Le Nigeria est considéré comme le géant africain de la production cinématographique. Pourtant, les salles de cinéma du pays se comptent sur dix doigts. Ce phénomène s’explique par l’explosion de la vidéo domestique ou home video.
Quelques chiffres impressionnants : 650 sorties officielles de films en 2000 (plus du double sous le manteau), 15 000 video-club recensés, plus de 260 sociétés de production… et seulement 5 salles de projection à Lagos, capitale du cinéma nigérian. Salles par ailleurs essentiellement dévolues aux films indiens ou aux grosses productions hollywoodiennes. Si le circuit traditionnel du cinéma est à ce point inexistant, c’est que les films ne sortent pas sur pellicule mais directement en cassette VHS ou en DVD. Un phénomène unique au monde, connu au Nigeria sous le nom de home-video.
« Le home-video a démarré parce que les salles de cinéma étaient désertes. Les gens étaient effrayés à l’idée de sortir. L’insécurité régnait. Le régime militaire a ensuite fait fuir les étrangers, notamment les Indiens et les Libanais, qui tenaient des salles. Enfin, la faiblesse du naira (monnaie nationale, ndlr) face au dollar rendait la production de films en celluloïd presque impossible », raconte Justin Esade, spécialiste du cinema pour The Guardian. Les exigences économiques imposèrent de tourner en VHS, procédé beaucoup moins coûteux. Le premier film du genre fait un carton, Living in bondage de Chris Obi Rapu, se vend en 1992 à 300 000 copies.
Une production faramineuse
Un succès qui fait des émules. Aujourd’hui, une production lambda se tourne en numérique et vend 10 à 20 000 copies à environ 1 euro la cassette. L’offre s’est multipliée de manière exponentielle. Ceci au détriment de la qualité, qui s’est amoindrie. Conditions de tournages précaires, techniques approximatives, ressorts comiques mille fois copiés, un film se réalise en deux semaines maximum. Les thèmes abordés sont très variables. « Très axés sur les rituels jusqu’à ce que la commission de censure fasse pression sur les producteurs, les sujets sont en majorité des farces, des comédies, auxquelles on ajoute des romances », continue Justin Esade.
Les producteurs en question s’appellent marketers. Ils forment un rouage essentiel de ce secteur car ils possèdent aussi l’exclusivité de la distribution. Ils récoltent ainsi directement l’argent qu’ils réinjectent dans les nouvelles productions. De plus, le prix des films en numérique est loin d’être prohibitif : 13 000 euros en moyenne. Néanmoins, la saturation du marché a poussé les marketers à se mettre d’accord. Ils ont arrêté toutes les productions pendant plusieurs mois en 2002 pour assainir le marché… il fallait se débarrasser des stocks.
Le dilemme des réalisateurs
« Mister Prolific », c’est le surnom de Ejiro, un réalisateur renommé. Et pour cause, il produit jusqu’à 80 films par an ! De fait, il est légitime de se demander où se trouve la créativité quand un réalisateur tourne à un train d’enfer. Hélas, devant la nécessité de produire des vidéos à faible coût, et parce que les droits d’auteur sont négligés, ces derniers associent bien souvent leur nom à des productions de qualité médiocre.
Un réalisateur-producteur détonne malgré tout dans ce paysage un peu morne : Tunde Kelani. Fervent défenseur du cinéma en numérique, il ne tourne que deux films en moyenne par an. Affranchi des marketers, grâce à sa propre maison de production, il contrôle le contenu de ses films. Reconnu internationalement, il met en scène la société yoruba, et traite de sujets de société. Son film Thunderbolt fait le tour des festivals étrangers[[<*>Programmé au « Festival des 3 continents » à Nantes du 25 novembre au 2 décembre 2003]].
Un cinéma qui inonde ses voisins
Le home video nigérian s’exporte si bien qu’il génère un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 euros. Les films en haoussa produits à Kano sont très présents au Niger, de même que les cassettes en yoruba au Bénin et au Togo, les cassettes en anglais envahissent les marchés des pays anglophones jusqu’en Afrique du Sud. Enfin, la diffusion par Internet touche la diaspora.