Sud le droit à la santé parce que les médicaments, ceux du sida notamment, sont trop chers. En effet, « on meurt la gueule ouverte et sans crier dans les pays pauvres « , écrit l’auteur.
Et puis il y a cette jeunesse malgache, à la recherche d’un avenir plus radieux, qui a abandonné la campagne à des vieillards d’à peine soixante ans. Accablée par la misère, entassée dans des cités universitaires insalubres, empilée dans des amphithéâtres dans une chaleur étouffante. A la clé : un avenir incertain voire inexistant où le chômage et la récession économique sont des valeurs sûres. » On les voit foutus, on les dit foutus et ils se sentent foutus. Jeunes gens pauvres du Tiers-monde ? Ou pauvres jeunes gens du Tiers-Monde « … une phrase qui traduit bien le malaise de Naivo, révolté mais impuissant. Impuissant aussi face à la maladie de son ami, Rivo. Rivo, affaibli par la maladie et parfois inconscient mais si plein de lucidité. Cette lente rencontre vers la Grande Faucheuse est un retour sur lui-même, un voyage » vers la lumière, dans la lumière « . Un retour vers Dieu.
Quand il n’y a que l’amitié
C’est aussi le temps de la reconnaissance d’une amitié bien éprouvante pour Naivo qui, à 30 ans, se sent inutile. Naivo, l’ami fidèle bien qu’effrayé voire dépassé par l’état de son ami l’assistera jusqu’a la fin. Des personnages profonds et attachants qui restent dignes dans la détresse. Bien que terrible, Michèle Rakotoson donne de par sa plume tant de vérité et de sincérité à ces personnages que l’aventure humaine vaut le détour. Au-delà des personnages, l’analyse reste très critique notamment quant à la religion. Critique mais respectueuse. » La population […] prie pour étouffer les envies de meurtre. »
Et puis ce constat dans la bouche de Naivo sur le poids des croyances en Afrique : » On en sortait plus de ces vieilles croyances, de ces légendes, c’est pour cela que les Malgaches ne pourraient jamais être de bons économistes […] chaque fois qu’il fallait avancer, prendre une décision, il y avait des interdits, des croyances, des mythes […] « . Au total, Lalana est une belle réflexion sur le sous-développement, la misère, le sida, les sectes et le pouvoir des croyances sur le continent noir. Une chose est certaine, après Lalana, le souvenir de ce Madasgar déchiré ne vous quittera plus.
Lalana de Michèle Rakotoson, éditions de L’Aube, 2002.
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