L’annonce surprise de la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a provoqué une onde de panique dans les milieux d’affaires français. Si le Premier ministre algérien a formellement démenti toute rupture commerciale, cette crise révèle la forte dépendance des entreprises françaises au marché algérien, où elles font face à une concurrence internationale croissante de la Chine, de la Turquie et de la Russie.
Dans un climat diplomatique tendu, une rumeur récente prétend que l’Algérie envisagerait de suspendre ses relations commerciales avec la France en réponse à la reconnaissance par Paris de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette information, qui aurait été relayée notamment par l’ancien ambassadeur français en Algérie, a fortement secoué les milieux d’affaires en France. Néanmoins, la cellule de Communication du Premier ministre algérien a rapidement démenti ces affirmations, qualifiant les propos de « mensongers » et dénonçant un « délire haineux » de la part de l’ex-diplomate.
Un héritage commercial complexe
Les relations commerciales franco-algériennes s’inscrivent dans une histoire récente de croissance basée sur une confiance réciproque. Entre 2020 et 2023, les échanges avaient connu une progression régulière, passant de 6,9 milliards d’euros à plus de 8,5 milliards d’euros. La France demeure le troisième partenaire commercial de l’Algérie, derrière la Chine (qui représente 18,2% des échanges algériens) et l’Italie (13,7%). Toutefois, cette position historique s’érode progressivement face à la montée en puissance d’autres acteurs internationaux.
En effet, cette polémique intervient alors que les échanges commerciaux entre la France et l’Algérie, bien que solides, montrent des signes de fragilité. Au premier semestre 2024, après trois années de croissance continue, les flux commerciaux entre les deux pays ont pour la première fois légèrement baissé. Toutefois, les exportations françaises de biens vers l’Algérie ont progressé de 9,3 % pour atteindre 2,4 milliards d’euros, avec une part importante de produits industriels. En retour, la France dépend des exportations énergétiques algériennes, particulièrement en gaz naturel et pétrole brut, vitaux pour sa sécurité énergétique. Un marché qui progresse et qui ne posait pas de difficulté particulière pour les entreprises françaises, d’où leur panique relayée par Le Figaro, média des décideurs économiques.
Dans le détail, les exportations françaises vers l’Algérie se composent principalement de biens d’équipement (32%), de produits agroalimentaires (24%), et de produits pharmaceutiques (18%). Côté algérien, les exportations de gaz naturel vers la France représentent environ 11% des approvisionnements gaziers français, soit près de 12,5 milliards de mètres cubes par an. Cette interdépendance énergétique reste un pilier majeur de la relation bilatérale, malgré la volonté française de diversifier ses sources d’approvisionnement.
Une volte-face de Paris qui renforce les tensions
La position algérienne sur le Sahara occidental repose sur le droit international, en ligne avec celle de l’ONU, qui préconise un référendum d’autodétermination pour ce territoire. Or, la récente décision d’Emmanuel Macron de reconnaître la « souveraineté marocaine » sur cette région a surpris jusqu’aux observateurs les plus aguerris, tant elle marque un revirement spectaculaire dans la politique française au Maghreb. Cette volte-face a renforcé la crédibilité de la rumeur d’une rupture commerciale, perçue comme une réponse à ce soutien inattendu de la France envers le Maroc.
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une telle suspension des échanges aurait, en effet, des répercussions économiques lourdes. Le Figaro suggère même que les mesures restrictives pourraient inclure les vols d’Air Algérie vers la France et les opérations de fret maritime, domaine où la place de l’Algérie en mer Méditerranée se renforce. Cette interruption profiterait alors aux concurrents de la France, en particulier la Chine, la Turquie et la Russie, qui cherchent à renforcer leur présence sur le marché algérien.
L’Algérie a entrepris depuis plusieurs années une diversification stratégique de ses partenariats commerciaux. La Chine a ainsi quintuplé ses investissements dans le pays depuis 2015, tandis que la Turquie est devenue le premier investisseur étranger en nombre de projets. La Russie, quant à elle, renforce sa présence dans les secteurs stratégiques de l’énergie et de l’armement.
Scénarios d’évolution et perspectives
À court terme, trois scénarios se dessinent. Le premier verrait un maintien du statu quo commercial, mais avec une vigilance accrue de part et d’autre. Le deuxième scénario impliquerait un refroidissement progressif des échanges, sans rupture officielle, mais avec une réorientation graduelle vers d’autres partenaires. Enfin, un troisième scénario, plus optimiste, passerait par une relance du dialogue économique, potentiellement facilitée par des médiations européennes.
« La relation économique franco-algérienne possède des fondamentaux solides, mais elle doit se réinventer« , analyse un économiste spécialiste du Maghreb. Pour Paris, l’enjeu est de maintenir sa position face à une concurrence internationale croissante, mais cela passe par une évolution de son repositionnement sur le Sahara occidental et un retour au soutien d’une solution conforme au droit international. Sinon, les récents accords commerciaux passés avec le Maroc vont rapidement être caduques. Pour Alger, il s’agit de poursuivre sa stratégie de diversification tout en préservant des liens économiques historiques qui restent, malgré les tensions, mutuellement bénéfiques.
Pour l’instant, le démenti officiel algérien confirme la continuité des échanges, mais la panique des entreprises françaises fragilise le choix de Macron. Aujourd’hui, la France se trouve face à un choix : redoubler d’efforts pour restaurer la confiance, ou risquer de perdre sa position au profit de partenaires plus en phase avec les priorités algériennes.
Alors que la diplomatie française tente de s’adapter aux équilibres du Maghreb, les relations entre Paris et Alger sont à un tournant. Si les échanges commerciaux ne sont pas formellement suspendus, le signal est clair et a été entendu par les entreprises françaises.